Retour sur 9 labels émergents qui ont marqué la Fashion Week de Paris Homme FW24

Botter, Egonlab, LGN, Kidsuper, Wales Bonner, ou encore GmbH, autant de labels émergents qui ne cessent de grandir, à la faveur de collections assurées, incisives et engagées.

BOTTER AH24 © BOTTER

Après une semaine de défilés Automne-Hiver 2024 animée, les tendances de l’hiver prochain se dessinent déjà. Certaines prises de position rappellent aussi le climat social et politique ambiant, loin des strass et des paillettes des podiums. Cette jeune garde donne non seulement le la des tendances de la saison hivernale 2024, mais également le pouls des valeurs qui façonnent notre monde contemporain.

Bluemarble, vers l’infini et au-delà

Avec « Starchaser », Anthony Alvarez propose une collection qui repousse les limites du monde terrestre. En choisissant d’ouvrir et de fermer le défilé avec un triptyque de silhouettes aux chapeaux XXL qui dissimulent le visage des mannequins, il donne le ton : celui de l’exploration, à la fois de l’univers et de soi-même. Entre semelles Vibram, ré-interprétation des après-ski, mailles colorées, l’homme Bluemarble est avide de découvertes, mais sous la bannière de la paix, symbole qui se décline sur les tee-shirts et les chemises. En combinant pantalons étroits et baggy, Bluemarble met fin à l’éternel, et désormais révolu, duel entre skinny et oversized. En 2024, cette querelle prend fin, seule compte l’expérimentation. Cette ouverture à d’autres univers est renforcée par l’évolution du triptyque d’ouverture et de fermeture du défilé. Les trois silhouettes semblent avoir muté : les manches extra-longues semblables à des tentacules frôlent le sol et font écho à des créatures venues d’un autre système solaire, peut-être celui dessiné sur le manteau sous forme d’étoile.

 

Botter fait défiler un vestiaire ancré dans la réalité

Avec « Dark Waters », Botter continue son exploration aquatique sans toutefois perdre de vue la terre et sa réalité. Le duo de créateurs, assisté pour l’occasion par le styliste Imruh Asha, a proposé un défilé aux accents politiques. En détournant notamment le logo de la firme pétrolière Shell qui devient « Hell » ou celui de Carlsberg, une marque de bière, remplacé par « Caribeans », Botter ravive l’esprit de l’Arte Povera, un mouvement artistique anti-consumériste des années 1960. Pour se sortir de cette logique de production, la marque a également réutilisé des pantalons pour créer des trench-coats et des robes. Ce penchant pour l’hybride est également visible dans la confection des accessoires : les couvre-chefs sont le résultat de l’association d’un bonnet et d’une casquette. Dans le stylisme, les rayures horizontales sont associées à celles verticales, les sweats à zip aux chemises et cravates. Pour couronner l’esprit de cette collection en « eaux troubles », Botter collabore avec Reebok autour de pièces inspirées du football et des Caraïbes.

 

Egonlab, une ode à la beauté du corps

Avec cette nouvelle collection AH24 intitulée « Only Lovers Left Alive », le duo de designers que forment Florentin Glémarec et Kévin Nompeix se maintient à l’avant-garde d’une nouvelle génération. Egonlab oscille cette saison, entre des silhouettes au tailoring impeccable et d’autres beaucoup plus fluides qui empruntent leurs courbes au vestiaire féminin. La peau nue se dévoile au fur et à mesure des silhouettes. Elle est traitée comme un vêtement, l’étiquette comprise : 100% humain. Une des pièces phares du défilé s’apparente à un top-bijou qui dévoile tantôt la peau du dos, tantôt celle du ventre. La confection de ce top permet au tissu satiné de se mouvoir au gré des mouvements du corps. Cette liberté est contrebalancée par des silhouettes à l’apparence plus rigide, aux épaules carrées, à la taille marquée qui se déclinent autant en denim qu’en tissus mélangés. La collaboration avec UGG va dans le sens de cette rigidité. Invisible mais pourtant bien présente, l’association entre Egonlab et PSYCOM, une organisation à but non-lucratif qui cherche à sensibiliser le public au sujet de la santé mentale, est un ultime hommage à la nouvelle génération, plus soucieuse qu’aucune autre, des problématiques relatives à la santé mentale.

