Pour trouver la paix intérieure, il nous faudra pardonner

Certaines blessures laissent un goût amer au fond de la gorge… Elles peuvent parfois changer ce que nous sommes par nature, modifier nos comportements, et nous rendre craintif·ve et méfiant·e. Si le temps finit toujours par faire son œuvre et par adoucir la rancœur des premiers instants, notre esprit, lui, est bien souvent marqué au fer rouge. Il nous faudra alors pardonner. C’est-à-dire relâcher l’attachement émotionnel, nourri de colère, de tristesse, qui nous lie à cette période du passé.

Après avoir été blessé·e, trahi·e ou déçu·e, un profond sentiment de tristesse ou de colère nous envahit. Un mélange d’émotions tenaces emplies d’amertume qui ajoutent de la peine à la peine. Cette rancune est comme une valise, plus ou moins lourde, qu’on porte nuit et jour. Un poids auquel on s’habitue. Un bouton qui permet de refaire le film. Elle va et vient, se renforce lorsqu’elle croise un souvenir, s’atténue dans les moments de bonheur intense. Cependant, elle ne part jamais vraiment.

La rancune, ce sentiment qui consume à petit feu

Ce sentiment qui empêche de pardonner est une émotion très toxique et négative, qui consume petit à petit le sujet qui la ressent. Elle est comme un rappel du préjudice qui nous a été imposé. Puisque nous la ressentons encore dans notre chair, nous l’empêchons de devenir une souffrance du passé. Accueillir sa rancœur est nécessaire, mais le faire dans un désir de vengeance exposera à davantage de souffrance. De plus, selon la médecine chinoise, un conflit qui n’aurait pas trouvé le chemin du pardon pourrait avoir des effets néfastes sur la santé. Un mal bien souvent localisé dans l’estomac. En effet, la colère et la rancœur bloquent la bonne circulation des énergies et, à long terme, épuisent le foie. Comme l’explique la thérapeute Sylvie Rock, il est possible qu’un·e patient·e qui ne parvient pas à pardonner à son agresseur·se « présente des troubles digestifs, de l’acidité gastrique, voire même des ulcères à répétition. » Afin de nous préserver et de nous libérer d’un fardeau qui ne nous appartient plus, il nous faudra alors pardonner… Pardonner pour ne pas être puni·e deux fois.

« Pardonne aux autres, non parce qu’iels le méritent, mais parce que tu mérites la paix »

Pardonner est un acte qu’on confond trop souvent avec d’autres notions voisines. Lorsque nous excusons, nous ne pardonnons pas. Lorsque nous oublions, nous ne pardonnons pas non plus. Pardonner ne veut pas dire tourner la page ou approuver le préjudice subi. Pardonner à la personne qu’on considère comme coupable signifie que nous acceptons de nous libérer totalement de la souffrance et du fardeau émotionnel associé·es à cet événement du passé. Le pardon est un soulagement plus qu’un sacrifice. D’ailleurs, l’étymologie et l’histoire du mot « par-donner », qui signifie « donner complètement » en latin (« perdonare »), en est la preuve.

Au Xe siècle, pardonner signifiait faire don de quelque chose et plus précisément de la vie. À cette époque, on pardonne lorsqu’on « fait grâce » ou qu’on « laisse la vie » à quelqu’un·e qui serait condamné·e, par exemple. Si cette définition peut paraître éloignée de son usage contemporain, en réalité, elle ne l’est pas vraiment. Au moment de pardonner à notre bourreau, nous faisons le choix d’accepter son existence dans notre vie ou de le faire disparaître. Nous lui rendons ce qu’il lui appartient – la souffrance qui nous incombait jusqu’alors. Quand on redonne à la personne concernée la responsabilité d’un fait, on ressent un profond sentiment de libération. Lorsque je pardonne, je vaincs mon ressentiment envers mon offenseur.se, non pas en niant mon droit à la souffrance, mais en m’efforçant tant bien que mal de le considérer avec bienveillance, et parfois même avec amour. Dans son podcast Purpose, Jay Shetty, ancien moine hindou et coach de vie, résume ce propos en glissant à l’oreille de ses auditeur·rices : « Pardonne aux autres, non parce qu’iels le méritent, mais parce que tu mérites la paix. »

