Entre voyage interne et meilleure connaissance du monde

Plus qu’une mode ou une folie d’un soir, les expériences psychédéliques hors du temps pourraient éveiller à une meilleure connaissance de son « moi ». Une véritable évasion dans la psyché pour mieux comprendre le monde qui nous entoure !

Happé·es par la culture hippie et l’imagerie populaire des années 60 revisitée, les jeunes de 20 à 30 ans semblent de plus en plus conquis·es par les expériences psychédéliques (toutes les pratiques citées dans cet article sont considérées comme illégales en France, ndlr). En cause ? Une certaine lassitude liée à la société néolibérale compétitive qui manque parfois de sens, et la curiosité d’ailleurs de toute une génération soucieuse des enjeux environnementaux, sociaux et humanitaires de son époque.

Environ deux ou trois fois par an, Jules (tous les prénoms de cet article ont été modifiés, ndlr) se retrouve avec son groupe de potes qu’ils surnomment « la déconfiture », en référence au déconfinement, pour tester des nouveaux psychotropes. Cette année, la DMT (diméthyltryptamine) était de mise. Cette molécule existant sous forme naturelle dans plusieurs plantes, et aussi sous forme synthétique, généralement fumée, procure un effet hallucinogène quasi immédiat et de courte durée. « La DMT s’apparente beaucoup au LSD. Il y a des jeux de couleurs avec des formes géométriques, le paysage se découpe comme un puzzle », décrit Jules. Ultra puissante, cette substance peut aussi provoquer des effets similaires à celle d’une mort imminente (EMI) et donner l’impression de se décorporer, soit quitter son enveloppe physique. Une sensation que ce caviste de 30 ans a déjà vécue : « J’étais allongé dans l’herbe, j’ai aperçu un tunnel lumineux, et je suis sorti de mon corps. En ouvrant les yeux, j’avais l’impression de ne plus être dans la réalité. Je voyais mes potes comme des petits anges. » Sa première fois ? Il avait 21 ans, en vacances à Berlin.

Le monde de la fête est souvent la première porte d’entrée à ce type d’expériences, qui, se faisant, deviennent de véritables instants d’introspection, mais souvent dans le partage. « Ça nous lie. On veut vivre un truc assez fort et découvrir un autre univers, aller plus loin, explique Jules. Ces moments hors du temps sont toujours prévus, ils n’arrivent jamais au hasard. Je ne prends pas de psychotropes en soirée. C’est quelque chose qui doit être fait dans de bonnes conditions, il faut un moment dédié à ça. »

Sortir du « petit moi »

Derrière l’aspect récréatif, les substances psychédéliques sont souvent le prétexte pour fuir une réalité morose. Selon une étude réalisée par France Addiction, près d’un·e Français·e sur dix a commencé à prendre des psychotropes avec la crise sanitaire. David est ingénieur du son. Depuis plusieurs années, il a déjà vécu plusieurs expériences psychédéliques. Pour lui, ces moments sont avant tout des échappatoires : « Je suis quelqu’un qui cogite énormément, qui a tendance à déprimer. Les psychotropes me permettent de perdre le contrôle et ça me repose », décrit ce musicien de 30 ans. Certaines fois, notamment celle où il était sous influence de kétamine, lui ont fait perdre la notion du temps et vivre une sorte de balade sensorielle au gré de ses instruments de musique. Comme si le monde était mis en pause, véritablement. « On est dans une société qui manque cruellement de sens et de spiritualité. Or, l’être humain se nourrit de ça, estime le docteur Olivier Chambon, psychiatre-psychothérapeute spécialisé dans l’utilisation thérapeutique des états modifiés de la conscience. La société actuelle n’a pas d’autre but que la réussite, la compétitivité, l’avoir et la consommation, mais ce n’est pas suffisant. Les jeunes veulent retrouver leur perte d’âme et ont l’intuition qu’iels peuvent y parvenir grâce aux psychés. Ça les relie à plus grand qu’elleux, plus grand que le néolibéralisme dans lequel iels évoluent. » Ce médecin a d’ailleurs écrit un livre sur ce sujet, paru aux éditions Leduc, qui s’intitulera L’Éveil psychédélique.

