Alphonse Maitrepierre, « Ma marque est un labo créatif dans lequel je m’amuse »

Lauréat du prix Talent émergent dans la catégorie Mode de l'édition 2021 des Grands prix de la création de la ville de Paris, Alphonse Maitrepierre déploie son univers onirique et futuriste, saison après saison, dans un vestiaire qui habille la rue comme la scène.

Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE
Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE

Avec son physique de jeune premier, le designer de mode Alphonse Maitrepierre n’a de théâtral que ses grands yeux expressifs traduisant l’enthousiasme et la passion qui nourrissent son travail depuis ses débuts. Après avoir fait ses classes chez Chanel, Études ou encore Jean-Paul Gaultier, cet alchimiste dans l’âme fusionne les références au passé et l’univers geek, sans oublier des clins d’oeil à la nature, ainsi qu’un engagement prononcé pour l’écoresponsabilité. Rencontre avec un talent dont la spontanéité et l’authenticité s’expriment pleinement aux manettes de son label à l’ambition tranquille.

Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE
Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE
Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE
Maitrepierre Collection Peau d'âne © STUDIO L'ETIQUETTE

PAUL·E : Pourquoi avoir choisi de créer ta marque éponyme ?

Alphonse Maitrepierre : À la base, je ne pensais pas forcément lancer une marque. Je travaillais en maison et le soir et les week-ends, je me rendais compte qu’il y avait des vêtements, des personnages que je gardais un peu en tête. J’avais cette espèce de petite frustration où je me disais : « J’aurais bien aimé faire ce design ! » Donc naturellement, je me suis mis à faire ces pièces. Après, les choses se sont faites assez naturellement parce que j’ai été contacté par un agent qui m’a demandé si ça me disait de montrer quelque chose. C’est rigolo, car je me souviens que j’étais super effrayé. C’est tout de suite beaucoup de pression. Mais, je me suis dit qu’il fallait profiter du moment où on est un peu jeune et « con » pour juste lâcher les rênes et se dire : « On y va ! ».

P. : Comment définis-tu le vestiaire Maitrepierre ? Qu’est-ce qui t’inspire ?

A.M. : Pour parler de la marque, il y a toujours 2 mots que j’aime bien utiliser : « old fashion » et « geek ». Old fashion parce que je me rends compte que c’est quelque chose que j’ai hérité de ma grand-mère qui était archiviste à la BNF. Donc, j’ai une passion absolue pour les archives. Je me rends compte que j’ai vraiment besoin de me nourrir de vieilles images, de vieilles publicités. C’est quelque chose que j’aime beaucoup et qui me permet de faire des liens avec les gens par rapport à des typologies, à des codes que les gens connaissent, type le tailleur bar, des choses très identifiables, très parisiennes, mais parfois un poil poussiéreux. J’aime prendre cette première inspiration et l’amener dans la « 2ème boîte », ce que j’appelle le geek. C’est une inspiration beaucoup plus digitale, quelque chose de plus contemporain, avec une petite touche d’humour. Quelque chose d’un peu pop ou dadaïste. J’adore parce que je trouve que le design c’est important, mais j’aime bien raconter quelque chose et avoir une narration. Que ce ne soit pas que du vêtement pour le vêtement. En toile de fond, il a forcément aussi cette inspiration nature qui est un élément important pour moi. J’aime avoir une référence à la nature, soit dans le design, soit dans des formes en travaillant sur quelque chose d’organique, pour en faire ce que j’appelle « une nature artificielle ». Sans jamais perdre de vue l’aspect sustainable et clean. C’est très important pour moi.

ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND

P. : Ton engagement dans l’écoresponsabilité influe-t-il sur les matériaux et les techniques que tu privilégies ?

A.M. : En effet, j’utilise beaucoup de deadstock parce que je trouve qu’il y a énormément de tissus disponibles de façon générale. Pour la réalisation de ma première collection, j’avais fait des collaborations avec des centres de tri de vêtements qui récupèrent ce que les gens déposent dans les bornes de rue. L’idée pour cette première collection était « d’ennoblir » les déchets et de faire avec ce que l’on avait sous la main. Aujourd’hui, ce processus a atteint ses limites car la marque commence à grossir. Je privilégie désormais plutôt les fibres recyclées parce que ça me permet de travailler des matières qui sont en rouleaux. Je suis donc passé du deadstock aux fibres recyclées et aux matières que j’appelle innovantes. Il y a quelques saisons, nous avions fait un partenariat avec un laboratoire à Amsterdam qui nous avait développé un silicone à base d’algues. J’avais adoré explorer et pousser cette idée à son paroxysme. Avec toujours cette envie de connecter l’humain et la nature. C’était d’ailleurs la thématique de ma dernière collection FW23.

