Retour sur le 37e festival de Hyères où créativité et liberté furent défendues et célébrées

Nous écrivions à coups de crayon sur une petite carte en papier glacé qu’il n’était jamais trop tard pour découvrir et s’émerveiller, signée d’un grand « merci » adressé à Jean-Pierre Blanc (le fondateur du festival de Hyères), avant de lui glisser entre le mains le premier numéro « Evolve » du nouveau PAUL.E. À l’épilogue de 4 jours de célébration dans le sublime écrin moderniste de la Villa Noailles, la gratitude était de mise, tant les moments forts en émotion n’ont pas manqué. Retour sur nos 5 coups de cœur.

N’en déplaise aux esprits obtus, les formidables poupées gonflables imaginées par Glenn Martens pour les défilés de la marque Diesel, égrenées par mont et par val de la rue Saint Bernard à la Place Clémenceau, ont contemplé de leur poses lascives la horde de passionné.es d’art et de mode qui s’est émerveillée au gré des œuvres exposées dans le labyrinthe de la Villa Noailles, où au détour d’une piscine apparaissaient les silhouettes flottantes racontant presqu’une décennie de création des mains du designer belge. Cette Rétrospective remarquée en l’honneur de Glenn Martens, accessoirement président du jury du concours mode de cette 37e édition du festival de Hyères, a laissé embrasser du regard les codes précis, l’approche couture et l’avant-gardisme d’un créateur de mode foncièrement contemporain et expérimental, bien installé aux commandes des marques Diesel et Y/Project, sans oublier son passage encensé par la maison Jean-Paul Gauthier.

« C’est pour vous que je fais ça, c’est pour vous que l’on fait ça ! », s’exclamait non sans émotion Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles, au moment d’inaugurer 4 jours de festivités. Et de rajouter, « ce Festival, c’est la joie, l’enthousiasme, la force de la jeunesse et de la découverte. On vous a préparé un programme de choix. J’espère qu’il va vous plaire ». À l’heure du palmarès final, ce discours aura tenu toutes ses promesses, tant le public et les différents jurys des 3 concours — mode, photographie et accessoires de mode — ont vibré à l’unisson de créations audacieuses, incisives et personnelles. Doublement Prix du Public et Grand Prix du Jury Première Vision, la Finlandaise au regard malicieux et rieur Jenny Hytönen a séduit avec ses robes cristaux transparentes surmontées de lourds blousons cloutés, à la croisée entre tricot et BDSM, de son propre aveu. Notre coup de cœur mode et doublement primé du Prix de la collection écoresponsable Mercedes-Benz et du Prix le 19M des Métiers d’Art, le Bavarois Valentin Lessner a présenté de son côté une collection masculine savamment aboutie, à la fois avant-gardiste, responsable et portable.

Soutenus par les grands acteur.trices du monde de la mode et de la création quasiment tous.tes présent.es à Hyères, ces jeunes talents seront les grands noms de demain, de l’avis expert de Frédéric Maus, directeur général de WSN Développement, partenaire du Festival depuis quelques années. « C’est pour nous une manière concrète d’aider la création. Notre mission est d’encourager et d’aider les jeunes créateurs à rencontrer la distribution, donc des acheteurs, mais aussi de les soutenir de manière pérenne à travers ce mécénat. De les encourager, de les sponsoriser et d’accueillir les lauréats du Festival sur nos événements, dont le salon Première Classe. », précise-t-il.

Le festival de Hyères et ses partenaires prennent en effet grand soin de soutenir et d’accompagner les ancien.nes lauréat.es des différents concours, en invitant notamment le.la grand.e gagnant.e du Grand Prix du Jury Première Vision de l’édition précédente à présenter sa nouvelle collection en conclusion du défilé des finalistes en compétition. C’est sur un fond sonore où se détachait une série de témoignages personnels et émouvants d’Afro-Américains relatant pêle-mêle leurs histoires et parcours intimes qu’ont défilé 15 silhouettes masculines impeccables de tailoring signées Ifeanyi Okwuadi. Une ode à la culture noire évidente à travers une collection hommage.

