Je m’appelle Silvano et j’ai décidé de porter la parole de la diversité des corps dans la mode

C'est au détour du défilé Ester Manas en pleine Fashion Week de Paris SS23 que nous avons rencontré Silvano Coltro pour la toute première fois. À la faveur d'un été indien — pas si commun en Europe, le modèle vivant entre Bruxelles et Paris nous avait confié son plaisir de voir défiler des corps en chair, dans toute l'incandescence de leur rondeur sublimée par une collection véritablement inclusive et imaginée par une designer engagée dans le body positivisme.

À l’heure où la mode masculine peine à emboîter le pas de son pendant féminin, PAUL·E a eu envie d’échanger avec ce modèle activiste qui n’a pas sa langue dans sa poche. Rencontre.

P. : Bonjour Silvano ! Pourrais-tu te présenter pour celleux qui te connaitraient pas déjà ?

S.C. : Bonjour PAUL·E ! Merci de me laisser votre plateforme pour vous donner ma vision du monde ! Je m’appelle Silvano, j’ai 25 ans et je suis mannequin plus size. J’ai décidé de porter la parole de la diversité des corps dans la mode, et plus précisément dans la mode masculine.

P. : Tu as récemment poussé un coup de gueule sur les réseaux sociaux après t'être rendu compte que la collection capsule tant attendue entre deux grandes marques de mode s'arrêtait à la taille L. Pourquoi les corps masculins dits gros sont-ils encore si invisibilisés dans la mode selon toi ?

S.C. : Le problème avec beaucoup de marques, c’est qu’aujourd’hui iels ont une vue faussée sur leur public. Iels font appel à la diversité dans leurs campagnes et engagent des influenceur·ses et mannequins plus size qui amènent donc une clientèle plus variée et soucieuse de ces valeurs. Cependant, la production exclue totalement ce nouveau public, ce qui crée une frustration générale.

J’ai beaucoup de mal à comprendre le fait que les corps gros sont exclus de la mode. Je pense qu’il s’agit des vestiges des années 2000 et de son culte « heroin chic » ou des paroles répugnantes de Karl Lagerfeld longtemps glorifié dans les médias, car sa longévité dans le monde de la mode lui a conféré cette « légitimité » de s’exprimer sur ses propres complexes.

Le problème également, ce sont les usines qui produisent ces vêtements en général pour le prêt-à-porter et qui refusent de se développer, de diversifier les outils pour confectionner des vêtements dans des tailles plus inclusives.

Il y a un réel problème d’investissement sur la production et la confection du vêtement. Aujourd’hui, la communication des marques s’améliorent par obligation, pour rester « relevant » avec le temps, à l’ère où chaque erreur est épinglée et prise au sérieux sur les réseaux sociaux, à juste titre. Car sans ces mêmes réseaux, des personnes comme moi n’auraient certainement pas été invitées par des magazines pour s’exprimer sur ce sujet.

P. : Du coup, comment être à la mode quand on a un corps auquel les marques de mode ne prêtent pas attention ?

S.C. : Je pense fondamentalement qu’il faut suivre son instinct et ses envies, porter ce que l’on aime et s’inspirer de ce qu’on admire au quotidien.

Il s’agit plutôt d’incarner son style que de suivre une mode en particulier. Pour ma part je m’inspire des designers qui m’impressionnent et me font rêver et ensuite je cherche un peu partout pour créer ces tenues. Je consomme également beaucoup de seconde main par question d’éthique mais également parce que trouver un pantalon en taille 50 à ce jour dans la plupart des enseignes de mode est un réel défi pour nous.

Je me souviens dans mon enfance, m’habiller était un vrai trauma parce que dès le plus jeune âge je ne rentrais dans aucun des vêtements que j’aimais. J’ai du, pendant des années, « subir » les seules choses qui étaient à ma disposition. C’est quand j’ai réalisé plus tard la peine que ça me causait que ce désir de mettre la lumière sur cette cause a pris sens en moi.

P. : Le body positivisme s’installe progressivement dans la mode féminine. Pourquoi selon toi la mode masculine est-elle encore à la traine ?

S.C. : A l’ère des réseaux sociaux, la parole du client prend de l’ampleur un peu plus qu’avant parce que si un problème est ciblé les marques savent qu’un impact économique les attend au tournant. Je pense que c’est fondamentalement le moteur principal pour le changement.

Je suis tellement heureux de voir la mode féminine se diversifier. Ça me donne de l’espoir pour avancer dans notre combat aussi. Malheureusement, les stéréotypes de réussite sont encore trop attacher au corps svelte et musclé des hommes, ceux qui nous bassinent depuis des décennies dans le monde de la mode et de la publicité.