Les sept étapes du pardon

Comme le dit l’écrivain, psychiatre et psychothérapeute Christophe André dans son émission La Vie intérieure sur France Culture (épisode sur le pardon) : « Le pardon est sans doute l’un des efforts psychologiques parmi les plus difficiles que nous ayons à accomplir dans une vie humaine. » Une démarche qui prend du temps et de la force, mais dont les bénéfices sont considérables. « Aussi difficile qu’il soit, ce cheminement est aussi fécond et transforme profondément la personne qui pardonne », explique-t-il. Pour ça, il faudra d’abord accepter de revenir sur ce que nous avons subi, ouvrir à nouveau la plaie pour la nettoyer lorsque nous nous sentirons prêt·e et suffisamment consolé·e. Nicole Fabre, psychanalyste et autrice du livre Les Paradoxes du pardon, qui s’est longuement penchée sur la question, a tenté d’identifier les grandes étapes qui jalonnent ce chemin. Selon elle, le pardon doit passer par sept étapes indispensables.

Se libérer de la souffrance. Pour pouvoir pardonner, il est nécessaire de sortir de la violence subie. Il ne peut y avoir de processus de pardon tant que l’offense n’a pas cessé chez la victime. Et pour cause, celle-ci, aussi intense et violente soit-elle, empêche la réflexion, la mentalisation et la visualisation d’une guérison de l’âme. Il faudra donc accepter de sortir de notre zone de confort pour prendre du recul sur la situation et mettre le coupable face à ses responsabilités. Cette douleur ne nous appartient plus !

Reconnaître l’existence du préjudice. Par réflexe de défense, la victime aura tendance à rationaliser, normaliser ou oublier le préjudice avec les années. Il est donc primordial de conscientiser la souffrance et de bien comprendre pourquoi cet événement a été très douloureux. C’est aussi une manière de s’assurer que le traumatisme ne migre pas vers l’inconscient. « Ça permet de retourner la culpabilité à l’agresseur·se et, ainsi, de renouer un lien avec soi-même », explique Gabrielle Rubin, psychanalyste, autrice du livre Du bon usage de la haine et du pardon.

Exprimer sa colère. Dans le même livre, Gabrielle Rubin explique : « La haine est un sentiment très violent, que l’on ne peut pas faire disparaître. Si l’on n’est pas capable de la retourner contre son agresseur, on la dirige nécessairement contre soi. » D’où l’importance d’en vouloir à son ou sa bourreau et de verbaliser cette douleur. Exprimer sa colère, c’est reconnaître sa propre souffrance et ainsi la libérer. Dans le cas contraire, la victime peut céder à des automatismes d’autodestruction et se punir à la place de l’agresseur.

Cesser de se sentir coupable. Lors d’un traumatisme qui vient heurter l’intégrité, la victime s’imagine bien souvent qu’elle aurait peut-être pu éviter ça si elle avait agi autrement. Pour parvenir à pardonner au ou à la coupable, il faut aussi accepter d’abandonner ce fantasme de soi selon lequel nous partageons la pomme en deux. Se blâmer détruit insidieusement l’estime de soi et place peu à peu la culpabilité à mi-chemin entre nous et la personne coupable. « Nos patients, ce sont les innocents qui souffrent d’une culpabilité indue. Les bourreaux, le plus souvent, se portent plutôt bien », écrit justement Gabrielle Rubin dans son livre.

Essayer de comprendre la personne qui a blessé. Lors d’un traumatisme, quel qu’il soit, le ou la bourreau devient soudainement un·e criminel·le. Pour all.ger la souffrance et se diriger doucement vers le pardon, il peut être utile de se mettre à la place du ou de la coupable. Non pas pour l’excuser ou justifier son geste, mais plut.t pour reconnaître les faiblesses de sa condition humaine. Se mettre à sa place permet alors de se positionner d’égal·e à égal·e. Le philosophe Paul Ricœur appelait ainsi à « ne pas limiter un homme à ses actes, aussi monstrueux soient-ils. »

Prendre le temps. Le pardon doit s’imposer par un long processus et ne doit surtout pas ressembler à une décision prise sur un coup de tête Pardonner doit s’absoudre de tout sentiment de haine ou de colère. Avant de pardonner à celui ou celle qui nous a nui, il s’agit de s’assurer que le souvenir n’est plus douloureux, et qu’il ne reste que de la tolérance et de la bienveillance lorsque nous pensons à cette personne.

