POUR QU’UNE RELATION MARCHE, FAUT-IL QUE LA LUNE DE MIEL S’ARRÊTE ?

Le couple commencerait-il « vraiment » après les papillons et les palpitations incontrôlables ? Des psy répondent.

Le sujet prête au débat. Entre ami·e·s ou sur les réseaux, les pour et les contre se chamaillent autour de la définition de l’amour véritable, et surtout de la notion de « lune de miel », dont le concept est autant idéalisé que remis en question. 

Il y a d’un côté convaincu·e·s que dans certains cas, les papillons sont éternels, et de l’autre, les adeptes d’une évolution plus raisonnée de la relation. Celles et ceux qui assurent que la période post-rencontre ne se termine jamais quand on aime vraiment, et en face, le camp opposé, qui soutient fermement que le meilleur se passe après ce qu’il considère comme les préliminaires. Orelsan, lui, a pris parti. Dans son morceau Paradis, il chante : « Ça fait sept ans qu’on sort ensemble depuis deux semaines ». Sous-entendu que, même après une quasi décennie, les sentiments et l’excitation irrésistibles du début sont intacts. C’est beau. Vraiment.

En réalité, et ça va sans dire, personne n’a tort, personne n’a raison. Chacun·e a surtout le droit de ressentir ce qu’il·elle veut. Seulement, en lisant les témoignages d’une partie de la population connectée, je m’interroge : tous les couples sont-ils voués à ce que l’intensité initiale s’évapore au profit d’une sérénité plus ancrée ? Et si oui, est-ce vraiment à ce moment-là que les choses sérieuses commencent ?

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures

Si je dois me baser sur ma propre expérience, je dirais que je penche pour l’entre-deux. Au bout de deux ans et demi de relation et un bébé de dix mois (faites le calcul), je n’ai pas l’impression qu’on sort ensemble depuis deux semaines. Et pour moi, c’est plutôt positif. 

Au bout de deux semaines, début mars 2018 pour être exacte, il y avait peut-être les palpitations qui me montaient au cerveau quand je le retrouvais sur le quai de la gare Rouen-Rive Droite, frigorifiée par le froid normand, mais pas la complicité unique qui nous lie maintenant. La douceur, la confiance, la compréhension, la sensation de vivre avec la personne qu’on préfère sur Terre (ex-aequo avec le lardon qui pionce tranquille dans son lit à barreau à l’heure tardive qu’il est), sont venues plus tard. Avec les blagues nulles dont on n’a plus honte, les engueulades et la fatigue qui nous fait dire n’importe quoi, peut-être. Mais tout ça n’entache pas la solidité de ce qu’on a. Histoire de rajouter un peu de miel dégoulinant à cette déclaration improvisée, je conclurais en disant : pour rien au monde je ne retournerais aux premiers jours, aussi magiques soient-ils dans mon esprit. Parce que ceux qu’on vit maintenant sont encore mieux. Voilà, j’ai fini.

Du côté des expert·e·s, on appuie mes arguments, mais on donne à la lune de miel une durée de vie qui va clairement au-delà de deux petites semaines. On parle de trois ans environ, comme le film et le livre de Frédéric Beigbeder du même nom, qui aborde la question au fil des pérégrinations sentimentales d’un Gaspard Proust cynique et certain que, pire encore, c’est l’amour tout entier, qui ne durerait que trois ans. Optimiste. Heureusement, sa règle n’est pas universelle.

La faute aux contes de fée

« Si nous ne regardons que la gravité, ce qui monte doit inévitablement redescendre », lance Lauren Goldstein, thérapeute de couple sûrement réputée outre-Atlantique pour ses comparaisons imagées, à la publication américaine Mel Magazine. « Mais cela ne veut pas dire qu’il doit y avoir une chute, et à mesure que la passion s’estompe, d’autres parties de la relation peuvent s’approfondir et se développer. » Ouf. Shelli Chosak, spécialiste du comportement humain et titulaire d’une licence de l’État de Californie en thérapie conjugale et familiale, poursuit en affirmant que la phase de lune de miel est loin d’être la réalité d’une relation à long terme. Elle a d’ailleurs une idée précise sur la raison pour laquelle on la met sur un piédestal, comme preuve ultime qu’on a rencontré son âme-soeur. « Pour beaucoup, ce rêve commence dès l’enfance avec des histoires de bonheur pour toujours », explique-t-elle. « Cependant, nous ne pouvons pas fantasmer longtemps avant que la réalité ne s’installe.”

Rude awakening : Blanche-Neige et le prince-dont-on-ne-sait-pas-le-nom ne passeront donc pas les prochaines décennies à chantonner qu’ils s’aiment dans les bois. Parce qu’une fois le baiser (non-consenti) dans le cercueil et le mariage derrière eux, la routine débarque, le quotidien prend le dessus. « Siffler en travaillant » ? Pas tout le temps. On se demande : l’idylle du début s’érode-t-elle toujours sous le poids éreintant des vagues de la vie ? Pour citer JP Fanguin : la question, elle est vite répondue. 

« La phase de lune de miel sert à lier les deux parties et une fois que cela est fait, ce n’est plus nécessaire », avance la psychologue Jeannette Raymond. « C’est une désillusion qui peut frapper durement, mais c’est aussi le creuset sur lequel se construit une relation plus mature, où les amoureux s’acceptent l’un l’autre tels qu’ils sont, non pas comme des figures divines idéales qui sont toujours réceptives et disponibles, mais comme quelqu’un avec qui il faut trouver et co-créer continuellement une base plus satisfaisante qui permet l’épanouissement personnel ».

L’épanouissement personnel. Ça donne envie. Ça passe par l’acceptation de soi, mais aussi la certitude que l’autre nous accepte telle que l’on est. Et pour Shelli Chosak, c’est justement après la lune de miel que les défauts pointent le bout de leur nez, et qu’on réaliser si la relation est faite pour durer. Un moment clé qui la renforce, garantit la spécialiste. « Lorsque la phase de lune de miel se termine, vous pouvez commencer à vivre dans le monde réel, et vous pouvez commencer à apprendre à vivre avec quelqu’un qui n’est pas parfait », souligne l’experte. « Cela conduira finalement à une vie plus satisfaisante et à une relation plus enrichissante. Il n’y a pas de plus grande satisfaction que d’être aimé à cause de ses défauts, et pas seulement en dépit d’eux ».

Finalement, peut-être que le problème ne vient pas tant de la lune de miel elle-même que de l’importance qu’on lui accorde, dans la vie comme dans la fiction. Et la façon dont on l’oppose à « l’après ». Comme si ces deux étapes ne pouvaient pas être tout aussi riches de sentiments. Et surtout complémentaires, essentielles, l’une après l’autre, à la construction d’un couple. Depuis mes presque trois ans de relation en tout cas, j’en suis persuadée : c’est ce relais-là, la clé.

Chronique de Pauline Machado

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