 

GmbH, une collection émouvante en guise de message de paix

Le plus politique pour la fin ? C’est précisément ce qu’ont proposé Serhat Işık et Benjamin Huseby, fondateurs du label berlinois GmbH, en clôturant la Fashion Week de Paris avec une collection AH24 personnelle, solennelle et émouvante. La voix claire et le verbe haut, le duo à la quadruple nationalité — Isik est Turc et Allemand, quand Huseby porte en lui la Norvège et le Pakistan — a d’abord délivré un discours aussi personnel qu’incisif, ne passant pas 4 chemins pour tracer une route qui mène, non pas à Rome, mais à un cessez-le-feu permanent et à la PAIX.

Côté vêtement, les premiers looks du défilé « Untitled Nations » ont fait la part belle aux costumes raffinés avec cols à franges superposés, aux sweats à capuche de couleur sombre floqués du logo des Nations-Unies, sans oublier le foulard keffieh palestinien réinterprété en habit formel. Progressivement, des manteaux aux épaules volontaires et des cagoules protectrices également drapées de keffiehs de couleurs blanche, noire, verte et rouge ont fait leur apparition. Des tranches de pastèque dégoulinantes, artistiquement peintes sur des t-shirts surdimensionnés, se présentant fièrement comme un symbole de solidarité palestinienne. À travers ce message hautement politique, comme peut l’être la mode dans les moments les plus cruciaux, GmbH n’oublie pas d’insuffler une touche de glamour :  plusieurs looks aux coupes asymétriques en crocodile texturé, ainsi que des manteaux de fourrure à l’envergure opulente complètent une collection qui n’a laissé personne indifférent.

 

Kidsuper, ou l’optimisme

Le collectif créatif fondé par Colm Dillane a proposé un défilé de célébrités autant sur le catwalk que dans le public. Parmi les icônes qui se sont prêtées au jeu, l’ancien footballer Ronaldinho (dont la silhouette apparait brodée sur un jeans et le visage sur un maillot en jersey), le danseur Julian MacKay ou encore le chanteur Dermot Kennedy. Versatile et audacieuse, cette nouvelle collection se découpe en plusieurs tableaux, pour la plupart hauts en couleurs et en motifs. Persuadé de l’existence de dimensions multiples, le créateur new-yorkais parvient à faire cohabiter différents styles et motifs, qu’il s’agisse de visages, de formes abstraites, d’aplats de couleurs, donnant aux intemporels costumes et chemises, un nouvel éclat. La collaboration avec Canada Goose ne fait pas exception puisque les quatre pièces, des doudounes puffy signatures, sont toutes colorées. Avec Kidsuper, l’hiver prochain s’annonce tout sauf morose, comme si quelque part, dans une autre dimension peut-être, cette saison était synonyme d’enthousiasme.

 

LGN Louis-Gabriel Nouchi, le meilleur ami de la littérature

Avec « Bel-Ami », le créateur français s’inspire une nouvelle fois d’un personnage de la littérature. En choisissant Georges Duroy, un des personnages phares du romancier Guy de Maupassant, Louis-Gabriel Nouchi dresse la silhouette d’un homme aux multiples facettes et à la trajectoire sociale fulgurante. S’il s’inspire bien d’un personnage masculin peu scrupuleux, le créateur fait également défiler des femmes, preuve qu’il s’approprie et renouvelle ce « Bel-Ami » et certainement aussi parce qu’il veut répondre à la demande grandissante des femmes qui souhaitent acheter sa marque. Majoritairement noires et bleues, les silhouettes portent en elles l’ascension sociale du personnage, autant dans la vie publique que dans l’intimité. Si les costumes et les pièces en satin rappellent la mondanité, les pièces qui dévoilent, par transparence, la peau, font écho, sans détour, à l’intimité, cruciale dans l’élévation sociale du personnage de roman. Les paillettes et les motifs satinés sont une référence directe au changement de milieu social, de même que la très explicite, flûte de champagne.

