Un prénom à soi, ou quand les personnes trans signent un nouveau départ

Faire une transition de genre, en France comme ailleurs, peut se révéler un long parcours du combattant, entre transphobie sociale, coming out compliqués, problèmes administratifs et rendez-vous médicaux contraignants. S’il y a bien une chose, une seule, sur laquelle les personnes trans ont le choix, et même le privilège de choisir, c’est leur prénom. Transitionner est un fait social. On ne devient pas transgenre, on est transgenre.

Tout d’abord, reprenons les bases. Si certain·es ont la chance de transitionner de manière fluide et sans encombre, cette sérénité est loin d’être partagée par l’immense majorité des personnes trans. Une transition de genre implique plusieurs étapes. Aucune n’est obligatoire. Chacun·e suit un chemin qui lui est propre, en fonction de ses envies, bien sûr, mais aussi de sa sécurité. En effet, les violences inhérentes aux personnes trans, et en particulier aux femmes et aux personnes transféminines, sont légion.

La transphobie, c’est-à-dire le rejet spécifique et caractérisé des personnes trans, peut se traduire par des moqueries, du déni, des insultes, du harcèlement, voire des agressions physiques. Ces violences peuvent se manifester au sein de la famille, du couple, des ami·es, sur le lieu de travail ou d’études, dans l’espace public et sur Internet.

Les étapes de transition généralement communes sont le changement de pronoms (passer du « il » au « elle », par exemple), des changements d’apparence, vestimentaires, capillaires, ou rendus visibles par le maquillage. Ensuite, peuvent venir des changements physiques relatifs à la prise d’hormones ou à des opérations chirurgicales. Enfin, arrivent les démarches administratives pour faire changer son état civil. Et surtout: des coming out à la pelle. Au-delà de tous ces bouleversements, motivés par ses propres désirs et besoins, il existe aussi une modification opérable que beaucoup de personnes entreprennent. C’est le plus intime, mais également le plus libre de tous les changements, celui du prénom. Les motivations de cette mue sont multiples. Avoir un prénom en accord avec son genre peut permettre un meilleur passing, c’est-à-dire une meilleure reconnaissance extérieure du genre auquel on appartient. Il peut aussi, au contraire, permettre de brouiller les pistes, en adoptant un prénom mixte ou peu usité. Enfin, il est également porteur d’un véritable choix personnel, inscrit dans une dynamique familiale, historique, religieuse, amicale, ou même totalement pragmatique.

© PAULE
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Hanneli

Hanneli est un prénom qui m’a toujours obsédé. C’est un prénom allemand, que j’ai découvert en lisant l’ouvrage d’Hanneli Goslar. Hanneli était la meilleure amie d’Anne Frank. Au début de la guerre, alors qu’Anne est cachée avec sa famille, Hanneli est immédiatement déportée avec la sienne. Bien que juive, elle bénéficie d’une certaine protection grâce à de faux passeports que son père a fait faire. Arrivée au camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne, elle est placée à l’écart des autres prisonnières avec sa petite sœur de trois ans. Dans cet espace, elles n’ont ni à travailler ni à se raser le crâne ni à abandonner leurs vêtements – de maigres avantages qui leur permettent de survivre pendant près de trois ans dans le froid, la faim et des conditions d’hygiène déplorables. De son côté, Anne Frank et sa famille sont dénoncées et délogées de leur cachette à l’été 1944. D’abord déportées au camp d’Auschwitz-Birkenau, Anne rejoint également Bergen-Belsen au début de l’année 1945. Là-bas, les deux amies auront la chance de se parler une dernière fois, derrière un mur de barbelés. Anne décèdera du typhus quelques jours plus tard, et Hanneli sera libérée. Elle rejoindra les Pays-Bas. Cette histoire racontée du point de vue d’une petite fille m’avait énormément remué enfant. J’ai décidé de porter ce prénom en hommage à cette personnalité, même s’il est féminin de base : ce n’est pas grave, je le trouve mixte.

