Un esprit sain dans un corps sain

Tel notre plus fidèle compagnon de route, notre corps nous accompagne depuis notre confection en s’efforçant de nous tenir en vie et en bonne santé malgré les épreuves. Cependant, notre corps n’est pas qu’un amas d’organes et de tissus composés selon la génétique de nos parents…

© PAUL.E

Chaque jour, notre cœur pompe sept mille litres de sang, nos reins en drainent et filtrent cent vingt litres, et nos poumons inspirent et expirent huit mille litres d’air sans même que nous nous en rendions compte. Notre corps reçoit, s’émoustille, rêve, s’excite, mais aussi parfois se crispe, se fatigue, s’abîme, forcé de s’adapter aux épreuves les plus difficiles que nous vivons en même temps que lui. Autant de raisons qui rendent notre relation avec lui primordiale. Il peut exister autant de conflits et de réconciliations avec notre corps qu’il peut en exister avec notre propre famille. Que se passerait-il si celui-ci peinait à effacer les stigmates d’un traumatisme dont nous nous sommes remis·e avant lui? Et si cette épreuve que nous visualisons désormais derrière nous s’était finalement aménagé un nid… à l’intérieur de nous ?

Il y a plus de deux mille ans, alors qu’il s’interrogeait sur l’impact des émotions sur l’équilibre du corps humain, Hippocrate en est venu à la conclusion suivante : « Le corps se fait une maladie pour se guérir. » Que voulait-il dire ? Selon lui, le corps aurait la capacité intrinsèque de se guérir par ses propres moyens, y compris par la maladie. « La maladie sacrée », écrit-il. Une puissance mentale capable d’interagir sur le corps, là où la médecine ne serait qu’une béquille à ce processus naturel. Au XVIe siècle, Descartes contredit son confrère et expose sa vision métaphysique selon laquelle le corps et l’esprit sont deux entités à part entière, qui ne sauraient communiquer. La médecine allopathique, telle que nous la connaissons aujourd’hui, aurait tendance à s’appuyer sur cette deuxième croyance. L’état émotionnel d’une personne n’aurait pas grand impact sur sa santé ou ne serait qu’un facteur secondaire à sa souffrance, quelle qu’elle soit. Secondaire, vraiment ?

 

Entre corps et âmes

Prenons des exemples très simples. Lorsque nous regardons un film et qu’une scène nous effraie, nos poils se dressent, une sensation de froid nous envahit, notre gorge se serre, n’est-ce pas ? Pourtant, là où nous sommes, il n’y a aucun danger. Si on nous demande de fermer les yeux et d’imaginer un citron jaune, bien mûr, que l’on presserait sur notre langue, n’avons-nous pas la bouche qui salive ? Pourtant, il n’y a aucun citron. Comment expliquer que nos deux joues rougissent lorsque nous ressentons un sentiment de honte en public ? Le corps ne réagit pas seulement à ce qui l’entrave directement, physiquement, frontalement. Tous nos organes, notre peau, notre sang, nos muscles vivent et évoluent en même temps que nous. Comment peut-on imaginer que nos émotions ressenties, les plus intenses et les plus négatives, n’aient aucun impact sur notre organisme ? Si notre mémoire ne se souvient pas forcément de notre naissance ou d’une blessure émotionnelle à l’âge de 3 ans, la mémoire du corps, elle, se souvient de tout. Elle est un véritable disque dur de tous nos ressentis ; elle l’est d’autant plus pour nos chocs émotionnels enfouis. Par conséquent, chaque traumatisme vécu trouvera écho dans notre corps et, selon la gravité, notre organisme proposera une réponse pour le combattre. Car par nature, ce qui vient troubler notre équilibre, mental ou physique, le corps le combat et tente de le résoudre.

