Métavers : le pari de l’inclusivité est-il possible ?

Selon Mark Zuckerberg, le métavers serait une version plus immersive et incarnée d’Internet. Si ces mondes virtuels sont des réseaux sociaux sous stéroïdes, plus vrais que vrais, qu’est-ce que ça signifie pour les personnes déjà marginalisées ? Y subiront-elles de nouvelles formes de discriminations ? Dans ce cas-là, comment leur assurer une expérience sécurisée où elles ont voix au chapitre ?

texte vert sur fond dégradé violet "Metavers et inclusivité : l'utopie ?"
© PAUL.E

Les personnes marginalisées et/ou issues de minorités expérimentent un panel de discriminations virtuelles sur la plupart des plateformes de médias sociaux. Rien d’étonnant quand on sait que ces réseaux sont construits et pensés par des hommes blancs qui cultivent l’entre-soi et l’impunité. Profil racial de ses utilisateur·ices, suppression de commentaires et d’initiatives dénonçant le racisme ou le sexisme… Meta (anciennement Facebook), l’entreprise à l’origine du célèbre métavers Horizon Worlds, n’y échappe pas. 

Un espace inclusif et diversifié est un espace où la plupart des minorités se sentent libres, impliquées et en sécurité : or, si ce n’est déjà pas le cas sur les plateformes classiques, pourquoi et comment ça pourrait-il être le cas dans le métavers ? Sans les bonnes clés en main, ces mondes virtuels foncent droit dans le mur…

La promesse utopique du métavers

En 2021, Meta annonçait sa volonté de tout miser sur le métavers, un espace en ligne accessible grâce à des outils de réalité virtuelle, comme avec des casques. Aujourd’hui, l’entreprise de Mark Zuckerberg possède deux principales plateformes de réalité virtuelle : Horizon Worlds, un réseau social en 3D permettant aux utilisateur·ices de créer des « mondes » personnalisés, et Horizon Venues, qui héberge des événements conçus pour le métavers. 

Ces plateformes surfent sur la promesse de donner à toustes les utilisateur·ices la possibilité d’incarner qui iels veulent et de créer des mondes inédits, sans frontières ni restrictions… Bref, des espaces libres et déconnectés des dynamiques discriminatoires qui leur permettraient d’échapper aux contraintes matérielles du monde réel et à certains aspects de leur identité. Mais est-ce vraiment le cas ?

Des espaces hostiles pour les minorités sexuelles, de genre et de race

Ce n’est un secret pour personne, Meta est à la ramasse quand il s’agit de modérer ses plateformes (Facebook, Instagram ou encore WhatsApp), où fake news et contenus sensibles et discriminatoires pullulent en quasi totale impunité. Dans le métavers, ce serait encore pire… Malgré le nombre modeste d’utilisateur·ices à ce jour (300 000), Horizon Worlds serait en passe de devenir le paradis des contenus nuisibles.

Selon le rapport de SumOfUs, un groupe de surveillance des entreprises, le métavers serait un espace dépourvu de modération permettant aux comportements toxiques de proliférer. Entre autres, le groupe dénombre de nombreux cas de pelotages virtuels et de viols collectifs, de commentaires à caractères sexuels, homophobes et racistes – favorisés par « des processus inadéquats pour signaler les violations », « une absence de mesures à l’encontre des utilisateurs qui enfreignent les directives des plateformes » et une facilité pour les mineur·es d’accéder à la plateforme. À titre d’exemple, seulement une heure après avoir mis les pieds dans le monde virtuel de Meta, une chercheuse de SumOfUs a été violée par un utilisateur lors d’une fête privée.

Une étude du Center for Countering Digital Hate (CCDH) a même révélé que les utilisateur·ices y étaient exposé·es à des comportements abusifs, comme du harcèlement, du racisme ou des violences sexuelles, toutes les 7 minutes. Même les avatars, des personnages virtuels que les utilisateur·ices peuvent créer pour se représenter, sont le reflet des oppressions subies par les minorités, puisqu’ils feraient « ’ en fonction de la race ou de leur genre perçu·es ».

Face à des comportements aussi nuisibles pour les femmes, mineur·es, personnes racisées, membres de la communauté LGBTQIA+ et autres personnes marginalisées, qui rendent ces espaces à la fois nocifs et inaccessibles, comment parler de diversité et d’inclusivité ?