« Cette collection intitulée « Dust Black Sunday » est inspirée des Dust Boys américains des années 30. Une période qui a duré environ 10 ans. L’idée à travers la plupart des looks que j’ai présentés est de donner l’impression d’être totalement recouvert de poussière d’où l’utilisation de feutre noir à l’extérieur et d’un tissu héritage en dessous, plutôt vintage, pour illustrer cette idée que le vêtement confectionné dans cette matière noble, à l’origine, a été recouvert d’un épais manteau de poussière. », partage le designer Britannique, qui s’empresse de rajouter : « l’esthétique de ma marque et de mes créations allie satire sociale et tailoring. Je dirais que je crée un vestiaire fait de pièces classiques empreintes d’un regard satirique. »

En marge des compétitions et des expositions, la programmation du festival de Hyères a inclus une sublime performance du danseur contemporain Nick Coutsier à travers les jardins de la Villa Noailles. Au détour d’un déjeuner à la Villa Romaine, cette fois, le jeune chorégraphe belge nous a confié être arrivé à Hyères quelques jours plus tôt afin de s’imprégner des lieux, de son histoire, de son architecture et de son énergie afin de façonner une performance intime et sur mesure. Sa danse itinérante à travers bois, de l’ancien pigeonnier au parvis rectangulaire de la Villa Noailles, accompagnée de sonorités sobres et minimalistes s’est conclue par une transe jubilatoire cadencée par les paroles de l’activiste non binaire et queer Alok Vaid-Menon dont l’appel à la déconstruction de la masculinité toxique et à l’amour de soi a fait écho à une performance artistique entre virilité et sensibilité, retenue et libération. Autant dire que la foule rassemblée et captivée fut touchée en plein cœur. C’est au rythme de l’indémodable Gangsta’s Paradise de Coolio que les acclamations ont rempli la cour extérieure de la Villa, où avait déjà performé l’avant-veille l’iconique Axelle Red. Exulte !

Les amoureux.ses d’architecture moderniste, de design et d’art contemporain n’ont pas boudé leur plaisir en visitant l’exposition « Objets modernes », un ensemble de design moderne d’après la collection constituée par Charles et Marie-Laure de Noailles. Mobilier, luminaires et tapis ont repris place au Clos Saint-Bernard dans une scénographie commandée à Emmanuelle Luciani (Southway Studio). Chambres et salons furent emménagés avec des pièces d’arts décoratifs faisant écho à la collection et au bâtiment. Cette exposition dont Magalie Guérin et Thomas Lequeu ont signé la direction artistique fut l’occasion d’une commande à 14 artistes, incluant Jacques Merle, Delphine Dénéréaz, Florent Groc, Xavier Fenouil, Adrien Pelletier et Cécile Guettier, entre autres, qui ont chacun interprété une pièce de la collection moderne en dessin, peinture, collage ou tapisserie. La commande artistique s’est poursuivie par une résidence de deux jours au Clos Saint-Bernard pour la réalisation de fresques in situ. En accompagnement des objets et des œuvres contemporaines, l’historienne de l’art Beatriz Sánchez Santidrián a développé un contenu textuel et réuni des images d’archives qui offrent un éclairage sur le contexte de l’époque. Une exploration immersive qui fait appel à tous les sens et rappelle l’importance de la rencontre physique avec l’art.

Le succès de cette 37e édition du festival international de mode, d’accessoires de mode et de photographie de Hyères — dont ce fut la 2e édition post-Covid — ne se dément pas et montre combien, selon Frédéric Maus, « il y a un vrai amour de la rencontre. On est dans des métiers de passion, on est dans des métiers où il faut toucher, il faut voir les collections et ce qui se passe. Dans un salon comme Première Classe, par exemple, il y a évidemment toute la partie business, mais il y a aussi tout l’immatériel. C’est exactement ce qui se passe aussi au festival de Hyères. Aller aux défilés, aux expos, aux masterclass. Mais c’est aussi les discussions qu’on va avoir au détour d’une allée ou à l’aéroport. » Et de conclure, « les gens ont besoin de repères après ces 2 ans et demi. Les salons, festivals et rencontres permettent de voir l’évolution à la fois des collections, des tendances, mais aussi un peu le mood global. Et c’est en ça où l’événement physique, pour moi, sort renforcé !»