 

La somatisation, cette douleur qui me trahit

La preuve la plus probante que l’état psychologique d’une personne peut agir directement sur sa santé est la somatisation. Quesako ? Lorsque notre mental souffre d’une quelconque manière et que l’émotion provoquée est trop intense pour notre corps, ou qu’il nous est impossible de la verbaliser, il peut arriver que celui-ci somatise. La somatisation désigne un phénomène inconscient par lequel une personne exprime son angoisse par et dans son corps. Comme si notre souffrance psychologique déménageait à l’intérieur de nous. Pour la médecine classique, la douleur est somatique lorsqu’elle ne s’explique par aucune cause organique ou médicale. Le corps vient dire une douleur que nous ne parvenons pas à formuler par la parole. Ça peut se traduire sous la forme d’une crise d’angoisse (nous ne parvenons plus à respirer correctement, nos membres se raidissent, notre vision se trouble), ou sous la forme d’une crise d’eczéma, de psoriasis, de boutons… suite à un surstress intense. Dans un cas comme dans un autre, aucune cause médicale ne pourrait expliquer ces symptômes. Ils sont uniquement produits par l’interprétation d’un événement dans notre cerveau. Si les symptômes s’aggravent et ressurgissent de manière intempestive, il est possible que l’origine soit bien plus complexe.

Anya Tsai, coach en résilience et thérapeute, autrice de L’Or de nos cicatrices, a 15 ans lorsque sa maison se fait cambrioler en pleine nuit, à quatre heures du matin exactement. Au cours de cette intrusion, l’un des cambrioleurs la violera dans son sommeil. Sans jamais en parler à ses parents ni à personne, l’adolescente continuera le cours de sa vie en pensant pouvoir oublier cet épisode traumatisant. Son corps, lui, en avait décidé autrement : « À 16 ans, les premiers problèmes gynécologiques sont apparus. Pendant quinze ans, j’ai enchaîné les mycoses, les infections urinaires, j’ai fait une fissure du périnée, j’ai attrapé des condylomes… sans pouvoir l’expliquer. Des maladies que j’ai traitées et soignées à chaque fois, mais qui revenaient sans cesse. » Jusqu’au jour où Anya se retrouve face à un symptôme qu’elle ne peut, cette fois-ci, pas traiter. « J’ai eu un arrêt de mes règles pendant plusieurs mois. Les médecins ne comprenaient pas pourquoi. » C’est suite à cet événement, combiné à cinq décès dans sa famille, que la jeune femme, alors âgée de 36 ans, comprend que son corps essaie de lui dire quelque chose. « Je soignais les symptômes de mon corps, la maladie apparente, sans chercher la cause profonde », nous a-t-elle confié. « J’ai décidé de libérer ma parole, j’ai tout dit à mes parents. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Je n’ai plus jamais eu de problèmes gynécologiques. Le corps s’exprime toujours par là où il a souffert… »

 

Ce que mon corps me dit

Anya Tsai n’en a aucun doute, son corps s’est exprimé par là où il a souffert. Cependant, cette théorie ne se vérifie pas toujours. En 1998, Jacques Martel, conférencier et maître Reiki québécois, devient l’un des auteurs les plus lus dans le monde grâce à son livre Le Grand Dictionnaire des malaises et des maladies. Cet ouvrage deviendra un outil unique de référence dans la recherche de l’origine de nos maux les plus profonds. Il permet non seulement de comprendre pourquoi notre corps, ou partie du corps, s’est exprimé.e ainsi, mais nous donne aussi des clés pour changer nos réflexes de pensées nocifs et désactiver la source du conflit. Ce dictionnaire n’est pas une alternative à la médecine classique, mais il prétend pouvoir redonner au corps sa fonction première, celle de se régénérer sans cesse, au point de se guérir seul. « L’un des buts de ce livre est de démontrer qu’à quelque chose de non visible comme les pensées et les émotions, il y a une réaction qui, elle, est physique et mesurable, très souvent sous forme de malaises ou de maladies. Puis-je mesurer la colère ? Non, mais je peux prendre la mesure de ma fièvre lorsque j’en fais. Puis-je mesurer le fait que j’ai souvent l’impression d’avoir à me battre dans la vie pour obtenir ce que je veux ? Non, mais je peux mesurer le nombre de globules rouges sanguins qui ont diminué lorsque je fais de l’anémie », explique Jacques Martel.