Redevenir acteur·rice de sa vie. Lorsque le sentiment de colèrevet de rancœur à l’encontre de notre bourreau a disparu, nous

redevenons acteur·rice de notre propre existence. Le pardon viendra alors dissoudre totalement la douleur accumulée et nous permettra de ne plus subir et surtout… de devenir plus fort·e. Selon Nicole Fabre : « Pardonner, c’est s’agrandir, c’est laisser en soi la place pour accueillir l’autre. Le vrai chemin de la libération, c’est de franchir le pas qui permet d’aller au-delà du pardon. »

Le pardon, un véritable atout scientifique

Selon le docteur Fred Luskin, qui dirige les Projets du pardon de l’université de Stanford, le pardon peut faire une différence notable dans notre santé physique et émotionnelle. Selon lui, la démarche de pardonner permettrait d’améliorer notre état de santé, mais aussi de vivre plus longtemps. En effet, après des études menées à l’université de Stanford, le consultant a constaté que les personnes refusant le pardon à leur bourreau des années durant voyaient leur espérance de vie diminuée de cinq ans environ. Interrogé à ce sujet en 2020, le docteur britannique avait affirmé ceci : « Le pardon est une attitude d’esprit et de cœur qui ressent d’abord la souffrance de la perte, des mauvais traitements ou de la trahison, puis la laisse partir. Lorsque la souffrance n’est pas libérée, elle pèse sur les systèmes nerveux, cardiovasculaire et endocrinien entraînant des problèmes physiques au fil du temps. Le ‘non-pardon’ exerce un stress sur le système et, compte tenu de toutes les réponses physiques liées au stress, produit un effet négatif sur le système organique le plus faible. »

Pour le docteur Philippe Rodet, ancien urgentiste de profession et coach en entreprise spécialisé dans le stress et les risques psychosociaux, le pardon pourrait également avoir un impact considérable sur la flore intestinale. C’est un cercle vicieux : nos émotions négatives altèrent notre flore, et celle-ci envoie au cerveau des messages qui maintiennent l’angoisse et l’anxiété. De ce fait, si on ne se débarrasse pas de ses émotions négatives, on vit dans un état de stress et d’anxiété chronique. Ça produit un excès d’adrénaline et de cortisol qui épuise la production de cellules immunitaires naturelles. Ces cellules sont notre protection contre tout un lot de maladies, dont le cancer. Si nous refusons de pardonner, non seulement nous cultivons notre souffrance, mais nous perdons chaque jour un peu plus notre immunité. À ce sujet, une étude a analysé 78 patient·es recevant un traitement contre le VIH, ainsi que leurs pensées et aptitudes en rapport avec le pardon. Les participant·es qui avaient déjà expérimenté un pardon difficile et douloureux ont obtenu des pourcentages plus élevés de cellules immunitaires baptis.es CD4, celles qui combattent le cancer.

« Le pardon, quel repos ! »

Dans son recueil de poèmes L’Art d’être grand-père, Victor Hugo évoque son sentiment d’apaisement à l’idée d’avoir pardonné à celleux qui l’avaient autrefois meurtri. « Le pardon, quel repos ! », écrit-il à seulement quelques mois de sa mort. Et il ne pensait pas si bien dire. Pardonner est l’un des chemins les plus courts pour atteindre la paix intérieure. Et pour cause, pardonner est un choix qui envoie un signal fort à notre inconscient : nous nous choisissons nous, et désacralisons la place de notre bourreau. Pardonner, c’est se choisir soi. En accordant le pardon à celui ou celle qui nous a malmené·e, nous acceptons l’idée que l’être humain est imparfait et faillible.

Pardonner, c’est aussi récupérer son pouvoir et ne plus être prisonnier·e. de l’emprise de quelqu’un·e. Lorsque nous décidons de lâcher prise et d’abandonner notre fardeau émotionnel, nous choisissons dans le même temps de ne plus subir les états internes que cette personne a induits en nous. « Tant qu’on ne pardonne pas, on laisse une partie de pouvoir à la personne qui nous a fait du mal. Nous choisissons que cette personne ait un impact sur notre vie présente, sur nos propres émotions », explique Yannick Explore, coach en développement spirituel. Lorsque nous pardonnons, nous coupons un lien invisible avec notre coupable et retrouvons notre liberté.

En somme, il semble impossible de se sentir en paix avec soi et avec le monde extérieur s’il reste des d.bris de rancœur au fond de nous. Comment appréhender l’avenir avec un morceau de vie bloqué dans le passé ? Pour chaque douleur ressentie, chaque blessure qui nous a amputé d’un bout de nous, le pardon est une clé indispensable et bien plus importante qu’elle n’y paraît. Trouvons l’auteur·rice de notre souffrance et faisons naître en nous la force et la volonté de lui rendre son fardeau. Celui-ci ne nous appartient plus. Nous accomplirons alors un parcours de résilience sans pareil qui nous rendra encore plus fort·e.

Un article de Stacie Arena 

 

 

 

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