P : Ta 2ème collection en partenariat avec la marque espagnole Desigual vient de sortir. Pourquoi cette collaboration est-elle importante pour toi ?

A.M. : J’adore vraiment l’équipe Desigual ! Malgré l’image compliquée que peut avoir la marque — soit les gens l’adorent, soit iels la détestent, je me suis rendu compte que nous avions plein de points d’accroche. En matière d’archives, il y a des pièces qui sont vraiment magnifiques et vraiment folles. Puis, dès que je suis arrivé à Barcelone où se trouve le studio, j’ai demandé à travailler uniquement avec de la fibre recyclée ou des matières qui ont des vraies labellisations. Iels ont tout de suite accepté. Iels m’ont également dit que pour l’instant la marque était à 10% de matières écoresponsables dans ce qu’on appelle « la main » (collection principale, ndlr) et que l’objectif était d’aller plus loin. Mes 2 collections en partenariat avec Desigual sont 100% écoresponsables, ce qui leur a permis de se rendre compte que c’était tout à fait possible. Je suis extrêmement heureux qu’aujourd’hui Desigual soit à plus de 60% d’écoresponsabilité dans leur ligne propre. Et en 2025, iels aimeraient atteindre les 100%. C’est super cool. Je me suis donc rendu compte qu’on avait vraiment énormément de points de convergence. J’adore également tout cet esprit coloré, tous ces imprimés. Il y a cet amour pour les codes de vêtements. Les archives Desigual sont remplies de pièces qui sont super contemporaines, de pièces qui pourraient défiler aujourd’hui alors qu’elles datent de 1984.

© Desigual x Maitrepierre SS23
© Desigual x Maitrepierre SS23
© Desigual x Maitrepierre SS23
© Desigual x Maitrepierre SS23

P : Ces 2 collections Desigual x Maitrepierre montrent aussi qu’acheter durable à prix abordable est possible…

A.M. : En effet, cela peut être très compliqué de façon générale. Les matières dites innovantes ou autres sont en moyenne 20 à 30% plus chères. Donc, c’est énorme. Je trouve qu’on devrait recevoir des aides afin de faire baisser ces prix d’achat. Cela pousserait sûrement plus de marques, plus de stylistes et plus de designers à aller vers ces matières durables. Ce qui est très intéressant avec Desigual, c’est qu’au vu de leur force de frappe et des quantités que la marque commandent, ces matières ne sont finalement vraiment pas si chères au final. On a donc pu proposer des designs écoresponsables à un prix attractif. Personnellement, j’ai toujours eu envie que mes ami·es, des copain·ines, des étudiant·es même puissent passer devant une boutique Desigual, avoir un coup de cœur et acheter une pièce Desigual x Maitrepierre sans se ruiner. J’adore voir les gens porter mes vêtements dans la rue. C’est un plaisir et une joie sans cesse renouveler quand je me balade dans les rues de Paris de prendre, discrètement, des photos de personnes qui portent mes pièces.

P. : En tant que créateur de mode émergent, quels sont les défis que tu rencontres et comment les surmontes-tu ?

A.M. : En tant que jeune marque, il y a toujours des enjeux qui sont compliqués, souvent liés au budget. J’enfonce sûrement une porte ouverte, mais la multiplicité des saisons fait qu’il faut avoir les reins solides. J’ai vraiment cette chance d’avoir une équipe avec qui je travaille en intelligence et dans une super bonne entente. Et ça, c’est magique. Aujourd’hui, j’ai l’impression, en termes de créativité, d’être à 40% de ce que je souhaiterais faire vraiment. C’est à la fois frustrant et stimulant parce que je suis encore jeune et que je me souhaite que ça continue longtemps. Mais, c’est vrai que forcément à l’heure actuelle ma créativité est aussi nourrie d’une forme de frustration de ne pas pouvoir faire tout ce que je voudrais et autant que je voudrais. Nos défilés comptent environ 25 parfois 28 looks maximum, pour le moment. J’espère pouvoir raconter mon histoire davantage sur de prochains défilés.

ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND

P : Penses-tu que l’avenir de la mode sera écoresponsable ou ne sera pas ? Est-on sur le droit chemin ?