Par cette logique d’interaction entre l’esprit et le corps, le thérapeute développe ainsi une véritable bibliothèque de symptômes et leur signification. « Je puis affirmer qu’il est impossible qu’une personne souffre du diabète sans vivre de la tristesse profonde ou de la répugnance face à une situation qu’elle a vécue. Pour moi, il est impossible qu’une personne souffre de l’arthrite sans vivre de la critique envers elle-même ou quelqu’un d’autre ou envers des situations de sa vie. Pour moi, il est impossible qu’une personne vive des problèmes au foie sans vivre de la colère, de la frustration envers elle-même ou envers les autres, et ainsi de suite. » 

Arthur a 17 ans lorsqu’il aperçoit les premiers symptômes de la maladie de Verneuil. De gros abcès intempestifs, handicapants et douloureux lui poussent un peu partout sur le corps, mais principalement dans la zone rectale. À 20 ans, il décide de voir un médecin et apprend qu’il devra prendre un traitement toute sa vie pour endormir légèrement les effets indésirables de cette maladie chronique. « J’ai eu un choc. Ça a été une descente aux enfers d’imaginer que je serais malade toute ma vie, j’ai ressenti une impuissance terrible. Je peux même dire que mon état s’est empiré. J’ai commencé le traitement, mais ça ne faisait rien. J’avais autant de crises qu’avant. » Arthur prend alors une décision radicale. Il décide de tout arrêter, de jeter tous les médicaments proscrits et d’aller contre l’avis de son médecin : « Je suis arrivé à un point de rupture. J’ai compris que j’avais deux choix. Soit j’acceptais le diagnostic et la destinée qu’on me proposait, soit j’envoyais tout valser et je prenais mon propre chemin. J’ai pris la décision de rompre avec ce qu’on me proposait. Ça a été un acte très fort envers moi-même. À partir de là, tout a changé à l’intérieur de moi. » Avec des séances de méditation et un « éveil spirituel et mystique » intense, Arthur a une véritable prise de conscience sur son mal-être. Petit à petit, les crises disparaissent. « D’une crise par semaine, je suis passé à trois crises en quatre ans. Je considère que je suis guéri. »

Lorsqu’on interroge Arthur sur l’origine de sa maladie, il ne voit pas d’événement marquant qui pourrait l’expliquer, mais plus un ensemble de chocs psychologiques et émotionnels : « J’étais dans une dépression quasi permanente. Le vase était plein. Je faisais des études, mais je n’aimais pas ce que je faisais, je n’aimais pas ma vie, je n’aimais pas la société ni mon rapport avec les gens… J’étais très mal dans ma peau, je subissais tout ce qui était autour de moi. La maladie me disait de changer de vie. » Un état des lieux qui coïncide avec l’explication de Jacques Martel dans son Grand Dictionnaire des malaises et des maladies à la page « abcès anal »: « L’abcès est un amas de pus, de frustrations et d’irritabilité lié à une situation que je n’arrive pas à lâcher. Cet abcès sortira ou se manifestera de toute façon. Il est possible que je sois en colère contre moi-même car je ne veux pas évacuer, céder, devant certaines fixations mentales qui nuisent à ma vie présente. Ce malaise me dit que je dois faire confiance à la vie et à ce qu’il y a de beau autour de moi. »

 

La maladie, un instinct de survie ?

Pour le philosophe allemand Thorwald Dethlefsen, « un corps n’est jamais malade, il n’est que l’expression de la conscience, il en véhicule les messages. La maladie s’installe lorsque l’harmonie est compromise. » La maladie serait-elle un instinct biologique de survie qui tenterait de nous exorciser ? C’est en tout cas ce qu’affirment les expert.e.s en décodage biologique. Comme l’expliquent les travaux de Hamer, médecin allemand spécialisé en oncologie ayant déclenché un cancer des testicules après la mort de son fils. Il est à l’origine du concept de décodage biologique : lorsqu’un choc émotionnel ne trouve aucun moyen de s’exprimer, le corps déclenche en urgence un programme d’assistance de survie. Ce qu’on appelle la maladie. « Ce que le mal-a-dit, nous glisse Annie Chouard, thérapeute et consultante en transgénérationnel. La maladie est l’écho, la réponse de quelque chose d’autre. Le corps ne dit jamais rien sans raison, y compris dans la récidive. Le cerveau inconscient va prendre le relai de la gestion du conflit, en le biologisant. Il va envoyer un programme de survie, il sera pour l’individu la solution parfaite de son conflit. »

