5 PISTES POUR LUTTER CONTRE LA CULTURE DU VIOL À SON NIVEAU
Pour que la honte change de camp, et que nos comportements ne minimisent plus les violences sexuelles.
En France, chaque année, ce sont 93 000 femmes qui subissent viol ou tentative de viol, selon une lettre de l’Observatoire nationale des violences faites aux femmes. Parmi ces victimes, seulement un cinquième porte plainte. 60 % d’entre elles sont découragées ou rejetées par la police. Et 1 % de ces affaires uniquement donne lieu à une condamnation du violeur. Un pour cent. C’est tout. Le chiffre file la nausée.
Et puis, il y a la nomination de Gérald Darmanin. Accusé de viol, de harcèlement sexuel et d’abus de confiance en 2017 par Sophie Patterson-Spatz, il vient d’accéder au poste de ministre de l’Intérieur. Trois semaines après la réouverture de l’enquête le concernant. Premier policier de France au sein d’un gouvernement qui était censé faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause du quinquennat » : ça aussi, ça file la nausée.
Aux militantes qui s’insurgent, l’Etat brandit la présomption d’innocence comme un bouclier infaillible. Seulement la journaliste et féministe Fiona Schmidt l’énonce très justement dans un post Instagram : « Ce n’est pas la présomption d’innocence d’un ministre de l’Intérieur accusé de viol que l’on met en cause, mais l’éthique de ceux qui l’ont nommé et confirmé à ce poste. Ce ne sont pas les faits qui sont reprochés à Gérald Darmanin que nous jugeons, c’est votre absence totale de considération pour les victimes de violences sexuelles et sexistes. Est-ce que Gérald Darmanin doit cesser de travailler parce qu’il a été accusé de viol ? Non. Mais n’y avait-il pas d’autres candidatures au poste de chef.fe des flics qu’un homme accusé de viol, dont l’enquête a été rouverte il y a 3 semaines et se trouve être toujours en cours ? En cherchant bien ? »
En guise de comparaison, elle cite le cas de deux anciens ministres. « François Bayrou et François de Rugy ont démissionné du gouvernement précédent pour des accusations d’emplois fictifs et de mangeage de homard, des faits manifestement considérés comme beaucoup plus graves que le viol. »
Et c’est là tout le problème : la façon, en France, dont est « considérée » le viol. La gravité qu’on manque parfois de lui associer et qu’on remplace par une certaine fatalité. On parle de culture du viol. Un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’une société donnée qui minimiseraient, normaliseraient voire encourageraient le viol.
Il ne s’agit pas de dire que l’on pousse au crime sexuel en tant que société, mais plutôt que l’on ne condamne pas assez fermement l’acte. Par les blagues, la banalisation ou encore la culpabilisation des victimes.
Pour lutter contre ces comportements, et donc contre le viol, on peut agir à notre niveau. Voici comment, en cinq points d’une liste non-exhaustive.
1- La nommer
L’expression ne fait pas l’unanimité. « On pense à un encouragement, à une célébration du viol, alors qu’il s’agit surtout d’inertie et de vieux réflexes », écrit la journaliste Maïa Mazaurette dans une chronique pour Le Monde, qui puise son inspiration dans le livre En finir avec la culture du viol (éd. Les Petits Matins), de Noémie Renard. Raison de plus pour ne pas avoir peur de la prononcer. De donner sa définition, de dénoncer sa présence insidieuse dans toutes les strates de la société. D’expliquer en quoi son existence contribue à passer ces crimes sous silence, et à rendre quasi impossible la condamnation de leurs auteurs. Et pourquoi il faut qu’elle cesse.
2- Intervenir lors de conversations avec ses proches
N’importe qui peut en être coupable. Notamment dans notre entourage. Alors, on confronte chacun.e de nos proches lorsqu’il ou elle excuse un viol, plaisante autour du viol, culpabilise la victime de viol. En ne prenant pas ces paroles à la légère et en les condamnant, aussi inconfortables soient les discussions qui en découlent. « La culture du viol n’est pas seulement le fait de prédateurs », poursuit Maïa Mazaurette. « Elle existe dans nos mots, dans nos lâchetés, chez vous, chez moi : un constat à la fois accablant et enthousiasmant, qui nous pose toutes et tous en position de responsabilité. Et, de fait, une culture se modifie, se contourne, se conteste. » Alors modifions-la.
3- Traquer les éléments de langage qui blâment les victimes et adopter une tolérance zéro
Les mots, justement. Ils ont un sens et ici, ils jouent un rôle déterminant. Ce sont ces mots, ces « elle l’a cherché », « elle était saoule », « t’as vu comment elle était habillée ? », « en même temps, de quoi elle se plaint ? Elle l’a dragué toute la soirée ! », qui viennent cautionner le viol. Et qu’il faut bannir sévèrement, dans notre propre bouche ou celle de ceux et celles qui nous entourent. « Lorsque l’on discute de cas de violence sexuelle, la sobriété, les vêtements et la sexualité d’une victime n’ont pas à entrer en ligne de compte », martèle l’ONU Femmes. « Vous pouvez choisir d’abandonner les expressions et les paroles qui poussent à blâmer les victimes, à objectiver les femmes et à excuser le harcèlement sexuel. Les vêtements qu’une femme porte, ses consommations ou la quantité d’alcool qu’elle a pu boire, l’endroit où elle se trouvait, ne sont pas des invitations à la violer. »
4- S’éduquer et éduquer
Tout commence avec l’éducation. Et dans ce cas précis, ceux qu’il est impératif d’éduquer, ce sont les garçons. Dès le plus jeune âge. Loin des « boys will be boys » destructeurs. Dans un article publié sur The Conversation, la doctorante en études Culturelles Camille Zimmermann écrit : « La culture du viol commence dès que l’on estime que les petits garçons qui soulèvent les jupes des filles c’est normal, de leur âge, un simple jeu, et que les petites filles n’ont qu’à mettre un pantalon ou porter un short sous leur robe. C’est apprendre dès le plus jeune âge aux fillettes qu’elles doivent se faire à l’idée qu’on les touchera toujours, même et surtout sans leur consentement. »
Il faut parler à ses neveux, à ses frères, à ses enfants. Et ne pas hésiter à se lancer dans de périlleuses leçons de rattrapage auprès des adultes. Même si l’énergie dépensée épuise, et que le boulot devrait être fait de leur côté. La lutte, c’est – malheureusement – aussi ça.
« C’est à nous qu’il revient d’inspirer les futures féministes du monde », affirme l’ONU Femmes. « Remettez en question les stéréotypes sexistes et les idéaux violents auxquels sont si fréquemment exposés les enfants dans les médias, dans la rue et à l’école. Faites savoir à vos enfants (et ceux qui vous entourent, ndlr) que votre famille est un lieu sûr où ils peuvent s’exprimer tels qu’ils sont. Confirmez leurs choix et enseignez-leur l’importance du consentement même à un jeune âge ».
5- Écouter et soutenir les victimes
« Je te crois ». Trois mots qui changent tout. Plutôt que de questionner le contexte, apportons une oreille bienveillante, une épaule sororale aux victimes de violences sexuelles. En leur laissant la place d’exprimer ce qu’elles souhaitent, quand elles le souhaitent. En lisant, aussi, les récits de celles qu’on ne connaît pas. Pour mieux comprendre le traumatisme avec lequel elles vivent, et par conséquent savoir davantage comme recevoir leur témoignage pour qu’elles se sentent en sécurité. Pour que la honte, enfin, change de camp.
Article de Pauline Machado