Des processus de choix différents

Plus de deux cents personnes m’ont adressé les histoires de leur choix de prénoms: je ne pourrai pas parler de tout le monde. J’ai cependant pu classifier les manières dont chacun·e avait tranché. Tout d’abord, il y a celleux qui font ce choix important avec leurs proches. Accompagné·es d’un parent, d’un frère ou d’une sœur, ou bien de leurs ami·es, iels nous confient avoir réfléchi à plusieurs. Par exemple, Saule a réfléchi avec sa maman, qui voulait l’appeler Soleil; puis ensemble, iels ont choisi Saule. Pour certain·es, il s’agit de ne pas totalement couper les ponts avec leur deadname (prénom de naissance donné par les parents, qui n’est plus utilisé ensuite) en proposant quelque chose d’assez proche, parfois rattaché à des racines familiales ou encore à un surnom. Sol nous explique : «Sol est proche de mon prénom de naissance, parce que plus simple pour ma famille, et même pour moi. Puis il me relie à mes origines espagnoles, dont j’ai été coupé entièrement!» Pareil du côté d’Enio : «Moi, c’est parti d’un surnom qu’on m’a donné: Nini, Eni. Je trouvais ça rassurant. Et puisque je suis d’origine italienne, j’ai cherché dans les prénoms italiens: j’ai trouvé Enio.» Pour Lina, le prénom qu’elle s’était choisi à la base était trop compliqué à prononcer pour sa mère grecque, elle a donc changé pour lui faciliter la tâche.

Le changement de prénom marque un véritable tournant dans la transition. Si certain·es se sont réveillé·es un matin avec leur nouveau prénom en tête comme une évidence, le parcours est loin d’être aussi aisé pour d’autres.

Pour d’autres, le choix d’un prénom qui ne soit pas catégorisé comme féminin ou masculin paraît essentiel. Lou, Sacha, Charlie, Alex… C’est un bon moyen pour elleux de marquer une fluidité de genre ressentie et de s’affranchir de la binarité imposée des prénoms. Pour d’autres, comme Cauli, Lux, Lumi, Dex, iels ont carrément inventé leur prénom, en allant au-delà des possibilités assez limitées des variations mixtes classiques. Les prénoms sont courts, sans consonances nationales particulières. Léorose précise : « Je voulais un prénom qui ne me paraissait pas “viril”. Je ne me voyais pas m’appeler Thomas ou Sébastien. J’ai inventé le mien. Je le voulais doux, poétique et romanesque. Je voulais qu’il aille avec ma personnalité.» À contrario, certain·es ont préféré un prénom plus classique, en se rattachant par exemple à celui que leurs parents leur auraient donné s’iels avaient été attribués à un autre genre à la naissance. C’est le cas de Baptiste. Andrea, quant à lui, avait prévu d’appeler ainsi son enfant, s’il en avait un un jour. Enfin, quelqu’un·es ont aussi choisi de rendre hommage à un personnage historique, religieux ou encore issu de la pop culture. Pour Odd, son prénom vient du dessin animé Code Lyoko et de son personnage préféré, qui, à son instar, n’est jamais vraiment identifié comme un homme ou une femme. Il en va de même pour Jophiel qui, passionné par les anges dans la Bible, a sélectionné son prénom parmi les noms de ces derniers.

Renaître autrement

Pour toustes, le changement de prénom marque un véritable tournant dans la transition. Si certain·es se sont réveillé·es un matin avec leur nouveau prénom en tête comme une évidence, le parcours est loin d’être aussi aisé pour d’autres. Et si les prénoms peuvent être refusés par l’administration, parfois, l’obstacle vient tout simplement des proches, qui ont du mal à accepter ces nouvelles dénominations. Certain·es passent par un surnom, dérivé du deadname, avant de pouvoir faire accepter le nouveau prénom, quand d’autres continuent d’utiliser leur appellation de naissance auprès de leurs familles pour ne pas les heurter, ou pour leur propre sécurité face à de potentielles réactions transphobes.

Ce choix puissant, celui de changer de prénom, révèle au monde. Aussi intime que politique, ce changement est une étape importante de chaque transition.

Si la sociologie de cette modification personnelle est vaste et mériterait un ouvrage entier, il est important de souligner que ce moment dans la vie d’une personne trans est un véritable sentiment de reprise de contrôle sur elle, sur son identité, sur son passé. Ce choix puissant, celui de changer de prénom, révèle au monde. Aussi intime que politique, ce changement est une étape importante de chaque transition. Véritable résilience face aux violences transphobes systémiques de notre société, il est plus que tout important de faciliter cet ajustement pour le bien-être de toustes, et que chacun·e y mette du sien: l’administration, bien sûr, mais aussi et surtout les proches, qui sont les premiers soutiens.

Article écrit par Hanneli Victoire, issu de PAULE N1 « Evolve ».

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