Lors d’une séance avec un.e thérapeute spécialisé.e dans le décodage biologique, comme Annie Chouard, le but sera de remonter à la genèse de notre conflit physique pour décoder biologiquement notre maladie ou douleur et potentiellement la guérir. À l’aide de dates clés (naissance, événements marquants, etc.), nos conditions de vie intra-utérine, notre place dans la fratrie, les traumatismes vécus par nos ancêtres… la thérapeute dressera un bilan de ce qu’elle appelle « le programmant ». « Le programmant est tout simplement l’événement qui fixe l’émotion dans votre cerveau. C’est ce qu’il mémorisera pour reconnaître le danger et anticiper si besoin », nous explique Annie Chouard. Lorsque notre inconscient repère les caractéristiques de notre programmant dans une situation de tous les jours, avec la même coloration émotionnelle, il déclenche une réponse biologique. « Par exemple, si un conflit relationnel intense n’est pas digéré, que ce sentiment de mal-être se répète pendant des années sans qu’il soit apaisé, votre cerveau déclenchera probablement son programme de production de super cellules digestives, c’est-à-dire des cellules cancéreuses », explique la bio-nutritionniste Marion Kaplan. Cependant, que se passe-t-il lorsque le programmant appartient à un passé antérieur à notre naissance ?

En effet, en décodage biologique il n’est pas rare de constater des maladies ou douleurs sur des patient.e.s qui ne font que subir le poids des générations passées. « Nous gardons des mémoires cellulaires de ce qu’ont vécu nos ancêtres », rappelle Annie Chouard. À tel point qu’elles peuvent parfois nous empêcher d’être en harmonie avec notre corps, celui-ci occupé par les marques du passé. « Tout ce qui n’est pas amené à la conscience se transforme sous forme de destin », disait Carl Gustav Jung. Tout problème, qu’il soit physique ou psychologique, est un programme qui a été gravé dans un moment de choc émotionnel vécu soit par la personne en question, soit par un parent, soit par un ancêtre. On peut donc faire une maladie très précise, avoir un blocage inexplicable, sans avoir jamais vécu soi-même ce choc dramatique. « Le conflit biologique vient toujours réveiller un ancien traumatisme mémorisé par le cerveau. Mon rôle va être d’aider le ou la consultant.e à remonter dans son histoire familiale et personnelle pour qu’iel puisse mettre en lumière ses fragilités transgénérationnelles. C’est une investigation primordiale pour qu’iel puisse conscientiser ses fragilités, comprendre le sens de ses maux, ses douleurs, sa maladie », conclut Annie Chouard. Une prise de conscience qui permettra à la personne de libérer le poids de ses maux et ainsi, permettre à son corps de lâcher prise sur un certain blocage. Il arrive bien souvent qu’à ce stade de la thérapie, la personne qui consulte déclenche des symptômes inhabituels comme une diarrhée, de grosses migraines ou des crises de larmes intempestives. Le corps a compris que la personne a compris, et fait céder le barrage qui retenait les émotions. Le simple fait de conscientiser le choc émotionnel et d’envoyer cette information au corps peut d’ailleurs parfois suffire pour clore la thérapie. Pour d’autres personnes, des séances de magnétisme, d’acuponcture ou encore de kinésiologie pourront aider à extérioriser le conflit et assainir l’équilibre biologique.

En somme, l’harmonie entre le corps et l’esprit réside essentiellement dans l’écoute et la force du lien qui nous unit à nos émotions. Plus nous serons aligné.e avec les émotions qui nous traversent chaque jour, en leur accordant une lecture attentive, plus notre existence prendra sens. Apprivoisons le langage de notre corps, portons-lui une oreille attentive lorsqu’il se manifeste, sans quoi l’expérience du moment présent semble impossible. Comment pourrais-je vivre pleinement ma vie et être heureux.se si mon corps, véritable maison mère de mon existence, ne fonctionne pas sur le même tempo que moi ? Nos symptômes, douleurs et différents maux qui nous mènent la vie dure vont bien au-delà du petit tracas. Imaginer le corps comme une mécanique presque sans faille qui marcherait à côté de nous est une perte de temps insoupçonnée. Il y a autant de nous dans notre corps que dans notre esprit. Et puisque notre corps s’adapte chaque seconde au chemin que nous lui faisons prendre, prenons note de ses moindres réactions, car il n’y a rien qui se passe dans notre corps qui ne veuille dire quelque chose.

Article du numéro Paulette 51 « Vibrer » par Stacie Arena

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