Kiminte Kimhēkim, le designer coréen qui a reçu le beau en héritage

Âgé de 37 ans, le créateur coréen Kiminte Kimhēkim offre de véritables performances, mêlant savoir-faire coréen et couture française.

Kimhēkim FW23 © Gregoire Avenel

Une frange noire qui couvre les sourcils. Kiminte Kimhēkim, né dans le Sud de la Corée en 1986, en a fait son obsession. Ce style capillaire masque parfois entièrement les yeux des mannequins dans ses défilés, vouant une place particulière au vêtement. Fondée en 2016, sa marque éponyme est tout aussi reconnaissable par ses fétiches ballerines Monroe, vendues à l’international. Entrons dans l’univers obsessionnel de Kimhēkim.

Kimhēkim SS24 © Kiminte Kimhēkim
Kimhēkim SS24 © Kiminte Kimhēkim

Adèle Bari : Le 1er mars 2023, la scène d’ouverture de votre défilé parisien était saisissante. Des perles portées par une jeune femme se répandaient par milliers sur le sol, après qu’une équipe avait coupé les fils qui les maintenaient. Le mannequin se trouvait alors particulièrement dénudée. Que vouliez-vous transmettre à votre public ?

K.K. : La performance de la dernière collection visait à faire l’éloge de la « beauté accidentelle ». Les perles, lorsqu’elles sont attachées au fil, symbolisent une beauté restreinte, limitée. Mais lorsque la corde est coupée et que les perles tombent sur le sol, la beauté se libère. L’ensemble du spectacle symbolise donc la liberté et la beauté.

A.B. : Cette scène a également été critiquée pour sa nudité par les internautes. Certain·es personnes maintiennent qu’un défilé de mode est une question de vêtements. Que leur répondez-vous ?

K.K. : La nudité n’a pas vraiment d’importance. Lorsqu’elle est utilisée avec élégance, elle peut simplement être belle, comme une peinture de la Renaissance. Par ailleurs, les défilés de mode se limitent-ils vraiment aux vêtements portés par les mannequins ? Je pense que nous pouvons exprimer qui nous sommes à travers les défilés et les performances, et afficher la valeur de la marque.

A.B. : Pourquoi le choix d’un corps mince et androgyne ?

K.K. : Jada était très enthousiaste à l’idée de la performance et a participé activement à l’organisation de la chorégraphie. Elle s’est totalement appropriée le projet avant de mettre les pieds sur le podium. Nous avons ainsi choisi le modèle par intérêt pour la performance, et non en fonction de son type de corps. D’ailleurs, n’a-t-elle pas un corps très délicat et féminin ?

 

Kimhēkim FW22 © Maria Chekhovskaya
Kimhēkim FW22 © Maria Chekhovskaya

A.B. : Trois ans plus tôt, un mannequin enfilait la peau d’une femme hospitalisée pour votre collection intitulée Me. Elle défilait avec une poche de perfusion, mais semblait en forme dans sa façon de se mouvoir. Quelle était l’intention ?

K.K. : Comme l’indique clairement le titre, le mannequin représente mon propre état. Je souhaitais accorder du pouvoir à celleux qui luttent pour la vie. Je voulais que KIMHĒKIM soit comme les nutriments et les vitamines contenus dans la poche de perfusion. Comme le mannequin qui marche avec confiance : celleux qui portent KIMHĒKIM sont confiant·es.

A.B. : Cela m’amène à me demander comment décririez-vous l’attitude de la ou du client·e KIMHĒKIM ?

K.K. : La capacité de rêver est l’essence même de ma marque. Si vous êtes un·e rêveur·se, vous méritez ma collection. En tant que tel, l’individu KIMHĒKIM n’est pas enraciné dans une certaine esthétique. Il s’agit de son attitude et de ce que KIMHĒKIM peut signifier pour elle·lui. Même au cours de leur vie quotidienne, iels peuvent rêver d’être à un certain endroit, d’être une certaine personne. KIMHĒKIM devrait être le vêtement qui leur permet de réaliser ces rêves.

A.B. : Vous semblez être obsédé – terme que l’on retrouve dans l’une de vos séries – par le noir et blanc. Pourquoi ce choix de non-couleur ?

K.K. : Dans chaque collection, nous essayons d’intégrer des détails colorés dans nos pièces, mais je suis agréablement surpris que vous ayez vu juste ! Je suis personnellement obsédé par le noir et le blanc.

 

« Ma grand-mère était comme ma meilleure amie et, d’une certaine manière, mon premier mentor en matière de mode. »

 

A.B. : Vous descendez d’une famille royale coréenne et votre marque porte ce nom. Pouvez-vous nous parler un peu de votre histoire familiale ?

