QUE RÉPONDRE AUX HOMMES DE NOS VIES QUI SE DISENT « FÉMINISTES, MAIS… »

On les aime, ça ne fait aucun doute, mais ce réflexe a le don de nous mettre hors de nous. Et à juste titre. On a compilé et détaillé quelques arguments à balancer en retour.

Ça m’est encore arrivé ce week-end. Attablée bien tranquillement à un repas entre potes, le sujet tombe : le féminisme. Jusque-là, pas de problème. J’en boufferais même au petit-déj’, du féminisme. Surtout quand il s’agit de discuter de ce qui nous touche au quotidien, d’écouter les voix de celles dont le vécu n’a rien à voir avec le mien et de s’indigner contre un système qui, clairement, n’a pas l’air de nous accorder la même attention. 

Ça, c’est entre femmes, majoritairement. 

Avec les hommes (ou devrais-je dire, DES hommes), c’est différent. L’échange tourne rapidement à l’éducation et plus épuisant encore : à la longue et pénible tâche de rassurer ceux qui ont déjà les pleins privilèges que, non, le féminisme n’est pas contre eux et que, si, ils vont devoir laisser un peu la place pour qu’on obtienne l’égalité. Pour des hommes, ce qui motive le fait d’aborder la lutte n’est malheureusement pas tant d’enrichir ou de comprendre le combat en lui-même que de dénoncer les fameux « extrêmes » qui les perturbent.

Ils aiment le crier à tort et à travers : ils sont féministes, « mais ». Sous-entendu « mais faut pas déconner non plus ». 

Samedi soir, l’exemple n’avait rien de bien nouveau. « Je suis féministe ! », lançait un peu sorti de nulle part Guillaume à mon amie et moi-même, toutes deux (trop) préparées à ce qui allait suivre. « Mais (!) la dernière fois, j’ai vu une fille encore plus poilue que moi, et ça fait vraiment bizarre ». Voilà. Le fameux « mais ».

Bon, je le concède, on a vu pire. Et après tout, ça peut effectivement faire « bizarre » de rencontrer une femme qui se laisse pousser les poils lorsqu’on n’a pas encore déconstruit ce qui se cache derrière l’injonction aux corps féminins épilées et masculins poilus. Il n’y a pas de honte à ne pas avoir décortiqué une coutume qui date de l’antiquité, tant qu’on ne culpabilise pas l’autre de ne pas suivre ces diktats intégrés et intériorisés chez nous. 

Certaines féministes – et j’en fais partie – se battraient d’ailleurs corps et âmes pour que leurs consoeurs expriment leur pilosité librement, mais continuent, elles, de filer 20 balles chez l’esthéticienne tous les mois par envie d’avoir des aisselles lisses. Le féminisme, c’est justement lutter pour que les femmes soient libres de leurs choix quels qu’ils soient – tant que ces choix n’entravent pas la liberté des autres.

Revenons au coeur du problème : les hommes. Nan je rigole : la société qui les a érigés en tout-puissants. En lâchant un « je suis féministe, mais », mon ami a bien illustré ce qui nous met d’énormes bâtons dans les roues à nous, les féministes-tout-court : la crainte du changement que ressent cette (grosse) partie de la population.

« Je suis féministe, mais », quand on est un homme, ça veut dire qu’on soutient tant que ça ne nous bouleverse pas trop. Tant que le féminisme – et par conséquent, les femmes – ne nous placent pas réellement face à nos responsabilités. « Je suis féministe, mais », c’est le début de phrase qui vient condamner les « débordements », les prises de position « radicales » des féministes-tout-court. Comme si pour renverser les mécanismes sexistes d’un système, il fallait se contenter d’attendre que ledit système daigne changer de lui-même. Belle utopie.

Pour rappel : le féminisme n’a jamais tué personne, contrairement au sexisme, et on ne fait pas la révolution en adoptant les codes de la société qui nous opprime. Forcément, le mouvement va déranger. Forcément, les revendications vont sembler « folles », « aller trop loin ». C’est justement le signe qu’on tape là où ça fait mal. Et que ça va finir par marcher, même si on a de bonnes chances d’y laisser quelques plumes au passage. 

Alors bien sûr, s’opposer aux hommes « féministes, mais » ne veut pas dire refuser le dialogue et arrêter de leur parler pour toujours (enfin après, c’est vous qui voyez !). Déjà parce qu’ils sont plus nombreux qu’on ne le pense, et que ça équivaudrait à un sacré ménage dans notre entourage. Et ensuite parce que parfois, ils sont vraiment très (très) près du but.

Et même si cette partie du boulot empiète beaucoup trop sur des choses plus fondamentales et nécessaires, on peut aussi vouloir répliquer quelques arguments qui leur resteront en tête, et – un miracle n’est jamais loin – les amèneront sur la voie lente mais sûre du féminisme-tout-court. Ces mots, en voici quelques-uns.

Leur rétorquer d’inverser la phrase

Plutôt que de dire « je suis féministe, mais », leur suggérer d’inverser la place de la conjonction de coordination. Peu importe ce qui les chiffonne, leur faire voir leur problème différemment : oui Guillaume, peut-être que les jambes de la jeune femme que tu as aperçue récemment te titillent, te chamboulent, questionnent les repères que tu associes à la féminité et à la masculinité. 

Mais tu es féministe. 

Et par conséquent, tu vas saisir l’occasion pour te renseigner, avancer dans ton cheminement, te demander pourquoi tu réagis de cette façon. Ce qui te hérisse (héhé) vraiment et surtout : pourquoi les femmes devraient-elles se soumettre à ce rituel si elles ne le souhaitent pas, quand, toi, tu as assez de poils pour en faire un tapis et que personne ne te demande de te les faire arracher à la cire. Parce que franchement, tu fais bien ce que tu veux. Et que nous aussi, on aimerait bien faire ce qu’on veut.

