EST-ON TOUJOURS LE CLICHÉ DE QUELQU’UN D’AUTRE ?
Dire de quelqu’un qu’il ou elle est un cliché n’a rien de bien reluisant. Mais en quoi est-ce si péjoratif et surtout, ne sommes-nous pas tous et toutes le « cliché » dont l’autre va aimer se moquer ?
Les clichés ont la dent dure. On les véhicule et on les subit, aussi. On le voit d’ailleurs dans le dernier livre d’Alice Pfeiffer, Je ne suis pas Parisienne – Éloge de toutes les Françaises (ed. Stock), même celui de la Parisienne commence à desservir notre cause ; celle de ne pas vouloir être définie par un stéréotype et tout ce qu’il implique. La journaliste y pointe d’ailleurs qu’il s’agirait presque d’une discrimination à l’égard de toutes les autres femmes qui ne rentrent pas dans le moule si bien formé de la brune à béret, que de continuer d’associer la Parisienne à un certain type de femmes et de comportement. Que sans la « cougar », la « cagole », la « beurette » – d’autres clichés qui inspirent davantage le mépris que l’envie – le mythe de cette Parisienne n’existerait pas. Et puis pour celles qui y entrent, dans ce moule, il devient aussi très réducteur. Je me souviens d’un Noël où ma cousine m’a affublée du sobriquet ma “cousine bobo” parce que j’osais mentionner Lomepal et mon affection pour Yeux disent. Elle n’avait évidemment pas tort, et il n’y a rien de mal à être bobo, mais mon égo en a pris un petit coup. Moi qui passait mon temps à critiquer plus ou moins gentiment les comportements attendus et « tellement clichés » des autres, je me retrouvais à mon tour prise pour cible et rangée sans précaution dans une case qui, si elle résumait bien quelques gros traits de ma personnalité, me réduisait aussi à simple membre d’une classe sans grande originalité.
J’ai commencé à repenser ces étiquettes qu’on appose aux gens. La bobo, le hipster, la geek, la Parisienne… Et à force de lire et d’écrire sur le sujet, je me suis demandé si on n’était pas de toutes façons forcées d’entrer dans une de ces appellations si étriquées, aussi spéciale se définit-on. Mon mec lance fréquemment la phrase “On est tous le beauf de quelqu’un” – de quoi faire redescendre un commentaire condescendant en deux secondes. Mais à plus grande échelle : est-on forcément le cliché de quelqu’un ? Correspond-on toujours à une quasi caricature, clairement identifiable par les autres et sujette à leurs railleries cinglantes ?
Déjà, définissons le terme. D’après le CNRTL, la bible linguistique française, « cliché » s’agirait d’une « expression toute faite devenue banale à force d’être répétée ; idée banale généralement exprimée dans des termes stéréotypés. » Selon Urban Dictionary, un autre genre de bible, c’est plutôt « être prévisible et peu imaginatif ; tomber dans un sillon d’ennui humain ; une vieille tendance fatiguée ». Ça plante le décor. Être un cliché ou simplement être cliché serait vivre selon certains stéréotypes liés à une appartenance géographique, de classe ou d’intérêts extérieurs. Jusqu’ici rien d’alarmant ni de véritablement dégradant. On ressemble à ceux et celles qu’on côtoie, on emprunte les codes d’un groupe auquel on appartient ou souhaite appartenir, ça semble sociologiquement logique. Seulement dans beaucoup de cas, on le traduit aussi par un manque de personnalité. A trop vouloir s’adapter, on deviendrait ordinaire, mainstream, et la notion fait peur. Personne ne veut être comme tout le monde, le conformisme file des boutons et pourtant, on continue de suivre certaines tendances à la lettre. De s’habiller en s’inspirant des autres, d’adopter des habitudes de vie selon ce qui est à la mode. Et il n’y a rien de mal à ça. Alors pourquoi regardons-nous ces clichés avec une telle hauteur, comme si ce pourquoi on œuvrait tant – adopter les codes d’un groupe, donc – nous rebutait à la fois ?
Une amie m’a soufflé que pour elle, il s’agissait clairement d’une contradiction narcissique typique. On critique les gens qui suivent la masse parce qu’on souhaite nous-même en sortir ; notre égo voudrait qu’on soit unique sur tous les plans. Mais pas trop quand même, histoire de correspondre à nos pairs. Prenez le Berghain par exemple. Le club berlinois a longtemps prôné l’anticonformisme comme ligne de conduite. Il ne ressemblait à aucun autre. Sauf que les quelques élus qui jouissaient du privilège d’y entrer avaient tous le même style : tenue noire, visage fermé (sourire revenait à signer un aller direct pour chez soi), maquillage à peine visible. L’antre de la différence était devenue un lieu réservé aux initiés identiques. Un constat péjoratif quand on y réfléchit alors qu’en fin de compte, être un cliché peut aussi signifier avoir trouvé sa place et suivre un mode de vie qui nous correspond. Surtout, quel que soit sa volonté de se séparer de ce qui nous catégorise, on finit toujours par se faire rattraper par une étiquette plus ou moins flagrante. Et si autant de personnes aiment certaines formes d’art, de culture, d’habitudes de vie, peut-être est-ce simplement parce que cela leur plaît et qu’ils en sont épanouis ainsi.
Là où ça peut devenir dangereux en revanche, c’est quand ces stéréotypes deviennent en effet discriminants. Qu’on n’associe à un type de personne qu’une certaine apparence ou façon d’être – comme la Parisienne et son teint diaphane ou la Femme française et sa nonchalance chic, par exemple – et qu’on refuse aux autres l’appartenance sous prétexte qu’elles ne possèdent pas toutes ses caractéristiques. Alors que les identités d’une Française, d’une Parisienne sont au contraire, plurielles. Mais on peut célébrer quelques côtés clichés de notre être sans pour autant renier ce qui nous rend singulière. Définir nos propres cases, et se dire que si on est forcément le stéréotype de quelqu’un, cela ne fait pas de nous des clones pour autant. En être consciente est nécessaire, pour en rire et s’en affranchir quand on le souhaite. Pour le reste, l’important est d’agir selon ses goûts et ses envies, en accord avec sa personnalité, aussi partagés – et parfois parodiés – soient-ils. Être unique oui, mais ne pas tomber non plus dans l’excès de contredire des désirs sous prétexte qu’ils sont populaires. Et puis, toujours s’en amuser, des clichés qui nous collent à la peau.
Article de Pauline Machado