Une génération en proie aux enjeux collectifs à venir

Si la génération Y est séduite par la découverte d’un ailleurs, c’est qu’elle est aussi en manque de repères et cherche à trouver des solutions à la crise écologique et sociale actuelle. Consciente des enjeux collectifs de notre époque, elle est en quête d’un avenir meilleur. « Elle s’aperçoit, bien plus que les générations précédentes, que le modèle économique n’est plus durable à long terme. L’écologie devient un élément essentiel de ce qui doit préoccuper les citoyen·nes. Les jeunes ont compris que les transformations futures ne s’opéreraient pas dans le ‹ petit moi ›, mais, au contraire, en élargissant leur conscience, nous explique le docteur Chambon. Le problème est que ces jeunes ne sont parfois pas encore assez armé·es pour recevoir un enseignement psychédélique. Il leur manque de la maturité, du vécu », tempère-t-il. Pour cela, le spécialiste préconise de ne jamais prendre de psychotropes seul·e ou avec des gens qu’on ne connaît pas. Le pire : les mélanges ! « Le mieux est que ce soit fait de manière sacrée, dans un contexte sécurisé et confortable, avec des substances pures et des doses connues », avertit l’expert.

Comme Jules, Victor s’est lui aussi essayé à la DMT il y a six mois. « J’avais l’impression d’être tombé dans un tableau de Van Gogh. Les lumières, les traits, les nuages, les ciels… C’était vraiment dingue », se rappelle-t-il. Il n’en était pas à sa première fois : « Je n’ai pas du tout peur de me laisser aller. » Pour lui, ces moments permettent aussi de mieux comprendre le monde alentour. « Ça te fait sortir de ta réalité habituelle pour aller sur une autre. Tu te rends compte que la tienne est bien réelle, mais qu’elle n’est pas absolue, qu’il y en a plein d’autres, à l’infini. » Ainsi, les psychotropes seraient un moyen d’élargir sa conscience, non pas pour fuir la réalité, mais pour mieux l’appréhender. « Ça m’a fait réfléchir sur la condition de l’être humain. J’avais l’impression d’être clairvoyant, de tout comprendre. Je me rappelle avoir pris pleinement conscience de ma condition, se souvient Anatole, en évoquant la dernière fois qu’il a pris du LSD, l’été dernier. J’étais en connexion avec la nature. Les arbres m’approchaient, échangeaient avec moi. C’était génial, car j’étais connecté à tous les éléments qui m’entouraient. »

Voyage interne

Les expériences psychédéliques sont aussi une façon de s’explorer soi-même. Selon Anatole, « c’est un voyage intérieur. C’est intéressant d’aller voir ce qu’il y a un peu plus profond, de soulever des tapis pour se rapprocher de soi-même, comprendre comment on fonctionne. » Ces substances sont parfois un outil pour une meilleure connaissance de soi. Populaire dans les cercles fermés de la Silicon Valley, l’ayahuasca est une préparation hallucinogène composée principalement de DMT, généralement utilisée dans des rituels amazoniens. « En consommer est aussi fréquent ici que de prendre un café », déclarait Timothy Ferriss, écrivain et entrepreneur américain, dans un entretien à The New Yorker. L’objectif ? Explorer sa psyché en profondeur. D’origine brésilienne, Edu a commencé à pratiquer l’ayahuasca il y a cinq ans, lorsqu’il travaillait en Californie dans l’industrie de la musique. « Je voulais développer ma conscience. La première fois a été une des choses les plus incroyables de ma vie », se rappelle-t-il. Depuis, il a recommencé et ponctué avec d’autres types de méthodes chamaniques. « Ça m’a apporté plus de clairvoyance, d’introspection, de bien-être et de connexion avec la nature. »