Nous militons avec les autres modèles plus size afin de normaliser les corps mais le combat est encore long et sinueux; mais je garde espoir que les grands dirigeants de maison et de groupe de mode voient le potentiel marketing derrière la simple décision d’élargir leur offre en matière de taille.

P. : Penses-tu que le manque d’inclusivité des corps dans la mode masculine n’est qu’un reflet de la société où la grossophobie est souvent justifiée par l’argument de la mauvaise santé ?

S.C. : La société en général banalise la grossophobie qu’elle soit dans le milieu médical ou le milieu de la mode. Il y a tellement de mauvais clichés qui continuent de circuler dans le monde. Le compte @corpscool fait un travail génial sur ce sujet; d’ailleurs je pense qu’il est intéressant de se pencher sur le nombre de stéréotypes vis-à-vis de notre santé en tant que personnes grosses.

Cette grossophobie est aussi intense du côté féminin que masculin; mais je tends à penser que le corps des femmes est sans cesse remis en cause. D’ailleurs, je n’ai pas hâte de cette vague publicitaire de « remise en forme » après les fêtes de fin d’année. Chaque année nous avons droits à des discours répugnant sur tous les canaux médiatiques jusqu’à l’été visant les personnes grosses ou ayant pris du poids à « être en forme, en bonne santé », associant donc encore vulgairement le poids à l’état de santé.

Les médias ont installé une réelle peur d’être en surpoids depuis des décennies dans le simple but marketing de vendre leur diet culture.

P. : En tant que mannequin, quelles ont été tes expériences lors de castings, sur des défilés ou des shoots mode ?

S.C. : Je me suis toujours présenté à chaque casting que j’ai eu l’occasion de faire. J’ai souvent fait le maximum pour m’inviter par moment sur ces castings afin de tenter ma chance parce qu’avoir un homme plus size n’est souvent pas la priorité d’un directeur de casting, malheureusement.

À l’heure d’aujourd’hui, je n’ai toujours pas eu l’occasion d’être sur un défilé. Pourtant, j’investis tout mon temps et sollicite un maximum de personnes pour en faire partie. La réponse revenant le plus souvent de directeurs de castings est que « la mode change et qu’on y arrivera bientôt ». J’essuie cette remarque depuis plus de deux ans maintenant. J’ai déjà proposé mon aide à certaines marques pour aider dans le casting, faire part des enjeux politiques et impacts bénéfiques d’introduire plus de diversité dans leurs shows. Malheureusement, il semblerait que Paris ne soit pas encore prêt à enclencher le pas sur ce sujet.

Heureusement, Londres et New York sont présents et nous font rêver avec leurs silhouettes différentes de nos défilés monotones parisiens. Surtout dans le menswear où un garçon plus size n’a jamais défilé.

P. : Quelles sont tes attentes en matière d’inclusivité des corps dans la mode masculine ? Comment les choses doivent-elles évoluer ?

S.C. : J’ai besoin de voir une marque comme Ester Manas au masculin, j’ai besoin de voir les gens qui ont la même passion que moi être totalement capable de vivre leurs rêves et de briller autant que nos autres collègues mannequins. Je veux que la mode parle à tout le monde et que ce mépris des corps soit laisser de côté.

L’art ne devrait pas être destiné qu’à une partie du public. Je pense également à toutes ces personnes qui pourront enfin s’identifier, se créer de nouvelles icônes. Je pense à nous, personnes en surpoids, n’ayant eu aucune figure à laquelle s’identifier.

Je suis persuadé que la vision et l’attitude des gens envers les personnes gros·ses changeront quand nos corps se démocratiseront dans l’espace public.

P. : As-tu des tips ou des conseils à donner aux fashionistos·as comme toi qui veulent être stylé·es tout en se sentant à l’aise dans leurs vêtements ?

S.C. : Il faut s’armer de patience, chiner et être créatif·ves !

Je vous invite également à surveiller les marques émergentes comme Karoline Vitto, les étudiants en école qui décident de se rebeller contre le stockman classique comme Nicolas Boyer, les photographes qui créent librement comme Elizaveta Porodina et des artistes qui questionnent le corps comme Michaela Stark.

P. : Merci Silvano !

S.C : Merci beaucoup PAUL·E, c’était un plaisir d’échanger avec vous ! Encore merci pour cette plateforme que vous me donnez. J’apprécie beaucoup.

NDLR : la demande d’interview avec Silvano Coltro a été formulée et acceptée en octobre 2022. Les aléas de la vie ont fait que Silvano a pu nous répondre mi-novembre. Nous publions cette interview ce jour en conformité avec un calendrier éditorial pré-établi.

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