Connaissez-vous vraiment bell hooks ?

Elle est l’une des autrices afro-féministes les plus célèbres de l’autre côté de l’Atlantique. Il y a encore quelques années, sa notoriété était très confidentielle en France. Jusqu’à ce que quelques maisons d’édition indépendantes prennent la décision de traduire ses œuvres, parfois 20 ans après leur publication originale. Pourquoi faut-il lire bell hooks, aujourd’hui encore ?

« L'amour : un rempart contre le patriarcat » © PAUL.E magazine
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« Lorsque j’étais enfant, il était clair pour moi que la vie ne valait pas la peine d’être vécue sans amour ». C’est avec ces mots que bell hooks décide d’ouvrir À propos d’amour, son ouvrage le plus percutant sur l’un des sentiments humains les plus puissants. La justice, l’engagement ou encore la communauté : dans cette œuvre parue en 2000 aux États-Unis, l’autrice décortique l’amour sous toutes ses formes, afin de l’ériger en rempart contre l’individualisme grimpant et les dérives du capitalisme à la fin du XXe siècle. En 2022, À propos d’amour est enfin traduit en français aux éditions Divergences, soit plus de vingt ans après la parution originale.

Une pionnière de la pensée afro-féministe

Le Kentucky. C’est dans cette région pauvre et rurale des États-Unis que celle que l’on connaît aujourd’hui sous le pseudonyme bell hooks voit le jour en 1952. Gloria Jean Watkins est son nom de naissance, donné par père portier et une mère domestique. Elle grandit entourée de sept frères et sœurs dans une famille dysfonctionnelle qui incarne, par la suite, la source de nombreuses de ses réflexions sur les rapports de genre, sur l’amour ou encore sur la famille nucléaire traditionnelle. Cette région du Kentucky, elle ne l’oublie jamais vraiment. En décembre 2021, à l’âge de 69 ans, elle disparaît à Berea, ville de l’Ohio où elle exerçait le métier de professeur à l’université depuis des années.

Le premier essai majeur de bell hooks, Ain’t I a Woman ? Black Women and Feminism voit le jour en 1981. Depuis plusieurs années déjà, elle écrit en tant que bell hooks, nom de plume emprunté à son arrière-grand-mère. L’intention derrière le pseudonyme ? Mettre l’accent sur le contenu de ses œuvres, et non pas sur sa propre personne. Dès sa publication, cette œuvre devient incontournable aux États-Unis, largement nourrie par l’expérience de bell hooks en tant que femme noire qui a grandi dans un pays ségrégué. Fermement opposée à la pensée individualiste qui ronge la société dans laquelle elle évolue, l’autrice choisit, avec ce titre, de s’inscrire dans une filiation en reprenant une expression devenue célèbre de Sojourner Truth, ancienne esclave et fervente féministe, lors d’un discours prononcé en 1851 à Akron, dans l’Ohio.

En outre, quelques années avant que Kimberley Williams Crenshaw conceptualise la notion d’intersectionnalité, bell hooks fait converser ses expériences du sexisme et du racisme et interpelle les féministes blanches qui persistent à ignorer le vécu des femmes noires. Encore aujourd’hui, aux côtés d’Angela Davis, le nom de bell hooks représente un pilier de la pensée afro-féministe aux États-Unis. Son deuxième essai, publié en 1984 sous le titre Feminist Theory : From Margin to Center, le confirme. Mais tandis qu’Angela Davis adopte une approche historique, bell hooks préfère les essais théoriques, mais également la poésie ou les écrits pour la jeunesse. Le tout constitue à ce jour plus d’une quarantaine d’ouvrages. Les thèmes qui obsèdent l’autrice ? L’amour, évidemment, mais aussi le racisme, le féminisme et la spiritualité.

L’amour, un rempart contre le patriarcat

« Sa démarche bienveillante et son souci de rendre toujours accessible la pensée universitaire font aussi d’elle une excellente vulgarisatrice. » Ce sont les éléments qui, pour Johan Badour, fondateur des éditions Divergences, font de bell hooks une autrice afro-féministe de premier plan. La maison d’édition offrait à la rentrée littéraire une traduction française d’À propos d’amour, un an seulement après la traduction de La volonté de changer (un ouvrage sur les masculinités) et deux ans après Tout le monde peut être féministe. Avant ça, certains ouvrages de l’autrice ont été traduits chez d’autres maisons d’édition indépendantes, telles que les éditions Cambourakis ou les éditions Syllepse. Un choix audacieux, lorsqu’on note que l’autrice est très célèbre aux États-Unis, mais inconnue du grand public en France. Pourtant, le pari semble relevé pour les éditions Divergences : « En France, ses livres suscitent de plus en plus d’intérêt, en particulier depuis La Volonté de changer en 2021, qui s’est déjà vendu à près de 15 000 exemplaires. Notre traduction d’À propos d’amour est en train de connaître le même succès », précise Johan Badour.

Comment, alors, expliquer un tel intérêt, aujourd’hui ? Prenons À propos d’amour, le dernier ouvrage traduit. Celui-ci vient s’expose, dans les rayons féministes des librairies françaises, aux côtés du dernier livre de l’essayiste Mona Chollet (Réinventer l’amour, qui cite allègrement bell hooks) ou de l’adaptation du podcast de la journaliste Victoire Tuaillon, Le Cœur sur la Table. L’amour hétérosexuel est aujourd’hui l’un des sujets les plus discutés par les féministes. Ce qui n’a pas toujours été le cas, comme le rappelle Johan Badour : « L’amour est une thématique finalement assez peu abordée de front dans les ouvrages féministes. » Or, bell hooks souligne que « tous les grands mouvements pour la justice sociale dans notre société ont insisté sur l’importance d’une éthique de l’amour ». Elle nous enseigne alors que capitalisme, racisme et patriarcat prospèrent sur la misère affective, le manque d’amour et la pauvreté des relations humaines. Puisque les stéréotypes et les enjeux de pouvoir s’instillent jusque dans les relations les plus intimes et les plus privées, il est crucial de s’intéresser à ce que pourraient être des manières féministes de s’aimer et d’être aimé·e. Et c’est encore bell hooks qui nous en donnent les meilleures illustrations.  

Un article de Lolita Mang

 

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