Il y a quelque temps, Franck, entrepreneur, s’est essayé à la méditation sous champignons « pour apprendre à rester concentré, dit-il. J’étais conscient que mon esprit était parti tout en essayant de ne penser à rien, uniquement au moment présent. » Cette médiation résulte d’un long processus pour apprendre à mieux se connaître. « C’est le moment où j’ai reformaté mon cerveau. Débrancher certaines connexions et en créer de nouvelles, facilitées par l’effet des psychotropes. À cet instant, j’arrive à avoir des réponses, des nouveaux schémas de pensée. Mais c’est fragile. Il faut être dans la démarche de perpétuer ce travail continuellement. »

Microdosing, l’avenir des thérapies ?

Aujourd’hui, de nombreuses personnes considèrent les psychotropes comme de véritables outils thérapeutiques, contre les angoisses ou le stress. Certain·es estiment qu’ils peuvent même faire office d’antidépresseurs. Si bien que nombreux·ses sont celleux à militer pour la légalisation de certaines substances. « Dans plusieurs pays, des médecins sont autorisé·es à faire des exceptions sur des patient·es en mettant en place des protocoles compulsionnels avec des psychotropes », indique le docteur Chambon. Ce qui explique le succès grandissant du microdosing. Initialement très usité dans les GAFA et autres entreprises de la tech, cette pratique – illégale – se répand désormais en Europe, notamment dans l’écosystème des jeunes entrepreneur·ses qui cherchent à doper leur carrière. Le principe ? Ingérer une dose très limitée de drogue psychédélique, souvent du LSD ou des champignons hallucinogènes, quotidiennement, plusieurs jours de suite. Inspiré par la biographie de Steve Jobs, Victor a commencé à faire du microdosing il y a un an. Depuis, il effectue des phases régulières où il ingère 0,06 grammes de champignons par jour. La dernière en date a duré deux semaines. « Grâce à ça, je suis complètement lucide, je prends les choses avec plus de sérénité. C’est tellement plus intéressant. C’est un peu comme des antidépresseurs en version plus naturelle », décrit l’entrepreneur à la tête de plusieurs PME.

De son côté, Franck effectue des « cures » de deux semaines de microdosing de LSD. Durant ces phases, il prend un petit morceau de buvard tous les matins, à jeun, le temps pour lui de faire son sport matinal. C’est comme un « gros café »… « J’arrive à percevoir tous les éléments autour de moi, ce qui me permet une prise d’informations plus large, plus globale et donc d’entrevoir plus de solutions. Certaines choses me paraissent plus simples et les barrières disparaissent. » La prise de microdosing est souvent liée aux échéances de la vie professionnelle et personnelle. « Quand tu lances ta boîte, ça demande une capacité d’adaptation assez rapide, d’être focus, créatif·ve, et de prendre de la distance… Ça peut aider. » Mais pas question de parler de dépendance. L’idée ? Libérer son potentiel, soigner certains troubles psychiques et surtout, pouvoir s’en passer. Plus qu’une tendance, cette pratique est aujourd’hui considérée par certain·es observateur·rices comme un véritable booster nerveux. Selon une étude de l’Imperial College of London, le cerveau des personnes sous LSD serait plus unifié. Ainsi, les personnes, qui en font usage se sentent plus connectées à elles-mêmes et à leur environnement. Si l’efficacité réelle du microdosing n’a pas encore véritablement été prouvée, les expériences psychédéliques ont ouvert la voie à une nouvelle façon d’appréhender notre univers qui, certes, n’est pas encore connue de toustes, mais qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études pour des pratiques futures. Nous ne sommes pas égaux·les face à ce qui nous dépasse.

Tout le monde ne réagit pas de la même manière aux psychotropes. Mais avec ou sans, et peu importe la dose, cette réflexion doit avant tout interroger sur une manière de mieux nous connaître en tant qu’individu, mais aussi membre d’une collectivité globale. Pour mieux comprendre notre environnement et ouvrir la voie à des lendemains meilleurs.

Un article de Lisa Hanoun

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