En multipliant les références explicites à la mondanité, Louis-Gabriel Nouchi prouve que sa marque éponyme est capable d’assemblages complexes qui font directement écho au tailoring du XIXe siècle. Et puisqu’il s’inspire d’un roman satirique, il reprend ce registre à son compte et ferme le défilé sur une femme vêtue d’un trench-coat en vinyle.

 

SULVAM, le dandysme contemporain

Fondé par le japonais Teppei Fujita, ancien proche collaborateur de Yohji Yamamoto, SULVAM revient cette saison avec une collection associant dentelle, laine et motif pied-de-poule. Si, sur le papier, la marque ne s’aventure pas loin du sentier des intemporels, elle est parvenue à transmettre une poésie rare lors de sa présentation. En reproduisant une terrasse de café et un appartement où les invité·es et les mannequins se mélangeaient, SULVAM a misé sur la proximité, idéale pour observer la précision de la confection. Cette mise en situation des vêtements a été poussée à son paroxysme par la marque puisque certain·es mannequins, porté·es par la musique qu’iels géraient eux-mêmes à partir d’une platine, se sont mis·es à danser. Ces instants profondément poétiques étaient entrecoupés de pauses durant lesquelles les mannequins se figeaient. Plus que la présentation de sa nouvelle collection, la marque a proposé une véritable mise en situation des vêtements faits pour accompagner les mouvements du corps de celui ou celle qui les porte mais aussi ses choix de vie.

 

System donne vie à la peinture de Romaine Brooks

Inspirée par l’artiste anglais·e Hannah Gluckstein, dit Gluck, et particulièrement par son portrait Peter – A Young English Girl par Romaine Brooks (1923), la collection va à l’encontre des normes de genre tout en se réappropriant des pièces classiques qui évoquent le quiet luxury. Entre matières nobles, palette de couleurs limitée et sens indéniable de la géométrie, System va à l’essentiel. La coupe des pantalons, des manteaux ainsi que celle des vestes est oversized. Seuls quelques tops sont près du corps et les jupes droites en cuir sont ajustées. Les sacs XXL, d’inspiration cabas, sont portés sous le bras et créent du volume autant que les quelques pièces en fourrure apportent de la texture aux silhouettes. À l’instar de la collection dans son rapport au genre, la scénographie renverse, elle aussi, les codes d’un défilé classique. Ce n’est pas le public qui entoure le runway mais l’inverse.

 

Wales Bonner retourne sur les bancs de l’université

Avec « Dream Study », inspirée par l’Université d’HowardWashington D.C. aux États-Unis, Grace Wales Bonner marque de nouveau son penchant pour les vêtements à la fois utilitaires, un brin classique, à des références sportswear, notamment amenées par la poursuite de sa collaboration avec Adidas. Au carrefour des époques et des cultures, la créatrice londonienne à qui tout sourit depuis quelques années, rend hommage aux personnalités afro-américaines, nombreuses à avoir été sur les bancs de l’université mythique. Parmi elles, les autrices Zora Neale Hurston et Toni Morrison, le regretté Chadwick Boseman ou encore Kamala Harris, l’actuelle Vice-présidente des États-Unis. Yasiin Bey, plus connu sous le nom de Mos Def, a réalisé en direct la bande son du défilé. Grace Wales Bonner a utilisé une palette de couleurs assez large, où le marron, le bleu et le rouge, souvent associés, revenaient particulièrement. Une des pièces phares du défilé, la botte mi-haute brillante, déclinée en plusieurs coloris, le plus souvent combinée avec des chaussettes hautes est une énième preuve de l’attrait de la créatrice pour le layering.

Article de Julie Boone et PK Douglas

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