K.K. : Kimhēkim est le nom d’une famille royale de la dynastie « Gaya », qui a régné aux alentours du Ve siècle en Corée. Ces membres étaient célèbres pour leurs céladons (des œuvres en céramique d’origine asiatique, ndlr), leurs couronnes décoratives et d’autres objets d’artisanat. Je suis fier de porter ce nom, d’avoir nommé ma marque de manière éponyme et souhaite bien poursuivre l’esprit créatif de la maison KIMHĒKIM.

A.B. : Si j’ai bien compris, vous avez hérité du savoir-faire textile coréen grâce à votre grand-mère. Quel rôle a-t-elle joué dans votre vie ?

K.K. : Ma grand-mère était comme ma meilleure amie et, d’une certaine manière, mon premier mentor en matière de mode. Habiller les poupées Barbie avec elle était un jeu amusant pour moi. Les expériences et les techniques que j’ai apprises à cette époque sont restées gravées en moi jusqu’à aujourd’hui. Elles se retrouvent également inconsciemment dans mes collections.

 

Kimhēkim FW22 © Kiminte Kimhēkim
Kimhēkim FW22 © Kiminte Kimhēkim

A.B. : Dans votre travail, ces traditions coréennes s’unissent à la mode française. Comment mêlez-vous ces deux identités ?

K.K. : Dans mes collections, il y a une part égale de couture française, d’artisanat traditionnel et de couture coréenne. Je m’inspire continuellement de l’esthétique et des techniques coréennes, que j’apprends et intègre à mes créations. Cependant, je crée également mes collections avec le niveau de détail et de méticulosité de la couture française. Je n’ai jamais abandonné mes racines. Je fusionne mes expériences pour créer de la nouveauté.

A.B. : Durant vos années à Paris, vous avez travaillé pour Balenciaga avant de lancer votre marque. Est-ce une maison qui vous inspire encore aujourd’hui ?

K.K. : Travailler sous la direction de Nicolas Ghesquière chez Balenciaga a été une expérience unique pour moi. D’une certaine manière, je suis peut-être encore inspiré par cette époque. Cependant, le Balenciaga d’aujourd’hui est très différent de celui d’avant, et je ne me sens pas nécessairement proche de cette esthétique.

A.B. : Dans les pas de Martin Margiela, Sonia Rykiel ou Charlie Le Mindu, vous avez élu le cheveu en guise de tissu. Comment souhaitez-vous interpréter cette matière ?

K.K. : Ces personnes sont toutes mes idoles et j’ai grandi en regardant leurs collections. Le premier défilé auquel j’ai assisté était celui de Martin Margiela en 2007, et je me souviens avoir été incroyablement fasciné par les pièces présentées. Je m’inspire peut-être d’elleux dans une certaine mesure. Cependant, comme iels ont créé leurs propres méthodes et leurs propres designs, je trouve de la joie à trouver ma propre façon de travailler avec des matériaux comme les cheveux, et à les interpréter de la manière la plus KIMHĒKIM qui soit.

 

« L’industrie de la mode consomme une quantité incroyable de plastique dans ses emballages. Les nôtres sont en plastique biodégradable et tous les sacs et boîtes sont fabriqués à partir de papier réutilisé. »

 

Kimhēkim FW22 © Maria Chekhovskaya
Kimhēkim FW22 © Kiminte Kimhēkim

A.B. : Entretenez-vous une relation particulière avec l’éco-responsabilité ?

K.K. : L’éco-responsabilité n’est pas un terrain innovant ou difficile. Il s’agit simplement de réutiliser et d’économiser des matériaux, et de réduire les déchets. L’industrie de la mode consomme une quantité incroyable de plastique dans ses emballages. Les nôtres sont en plastique biodégradable et tous les sacs et boîtes sont fabriqués à partir de papier réutilisé.

A.B. : Auriez-vous quelques indices à nous confier à propos de votre prochaine collection ? De nouveaux engagements ou de nouvelles obsessions que vous aimeriez partager à l’avenir ?

K.K. : Pourquoi ne pas attendre de découvrir tout ça ?

A.B. : Pour conclure cet entretien, vous qualifieriez-vous d’audacieux ? Ou vous a-t-on déjà dit que vous l’étiez ?

K.K. : Certain·es personnes m’ont déjà qualifié d’audacieux. Mais je n’aime pas me considérer comme tel. Je pense que l’audace peut être synonyme de provocation et de rébellion. Je pense que j’ai simplement confiance en moi.

kimhekim.com

Entretien mené par Adèle Bari pour PAUL.E BOLD FW23/24. 

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