Un combat perdu d’avance ?

Tout n’est pas si noir dans le métavers, l’entreprise Meta elle-même lance quelques initiatives pour tenter de rendre l’atmosphère plus bienveillante et inclusive. C’est notamment le cas de la mise en place d’une équipe de recherche censée diversifier les avatars et proposer « un quintillion de combinaisons différentes ». L’entreprise se serait associée à des expert·es en matière « de handicap, de race et de genre » pour leur conception, ainsi que pour la création d’un dispositif de description audio pour les personnes souffrant de déficiences visuelles.

Mais des avatars en fauteuils roulants ou portant une afro sont loin de suffire à rendre la plateforme plus safe. Avant même d’envisager un métavers plus inclusif, il serait de bon ton de se demander si ce genre d’initiative découle d’une démarche authentique appuyée dans d’autres sphères et canaux de l’entreprise, ou s’il s’agit d’un engagement de surface. Les entreprises en ligne qui surfent sur l’éthique ne doivent pas seulement penser en termes d’esthétique et de représentation, elles doivent aussi se demander comment ces identités marginalisées sont impliquées sur tous les autres plans, en coulisses.

Pour commencer, comment garantir le respect des politiques de la plateforme et la sécurité de toustes si le nombre de modérateur·ices est plus qu’insuffisant ? Meta a bien tenté de mettre en place de nouveaux dispositifs de sécurité pour pallier le manque d’effectif, comme le contrôle parental ou la création d’une bulle de sécurité personnelle permettant de maintenir les autres à distance, mais ceux-ci peuvent être facilement contournés. Si rien n’est fait pour tenir Meta et les utilisateur·ices responsables des préjudices pointés du doigt dans le métavers, le monde des Bisounours promis par Zuckerberg risque de se transformer en un enfer incontrôlable.  

La représentation ne fait pas tout non plus. Pour rendre le métavers plus inclusif, il faut employer des personnes minorisées pour qu’elles participent à la conception de leurs propres espaces sécurisés. Parmi les 10 000 nouveaux et nouvelles employé·es dédié·es au métavers, combien sont réellement concerné·es par les questions de diversité et d’inclusivité ? Pour que ces espaces virtuels fonctionnent pour tout le monde, les personnes issues de communautés marginalisées doivent les façonner. Jeff Nelson, cofondateur et directeur de Blavity, une plateforme dédiée aux jeunes créateur·ices noir·es, expliquait au média Make it que « morsque vous n’avez pas à la table des personnes qui ont historiquement souffert de préjudices ou d’abus, alors vous ne construisez pas les plateformes de manière à protéger ces personnes. »

Selon le magazine Fast company, pour que le métavers soit plus inclusif et plus juste, il faut donc que le design même des plateformes soit repensé selon ce qu’on appelle la « design justice », qui consiste à « placer les personnes qui ne détiennent pas de pouvoir dans la société au centre du processus de conception afin d’éviter de perpétuer les inégalités existantes ». 

Les algorithmes, aussi, doivent être réformés. Ceux-ci poussent à longueur de journée des contenus selon une multitude de critères, souvent empreints de biais racistes, sexistes, grossophobes et validistes. Il faut également veiller à ce que les créateur·ices de contenus minorisé·es soient mis·es en avant. De plus en plus d’entreprises font appel à des influenceur·euses virtuel·es, inventé·es de toutes pièces, pour promouvoir leur produit. Le métavers encourage inévitablement cette pratique. Au lieu d’investir sur la conception de personnages numériques qui s’identifient à certains groupes minoritaires, pourquoi ne pas miser sur un·e créateur·ice réellement issu·e de ce groupe minoritaire ?

En somme, un métavers plus juste et plus inclusif nécessite une approche centrée sur l’humain, sur l’écoute, mais aussi sur la compréhension et la mobilisation des enjeux et expériences des communautés marginalisées. Passer une couche superficielle d’inclusivité et d’accessibilité après la conception-même des plateformes du métavers est non seulement inutile, mais cela arrive trop tard et rend l’utilisation de ces espaces dangereux pour les personnes concernées. Ces dernières doivent être incluses au centre et dès le commencement du projet, sinon tout ça n’est qu’une maigre façade.

Un article d’Audrey Couppé de Kermadec

 

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