POURQUOI IL FAUT REGARDER « MISS AMERICANA », LE DOCU NETFLIX SUR TAYLOR SWIFT

Le film réalisé par Lana Wilson montre une artiste à vif, et aborde des sujets nécessaires qui résonnent au-delà du cercle fermé de l’élite musicale : troubles alimentaires, harcèlement, solitude.

Taylor Swift n’est pas la première artiste à se lancer dans l’aventure du documentaire autobiographique. Les One Direction l’ont fait, Justin Bieber l’a fait. Quand Miss Americana a été annoncé par Netflix, je m’attendais donc à un énième film niais qui dépeignait le quotidien de rêve d’une pop star en quête de toujours plus d’attention. Et en fait, non. Le long métrage qui a fait l’ouverture du festival de Sundance dévoile des facettes émouvantes et authentiques de la chanteuse. En 1h25, on la suit dans les coulisses de l’écriture puis de la production de son dernier album, Lover. On assiste à des conversations intimes et difficiles avec ses proches. On l’écoute se livrer sur les moments clés de sa carrière, et se confier sur ceux qui l’ont particulièrement affectée. On découvre une jeune femme touchante et la pression monumentale qui repose sur ses épaules – qu’elle s’inflige parfois elle-même. Surtout, on apprend que son besoin d’être identifiée comme une « good girl », ou « gentille fille », qui en dit long sur la place qu’on réserve aux femmes dans l’industrie, est à la base de son mal-être parfois destructeur.

Les conséquences de l’acharnement médiatique

Le documentaire démarre après la « disparition » de Taylor Swift. « Personne ne m’a physiquement vue pendant un an », lance-t-elle à la caméra. Un trou dans le CV entre 1989 et Reputation, album dans lequel elle règle ses comptes avec ses détracteurs (Katy Perry ou Kanye West, pour ne citer qu’eux), qui lui était quasi vital. Comme si elle était à deux doigts de se brûler les ailes, mais avait eu le réflexe de faire une pause avant d’exploser en vol. Pourtant de l’extérieur, on croyait à une personne entourée, inébranlable. Une chose qui m’a d’ailleurs frappée pendant le film, c’est sa solitude. On ne voit pas le clan qui partageait sa villa pendant l’étrange photoshoot d’Independence Day, époque où elle fréquentait Tom Hiddleston. Pas de Gigi, pas de Cara, pas de Karlie. Selena Gomez fait une brève apparition dans les archives des Grammys mais sinon, les seuls membres de son entourage à y figurer sont de rares amies d’enfance, son équipe et ses parents. Joe Alwyn, qui partage sa vie depuis quatre ans, se montre à peine en coulisses d’un de ses concerts. 

Crédit : Netflix

Cette discrétion est sûrement la clé de la longévité de leur couple. Mais aussi une façon pour Taylor Swift de ne plus être définie par ses relations. On se souvient des multiples commentaires de présentatrices (souvent) et présentateurs (parfois) sur ses conquêtes. Au Grammys, en 2015, une journaliste avait même osé un « Vous n’allez pas seulement rentrer avec des récompenses ce soir, mais aussi avec beaucoup d’hommes », en pointant les jambes nues de l’artiste. Bas. Et humiliant, comme le confie la chanteuse. Devant les images qui décomptent la pluie de critiques, on réalise que la plupart viennent de femmes. Un manque de sororité sournois qui fait mal. Sur son comportement : « Taylor Swift m’agace », son apparence : « elle est trop fine » mais rien de constructif, ou rarement, sur ses performances musicales. La conséquence la plus dramatique de ces attaques gratuites : les troubles alimentaires qu’elles déclenchent. Pour la première fois, Taylor Swift aborde cette partie de sa vie, qu’elle a enfin mise derrière elle.

Elle raconte qu’elle fonctionnait selon un principe de bons et mauvais points. Un tabloïd titre « Enceinte à 18 ans ? » quand son ventre n’est pas tout à fait plat, elle « enregistre ça comme mauvais », explique-t-elle. On la félicite de rentrer dans les tailles standards des défilés, elle « enregistre ça comme bon ». L’attention permanente qui lui est portée la rend obsédée par son corps et les kilos qu’elle pourrait prendre. Elle assure à ceux qui s’inquiètent pour elle qu’elle mange, qu’elle a cette silhouette car elle fait beaucoup de sport. « En réalité je ne mangeais pas », avoue-t-elle. Le déclic viendra de l’épuisement qu’elle éprouve à la fin de ses performances. « Je pensais que j’étais censée avoir l’impression que j’allais m’évanouir à la fin d’un concert, ou au milieu de celui-ci », atteste-t-elle. « Maintenant, je me rends compte que non, si on mange, on a de l’énergie, on devient plus forte, et on peut faire tous ces shows et ne pas se sentir (affaiblie) ». Mais même en affichant un corps qui colle parfaitement aux standards de beauté, les critiques ne s’amenuisent pas. Elle dénonce l’impossible équation : « Si vous êtes assez mince, alors vous n’avez pas ce cul que tout le monde veut. Mais si vous avez assez de poids sur vous pour avoir un cul, votre ventre n’est pas assez plat ». Et puis, le KanyeGate l’achève.

