LA GROSSESSE, CETTE PÉRIODE MERVEILLEUSE ?

Parce que les neufs mois qui précèdent la naissance n’ont pas toujours des airs d’idylle utopique. Loin de là.

J’écris ces mots depuis le canapé de ma belle-mère, le dos en bouillie à 7h20 du matin un dimanche, alors que je tente de soulager ma sciatique avec un coussin entre les jambes, et mes lombaires avec le dossier du sofa. Je suis sur le flanc, coincée dans une sorte d’angle droit vaguement confortable. Il fait encore nuit, l’alien chéri qui pousse dans mon ventre en profite pour me filer des coups de pied dans les côtes. J’ai faim. A ce moment-là, clairement, la grossesse me gonfle. J’en suis à 8 mois. Ou 37 SA comme disent les mamans sur les forums BabyCenter (une source inépuisable d’infos pour femmes enceintes bienveillantes, qui se donnent des surnoms en fonction du mois de naissance de leur rejeton. “Novembrette”, “octobrette”. Mon péché mignon). 

Plus que quelques semaines de régime aux courgettes (mon corps a décidé de mal assimiler le sucre pendant les trois derniers mois, j’ai donc été freinée brusquement dans mon marathon de bouffe). Plus que quelques semaines à demander à mon mec de mettre puis lacer mes chaussures chaque matin. Plus que quelques semaines à avoir un nombril chelou en forme de volcan – qui sort un peu mais pas vraiment -, à dormir 16 heures par jour (quoique la double sieste n’est pas vraiment un point négatif), à me trimballer la braguette complètement ouverte, plus ou moins bien camouflée sous un bandeau en coton qui ne sera, je l’avoue, jamais lavé. La grossesse me gonfle, et très honnêtement, ça ne date pas d’hier. 

Pendant dix semaines au premier trimestre j’avais envie de vomir matin, midi et soir – les nausées matinales n’ont rien de matinal – sans toujours réussir à régurgiter ma nourriture pour me soulager. Au deuxième trimestre la canicule a failli m’achever, au troisième j’ai découvert que mon pancréas ne faisait plus le boulot – adieu les Pepito. Les escaliers me semblent une épreuve olympique (ne me lancez pas sur le manque notoire d’installations pour personnes à mobilité réduite dans le métro, catastrophique pour celles dont les capacités physiques totales ne réapparaissent pas au bout de neuf mois), les heures devant l’ordinateur : un supplice. Heureusement, le congé mat, attendu comme un début de lumière au bout du tunnel, aide pas mal. On est certes au bout du bout, fatiguée et en pièces, mais plus besoin d’assister à des réunions inutiles qui pourraient clairement tenir en un mail que personne ne lirait de toutes façons. Une frustration tellement partagée qu’il en existe des mugs à son effigie. 

Je préfère être précise sur un point cependant : je suis très heureuse d’attendre un bébé. Non pas que je sente le besoin de me justifier, c’est simplement la vérité. J’ai de la chance que la conception ait marché aussi vite et naturellement, et que ma future fille soit en bonne santé. J’ai hâte qu’elle arrive, de la rencontrer, de découvrir plein de nouvelles choses, de commencer une famille. De la pourrir de tenues ridicules et de la déguiser en burrito. De changer ses couches post-coliques et de supplier mon cher et tendre pour qu’il se charge de l’aspi-morve (je suis prête à endurer toutes les diarrhées du monde s’il me promet s’occuper de l’instrument de l’horreur qui mouche son petit nez et nous fait avaler du rhume avec). Quand elle ne vise pas ma cage thoracique, la sentir bouger est génial. 

Mais je sais aussi que ce n’est pas toujours le cas. Ce n’est pas toujours aussi évident, d’attendre la naissance sereinement. Au-delà du ras-le-bol général qui règne autour de beaucoup de grossesses (surtout les dernières semaines), on peut aussi avoir peur de la suite. Se dire que rien ne sera plus pareil et se demander comment/si on arrivera à gérer autant de changements. Va-t-on ressentir le coup de foudre instantané qu’on nous vend depuis la nuit des temps en se retrouvant nez à nez avec la petite chose visqueuse qui viendra de sortir de notre utérus ? Arrivera-t-on à élever – seule ou à deux – un être humain sain et équilibré ? Collera-t-on à la sacro-sainte définition de la “bonne mère” ? « Celle qui fait des gâteaux », comme le lance Aure Atika dans Comme t’y es belle. Toutes ces interrogations, ces craintes, ces doutes sont valides. Mais on a tendance à les enfouir, par honte ou par culpabilité.