A.M. : Pour moi, oui. L’avenir de la mode doit forcément passer par l’écoresponsabilité. Je trouve qu’aujourd’hui ça ne devrait même plus être un débat. Ça devrait juste être évident. On est, en effet, sur la bonne voie, car les client·es s’intéressent à cette question et ont tendance maintenant à privilégier des pièces ou des marques qui sont durables. On a aussi une nouvelle génération qui, grâce aux réseaux sociaux, se sent beaucoup plus concernée, qui est beaucoup plus au courant et qui dénoncent les anciennes pratiques de la mode dans lesquelles iels ne se reconnaissent pas. Il faut totalement banaliser l’écoresponsabilité. Et il faut aussi que les grandes marques s’y mettent pleinement. Il serait temps.

P : Quel est le classique que tu as adoré revisiter et qui représente parfaitement l’ADN de Maitrepierre ?

A.M. : Ah ! Très souvent au showroom, je montre 2 pièces pour vraiment expliquer la marque. Il y a notre tailleur qui est vraiment le tailleur qu’on reconduit de saison en saison. C’est un hoodie que j’ai fait fusionner avec les codes du tailleur bar de Dior. Donc, on a vraiment cette taille cintrée et la générosité de la basque. C’était vraiment cette idée d’avoir un pied dans le passé et un pied dans le futur. Ou en tout cas, quelque chose de beaucoup plus contemporain et de plus simple. Il y a également notre sac manette qui est lui aussi souvent ma référence parce que c’est mon petit bébé. Je crois qu’aujourd’hui c’est pire que les Skittles : on doit l’avoir en 10 couleurs différentes. L’idée de départ encore une fois était de revisiter les codes de la parisienne, un peu « Dadame ». Le sac Hermès fait partie de ces références et je trouvais qu’il y avait quelque chose d’intéressant à exploiter au niveau du design, de la forme et des lignes. J’ai donc retravaillé le Kelly d’Hermès sur Photoshop en étirant une image du sac sur celle d’une manette de PS3. Et c’est le sac d’aujourd’hui. Encore une fois, un pied dans le passé et un pied dans quelque chose d’un peu plus contemporain et pop !

ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND
ALPHONSE MAITREPIERRE FW23.24 © PAUL BLIND

P : L’actrice et chanteuse, Arielle Dombasle, a clôturé l’un de tes défilés en sublime rose rouge. Y a-t-il d’autres personnalités avec lesquelles tu rêves de collaborer ?

A.M. : (Rires) Oh la la ! En termes de personnalités, j’en ai vraiment beaucoup avec qui j’aimerais travailler. J’ai une passion folle pour Catherine Deneuve, à laquelle j’ai beaucoup pensé en terminant la collection « Peau d’âne ». Je suis aussi un grand fan de FKA Twigs que je trouve géniale. J’adore Arca. J’aime travailler avec des artistes qui ont non seulement « une gueule », mais aussi un vrai univers artistique. Pour revenir aux actrices, forcément Isabelle Huppert. Comme Catherine Deneuve, ce serait complètement magique de travailler ensemble. J’aime bien me dire que c’est un peu comme ma marque : pouvoir habiller des grandes figures que tout le monde connaît et avec lesquelles on a grandi, et aussi des figures un peu plus émergentes.

P : Quels sont tes objectifs à long terme pour faire grandir ta marque ?

A.M. : Pour l’instant, je commence doucement à trouver mon rythme de croisière, en tout cas le rythme qui me va. Je suis content du fait que la marque commence à s’alimenter par elle-même tout en restant aussi une sorte de laboratoire créatif dans lequel je continue de m’amuser, et où je ne me sens pas du tout forcé de faire des vêtements juste comme ça, juste pour faire de la sape. C’est vraiment quelque chose qui pour moi est fondamental. J’aimerais avoir le temps de designer plus d’accessoires parce que c’est quelque chose qui prend vraiment du temps. J’ai eu cette chance quand j’avais lancé le sac manette d’avoir à ce moment-là vraiment du temps pour le faire. Mais, j’aimerais vraiment là maintenant pouvoir avancer plus sur le développement d’accessoires. Et petit secret, avant de faire de la mode, je voulais être nez et faire des parfums. Donc, c’est un univers qui me parle parce que je trouve qu’il y a quelque chose de magique dans le parfum, parce que je trouve que c’est comme un souvenir, c’est comme la musique. Le parfum fait surgir tout de suite des connexions et des choses que je trouve complètement magiques. Donc, encore un autre scoop, on travaille en ce moment avec un laboratoire à l’expérimentation d’un parfum. Mais, ça prendra du temps car je veux bien faire les choses.

P. : Merci Alphonse Maitrepierre !

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