La querelle qui va trop loin

On replace le contexte : en 2009, Taylor Swift gagne un VMA dans la catégorie meilleure vidéo de l’année. Elle a 20 ans, elle explose de joie, émue. Sauf que Kanye West débarque en lui arrachant le micro des mains pour assurer que Beyoncé aurait dû l’emporter. La jeune femme se retrouve sur scène, désemparée, devant une foule qui hue le rappeur (à l’époque, elle pense d’ailleurs que la réaction du public lui est destinée). Les images sont douloureuses, on ne peut qu’imaginer ce qu’elle ressent à ce moment-là. Même Barack Obama a traité Kanye West d’abruti (jackass, en anglais) tellement la scène l’a offensé. Mais Taylor Swift garde la face, peut-être à tort. Aux journalistes qui l’interrogent après l’incident, son visage ne trahit pas ses émotions. Elle répond simplement qu’elle ne connaît pas l’artiste et qu’elle ne veut « rien commencer » (le réflexe « good girl », encore). Trop tard, les fans des deux clans s’en chargent.

En 2016, deuxième round. Kanye sort l’album Life Of Pablo, dans lequel il la mentionne dans le morceau Famous : « J’ai l’impression que Taylor et moi pourrions encore coucher ensemble ; J’ai rendu cette pétasse connue ». Je la fais courte : elle l’attaque, il prétend qu’il a eu son autorisation par téléphone (vidéo tournée par Kim à l’appui), la presse et le public s’acharnent contre elle, la traitent de menteuse. Pour quelqu’un qui base toute sa confiance en soi et son bonheur sur ce que les gens pensent, l’épreuve est insurmontable. Surtout, si elle a bel et bien accepté qu’il l’évoque dans son titre, à aucun moment voit-on Kanye lui dire exactement de quelle façon. Le mot ‘bitch’ n’est jamais révélé dans les images diffusées par le clan Kardashian. Quelles que soient ses préférences musicales, le constat révolte : Taylor est à nouveau seule contre beaucoup si ce n’est tous, et assénée d’injures quand elle ne fait concrètement pas grand chose de mal. Ses actes ne sont en rien à la hauteur de la haine déversée à son encontre.

L’envie d’agir

Celle qui n’avait jamais prononcé un mot plus haut que l’autre ni même exprimé ses opinions politiques – silence qui lui a parfois valu d’être identifiée comme conservatrice pro-Trump – subit un flot d’agressivité terrible. Une vague de critiques injustifiées qui la terrassent. Alors foutue pour foutue, et de retour sur le devant de la scène, elle veut dorénavant que la raison derrière cet acharnement soit au moins liée à quelque chose en quoi elle croit. Qui vaille la peine. En 2018, alors que la candidate républicaine Marsha Blackburn est en passe d’être réélue sénatrice du Tennessee, elle sort de sa prétendue neutralité. Elle refuse qu’une femme homophobe qui a voté contre le Violence Against Woman Act – qui entend protéger les femmes des violences sexistes et du harcèlement – représente son état au nom de supposées valeurs chrétiennes. « Je suis du Tennessee et je suis chrétienne et je ne pense pas comme ça », rétorque t elle à son père qui s’oppose à ce qu’elle annonce publiquement son soutien aux candidats démocrates, par peur du retour de flamme.

Elle ne cède pas, publie un post Instagram pour expliquer son choix et encourage ses fans à aller voter. Les plus de 51 000 jeunes qui s’inscriront dans les bureaux de vote après sa prise de parole ne suffiront pas à contrer Blackburn, mais prouveront à Taylor Swift que son influence peut être utilisée pour tenter de changer ce qu’elle trouve injuste. Aujourd’hui, si l’artiste guérit petit à petit et semble être sortie de la tourmente, on saisit quand même une fragilité sous la carapace de superwoman américaine qui trahit des blessures profondes, et émeut.

Crédit : Netflix

Alors certes, le but de la manœuvre n’est pas de pointer les défauts de la musicienne. Le documentaire est de son côté, du début à la fin. Mais là où il se distingue des autres, c’est en abordant des sujets sensibles qui dépassent le cadre de la célébrité. Car au-delà d’éclairer sur la vraie vie derrière les paillettes, il touche à des maux universels. Et remet en question notre rapport aux célébrités. On n’aimera pas plus ni moins Taylor Swift à la fin, mais on s’accordera sur une chose : personne ne mérite ce revers de la médaille, aussi brillante soit-elle.

Article de Pauline Machado

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