Placer « je suis féministe » après le « mais », revient à en faire la partie de la phrase la plus importante. Celle qui résonne. Celle qu’on retient. Celle qui est inébranlable. Et de fait, renforcer ton soutien à la cause. 

Enumérer les grandes avancées jugées « extrêmes » à l’époque

Souvent, l’argument qui fait plonger les homme dans le puits sans fond de la justification, et donc de la contre-productivité, c’est le fameux « je n’aime pas les extrêmes ». 

D’accord, « tu es féministe mais tu n’aimes pas les extrêmes ». Très bien. J’entends. 

Mais est-ce que, par hasard, tu aimes le fait que les femmes aient le droit de vote ? Qu’elles aient le droit à l’avortement ? Puissent avoir un compte en banque à leur nom ? Ne pas dépendre de l’autorité paternelle ou maritale et être indépendante ? Est-ce que tu aimes qu’elles aient des droits tout court ? Qu’elles soient maîtresses de leur sexualité ? Que les crimes dont elles sont victimes soient reconnus comme tels ? Que les violences sexistes, conjugales, sexuelles qu’elles subissent, au coeur de leur foyer et en dehors, soient dénoncées ?

Crédit : World’s Direction sur Flickr

Tout ça, les féministes des siècles précédents se sont battues pour l’obtenir. A chaque fois, leur combat et les moyens qu’elles ont utilisé pour y parvenir ont été taxés d’ »extrêmes ». Aujourd’hui pourtant, on trouve justes et évidents les résultats de ces luttes. On les a tellement intégrés qu’on en oublie – ou plutôt, tu en oublies – qu’ils n’ont été possibles que grâce à l’acharnement « extrémiste » de ces femmes. Certaines sont d’ailleurs mortes pour qu’on puisse jouir de davantage de droits. 

Quoiqu’il en soit, tu as le droit de ne pas aimer les extrêmes, de ne pas être entièrement d’accord avec toutes les positions de toutes les féministes. Les féministes entre elles ne sont pas toujours d’accord les unes avec les autres. C’est un mouvement avec différents courants, différentes générations, différents vécus, et non un parti qui prône la pensée unique.

Mais en ramenant toujours le sujet du féminisme et de ton soi-disant statut d’allié aux extrêmes, qui pour toi « desservent la cause », c’est toi, qui la dessers, la cause. C’est toi, qui invisibilises nos luttes et nos conversations essentielles en ne voulant pas voir plus loin que ces extrêmes presque fantasmés. 

D’ailleurs, de qui parles-tu exactement ? De quels extrêmes ? Qui sont-elles ? Que font-elles de si terrible ? Oser demander justice pour les victimes de féminicides ? Dénoncer la culture du viol ? Écrire en écriture inclusive ? Montrer leurs seins ? Coller des affiches ? Casser l’ambiance en soirée ? Ouin ouin. 

Permets-moi aussi de te dire que, bien que je te porte dans mon cœur, ce n’est pas à toi, qui n’auras jamais affaire au sexisme présent dans toutes les strates de la société (et tu en as de la chance), de me dire comment je dois protester, sous-entendu en faisant moins de bruit, et en ne sortant pas trop de ce rang qui te rassure tant. 

Rappeler (encore, je sais) que féministe n’est pas un gros mot

En rajoutant un « mais » après « je suis féministe », on discerne aussi une certaine envie de rassurer l’assemblée, de se dédouaner après avoir dit quelque chose de choquant. Peut-être auprès d’autres hommes, par exemple. Et c’est vrai, dans notre société, le féminisme est souvent dépeint comme quelque chose qui choque. Encore une fois, parce qu’il bouscule.

Seulement le féminisme n’est pas un gros mot : c’est une nécessité. Et dans un monde idéal, il n’existerait pas. Parce que dans un monde idéal, la marginalisation et les discriminations que subissent les femmes (à des niveaux différents selon leur couleur de peau, leur religion ou encore leur milieu social) n’auraient pas besoin d’être adressées spécifiquement. Dans un monde idéal, les rapports entre les femmes et les hommes ne seraient pas guidés (plus ou moins consciemment) par une domination patriarcale sexiste. 

Il faut aussi savoir qu’être féministe n’est pas un diplôme qu’on remporte, c’est un apprentissage, un parcours, un progrès quotidien. Ce n’est pas un moule dans lequel on rentre, non plus. Ce sont des valeurs fondamentales qu’on partage, et une éducation qu’on démonte petit à petit, pour mieux reconstruire derrière.

Ce sont aussi des convictions qui divergent en suivant une trame infaillible : se battre pour les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes, tout en ayant des opinions opposées sur certains sujets. Et parfois, être paradoxal.e, parce que certaines habitudes ont la dent dure. Mais s’en rendre compte, c’est déjà bien.

Surtout, le féminisme a aussi besoin des hommes pour agir de l’intérieur. Et nous, on a besoin que tu oses te dire « féministe-tout-court », pour donner l’exemple à ceux qui t’entourent. Que tu t’appropries ce mot et que tu n’aies plus honte de vouloir défendre les femmes, en les considérant comme tes égales, et en t’affranchissant des injonctions que tu leur imposes (et que tu t’imposes, par la même occasion) peut-être sans t’en rendre compte.

Parce que crois-moi, en faisant ça, tu te placeras – enfin – du bon côté de l’histoire. 

Chronique de Pauline Machado

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