LIBERTÉ, SEXUALITÉ, SORORITÉ : CE QUE LES SORCIÈRES NOUS ONT APPRIS

Diabolisées à l’extrême, les sorcières ne sont autres que des femmes qui ont décidé de vivre selon leurs propres règles. Et en cette fin octobre, on célèbre leurs enseignements.

A quelques heures d’Halloween, on fait le point. Niveau costume, déjà. Si l’engouement français pour la fête automnale n’est clairement pas aussi démesuré qu’au Royaume-Uni ou aux US, ça reste une occasion en or pour faire preuve d’imagination vestimentaire. Avec une touche sanguinolente, la plupart du temps. Quoiqu’il y a toujours deux équipes. Celle des frileux.ses du déguisement – qui miseront sur une légère goutte de sang au coin de la lèvre -, et celle des friand.es du dépassement de soi – au sens propre du terme. Ces dernier.es font de la célébration des esprits et autres fantômes une ode à la créativité, oubliant parfois leur dignité dans un coin de tiroir (je parle en connaissance de cause), ou en investissant dans une tenue collector qui ne sera portée qu’une fois – et probablement tachée de punch rouge sang au bout de deux minutes – mais qui vaudra le coup rien que pour les photos Instagram.

L’autre aspect du 31 octobre qui nous attire, c’est son lien évident avec le monde de la sorcellerie et de ses énigmatiques praticiennes : les sorcières. On les a d’abord côtoyées à travers les séries, films et dessins-animés qui leur sont dédiés. Hocus Pocus, Sabrina l’apprentie sorcière, son adaptation Netflix réussie, Charmed, ou encore les innombrables méchantes signées Grimm et Disney, qui nous ont traumatisées gamines, ont fait naître en nous une peur bleue des pommes rouges et un agacement certain face à la naïveté de Blanche-Neige.

Et puis, le sujet est revenu plus sérieusement sur le tapis. Notamment grâce à une renaissance des croyances non-religieuses et plus concrètement, à l’avènement de Mona Chollet à travers son essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes. On a replongé le nez dans leurs grimoires pour découvrir qui étaient vraiment celles à qui l’on filait quasi systématiquement le mauvais rôle – de tentatrices quand elles ne sont pas caractérisées de malfaitrices -, avec verrues sur un nez forcément crochu et haillons en guise de fringues pour bien faire comprendre qui était la méchante dans l’histoire. Des adjectifs qui leur ont d’ailleurs coûté la vie.

Dès le XVIIe siècle, elles sont persécutées et assassinées en masse. La chasse aux sorcières purge les villes et villages européens puis plus tard américains de ces femmes dépeintes comme maléfiques, exécutant des dizaines de milliers d’entre elles à la suite de procès arbitraires. Le terme “sorcellerie” est attribué à la pelle, et la sentence n’est autre que le bûcher. Il y a le “Bien” d’un côté, le “Mal” de l’autre. Une notion binaire établie par un système patriarcal qui entend contrôler ses foules – ou plus précisément, ses femmes. Ce qu’on leur reproche n’a rien à voir avec une manie de concocter des sortilèges à base de limaces et de laurier dans les bois, donc. Mais plutôt avec la façon dont ces « sorcières » défient les traditions sociétales de l’époque (qui règnent encore aujourd’hui), et pavent la voie de l’indépendance et de la rébellion féminine.

Liberté, sexualité, sororité 

Ce qui dérange à la Renaissance, ce ne sont pas tant leur cheveux roux (parfois jugé comme un argument suffisant pour une condamnation) que la façon dont elles souhaitent vivre leur vie : libres. Libres d’avoir des enfants ou non, libres de vivre seules – comprendre : sans hommes de qui elles dépendraient -, libres de vivre leur sexualité comme elles l’entendent. « L’histoire de la sorcellerie, c’est l’histoire de l’autonomie », explique ainsi Mona Chollet. « La sorcière est le seul archétype féminin qui détient un pouvoir par elle-même. Elle ne se laisse pas définir par quelqu’un d’autre. Épouse, sœur, mère : ces archétypes sont fondés sur les relations avec les autres. La sorcière est une femme qui tient debout toute seule. » Et si aujourd’hui, en France, on ne condamne plus officiellement celles qui sortent du schéma traditionnel du couple hétérosexuel avec enfant, on continue toutefois de marginaliser, d’interroger, de pointer du doigt les héritières plus ou moins conscientes de ces martyrs historiques. 

On se méfie de celles qui sont célibataires « trop » longtemps, on diabolise et ridiculise la vieillesse féminine quand on encense la maturité masculine, on associe les femmes qui vivent seules à des qualificatifs péjoratifs, comme si ce mode de vie ne pouvait en aucun cas être un choix délibéré synonyme de bonheur. Alors que les sorcières, anciennes ou modernes, ne suivent au contraire que leur propre volonté. Et ont beaucoup de choses à nous apprendre, notamment en matière de sororité. Car cette solidarité féminine qui les caractérise, le fait qu’elles préfèrent la compagnie de leurs pairs en opposition à la domination masculine, et ce depuis la nuit des temps, révèle moins une menace qu’un besoin de se protéger, de se retrouver par bienveillance pour aborder des sujets qui leur sont propres, et d’affronter ensemble la société. Un retour à l’essentiel qui se traduit également par une approche plus authentique du quotidien, une écoute plus attentive de la nature qui les entoure. De leurs désirs et de leurs envies aussi. De reprendre le contrôle de leur corps, de leur sexualité, et de s’affranchir d’une ligne de conduite dictée par l’homme.

Se revendiquer sorcière, à notre ère, signifie ainsi davantage que s’intéresser à l’ésotérisme et se pencher sur l’interprétation des cartes – aussi fascinantes soient ces pratiques. C’est saisir les enseignements de femmes qui ont payé le prix cher pour s’être rebellées, et qui préféraient mourir que de rentrer dans les carcans étriqués d’une société déjà obsolète. Alors cette fois-ci pour Halloween, si on se déguise en sorcière, on saura expliquer avec aplomb que ce qui nous a inspirée pour le costume ne réside pas seulement dans l’admiration d’une série fantastique des années 90. Mais bien dans une volonté de célébrer l’émancipation des femmes.

Article de Pauline Machado

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