Quand l’intime devient public

Le 1er octobre, je suis tombée sur le premier épisode de Mères, la nouvelle série documentaire de Josepha – aussi à l’origine de Meufs, qui décryptait ce que signifie être une femme en 2018 à travers plusieurs témoignages de Françaises. Cette fois, la réalisatrice aborde la maternité. Elle capture les confessions de femmes devenues mamans plus ou moins récemment. L’éducation, l’allaitement, le rapport au corps, à sa féminité et aussi : la grossesse. Les protagonistes racontent parfois dans quelles conditions elles ont appris être enceinte, et évoquent également la façon dont elles ont vécu ce bouleversement émotionnel et physique, avant de se prononcer plus longuement sur ce qui se passe après l’accouchement. Sur les sentiments confus qu’elles ont ressentis en se retrouvant en tête-à-tête avec leur enfant, notamment.  Pour toutes, la grossesse n’a pas été qu’une partie de plaisir.

Ce qui m’a marquée dans la quasi demi-heure de film, c’est la justesse d’une phrase d’une des interviewées. Elle confie qu’à partir du moment on l’on tombe enceinte, notre corps devient l’affaire de tous, comme un bien public. Tout le monde a son avis sur notre comportement, nos décisions, nos choix. Et tout le monde ou presque l’exprime comme s’il ou elle (souvent “elle”, d’ailleurs) en était légitime. En oubliant certainement que les seules concernées sont celles qui ont la responsabilité de faire grandir le foetus, et leur partenaire. Pas la voisine, pas la copine avec ou sans enfant, pas les tantes, les cousines, les mères, les grand-mères non plus. Et encore moins les inconnu.es qui s’empressent de nous sauter dessus pour juger nos écarts. Avant de toucher notre bide d’une main assurée qui semble venir tout droit des Enfers – l’air angoissant des Dents de la mer jouant en fond dans notre tête. 

La contradiction est de taille. On nous bassine avec le caractère instinctif et naturel de la maternité, la force de la femme qui devrait tout endurer sans mouffeter – y compris un accouchement sans péridurale et des crevasses sur les tétons pendant l’allaitement -, et on vient commenter nos faits et gestes, nous disputer comme si on avait douze ans dès qu’on n’agit pas parfaitement. Alors que, faut-il encore le rappeler, on fait surtout comme on peut. Avant, pendant et après la naissance du divin enfant.

Ecouter leurs histoires m’a fait un peu déculpabiliser de vouloir transporter des packs d’eau, rouler en voiture sur des pavés ou monter les marches entre la rue Lamarck et Caulaincourt au pas de “course” pour aider à déclencher l’arrivée. En finir avec la gestation pour passer à l’étape d’après. Aucune d’elles ne dénigre le bonheur qu’elle a eu à mettre au monde son nourrisson, mais aucune d’elles ne fait non plus l’impasse sur la réalité. Et breaking news : la maternité – à tous ses stades – est une putain d’épreuve. Parfois je me demande si celles qui ont vécu neuf mois rêvés ont eu une chance de dingue, si elles ont signé un pacte de silence en même temps que leur déclaration de grossesse ou si elles sont simplement amnésiques – ce qui expliquerait beaucoup de choses.

Quoiqu’il en soit, aborder le sujet tel qu’il est, sans prendre de gant ni perpétuer un mythe qui ne vaut pas pour toutes, demeure crucial. Parler des jambes lourdes et du ventre qui craque sous les vergetures, certes, mais aussi des légers problèmes d’incontinence qui surviennent au moindre fou-rire, des boutons d’acné qui camouflent tout ce qui pourrait se rapprocher du fameux « glow », des poils qui poussent sur le ventre, des gaz, des micro-fuites de liquide au niveau des tétons qui tâchent nos t-shirts avant l’heure. Et puis des vagues de tristesse, de perte de confiance en soi, d’impuissance face à son corps qui change. D’angoisse de faire quelque chose de mal, d’engloutir le bout de tomate qui nous filerait la toxo – parce qu’on ne se serait pas assez frottée aux crottes du chat familial petite pour en être immunisée. De ne pas réussir à concevoir un bébé en pleine forme.

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Briser le tabou pour mieux vivre ces mois parfois compliqués, et ne pas se sentir seule ou désemparée quand on fait l’expérience de ces surprises mentales et corporelles. La grossesse n’est pas toujours une période merveilleuse. Souvent elle fait flipper, elle crève, elle assomme. Mais elle mène aussi à un bonheur « indescriptible », comme on l’entend un peu partout, qui nous fait dire sans hésitation que bien sûr, ça vaut le coup. Ce qui n’empêche que le discours autour du sujet doit évoluer.

Article de Pauline Machado


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