WEB CAME : QUAND L’OVERDOSE DIGITALE NOUS GUETTE

Illustration Alix Stemmelin

Lors de vos dernières vacances, vous aviez décidé de tout couper et vous avez finalement passé votre temps sur Instagram ? Un petit mail traité rapidement par-ci, une petite vérification sur Twitter que la Troisième Guerre mondiale n’a pas encore éclaté par-là, dur dur de se séparer de nos doudous 2.0.

Rassurez-vous, vous n’êtes pas seuls ! Ce phénomène d’addiction a même un nom : la nomophobie (née de la contraction de no mobile phobia). D’après un sondage signé Kantar-TNS pour Orange en 2017, 92 % des Français partent en vacances avec au moins un appareil permettant de se connecter à Internet alors que 83 % d’entre eux disent pourtant vouloir ralentir leur usage numérique. Plus édifiant encore, un Français sur cinq aimerait pouvoir vivre loin de son téléphone et de ses mails pendant les vacances, mais avoue ne pas y parvenir. Les symptômes de cette cyberdépendance ? Une utilisation incessante. Dans les transports, au bureau, à table, devant la télévision… vous regardez votre téléphone sans arrêt. L’apparition d’une crise de panique lorsque vous avez perdu votre fidèle compagnon électronique ou qu’il est impossible de le recharger, témoigne également de cette addiction. Comme des peluches qui nous réconfortent, nos smartphones nous rassurent et nous font croire qu’en leur présence, du réveil au coucher, tout ira bien.

Vous doutez de votre addiction à votre smartphone ? Faites un petit test et téléchargez l’application Moment qui mesure le temps passé chaque jour sur votre téléphone. D’après Moment, je passe personnellement une moyenne de 5 heures par jour sur mon smartphone. Quand on sait que je pourrais rentabiliser ce « temps perdu » en jardinant, en lisant un bon bouquin ou en voyant davantage mes amis ou ma famille à qui je répète ironiquement depuis des mois que « non, je n’ai pas le temps »… Pour autant, serais-je vraiment plus heureuse à faire des boutures ? Est-ce réellement inquiétant d’être accro à Instagram ? Est-ce que je perds vraiment mon temps à cliquer, scroller, swipper ? Dans notre course au bonheur permanente, la technologie nous permet-elle de jouir encore plus de la vie ou au contraire, est-elle un frein à notre épanouissement personnel ?

Nous sommes angoissés à l’idée de rater quelque chose, que ce soit bon ou mauvais pour nous. Résultat, ce stress lié à la crainte du manque nous empêche de nous déconnecter.

Pourquoi devient-on accro ?

Pour Tristan Harris, ex-ingénieur chez Google et désormais repenti de la Silicon Valley, une des explications de cette addiction réside dans le fait que nos téléphones soient devenus des machines à sous. Dans une conférence Ted, il explique : « À l’instar du casino, lorsqu’on insère des pièces dans les machines à sous, sur les réseaux sociaux, on a pris l’habitude de rafraîchir frénétiquement les pages en se demandant : ‹ Qu’est-ce qui va bien pouvoir tomber ?  » Sur le web, comme quand on ne gagne pas au casino, cela se traduit par des mauvaises nouvelles, des insultes, la vision d’une photo qui nous rend jaloux… Mais cela peut aussi être du positif. Le jackpot qui tombe équivaut alors à des likes, des compliments, des bonnes nouvelles… Ce genre de situation binaire nous rendrait donc complètement accro à notre smartphone, voire carrément FOMO, acronyme de « Fear Of Missing Out ». Nous sommes angoissés à l’idée de rater quelque chose, que ce soit bon ou mauvais pour nous. Résultat, ce stress lié à la crainte du manque nous empêche de nous déconnecter.

Une autre explication viendrait de notre conditionnement pavlovien. Vous vous souvenez de Ivan Pavlov ? Lors d’une expérience avec son chien, le physiologiste avait entraîné ce dernier à ce qu’il se comporte d’une certaine manière au son d’une cloche. Lorsque le chien avait le bon comportement, Pavlov le récompensait avec de la nourriture, ce qui provoquait chez lui une réaction salivaire. À force de répéter cette expérience, le chien a fini par saliver simplement en entendant le son de la cloche, sans avoir besoin de manger. Et si nous avions le même comportement avec les notifications ? Lorsque le « bip » retentit, de l’impatience, un petit stress ou de la joie que l’on ne devrait d’ordinaire pas ressentir en entendant ce son se manifeste. Conscients de cela, les développeurs de la Silicon Valley redoublent d’ingéniosité pour multiplier les pushes et nous inciter à les installer sur nos téléphones. Une astuce désormais utilisée par toutes les applications, même celles de méditation ou de sophrologie censées au contraire nous aider à la déconnexion… Fait alarmant, aujourd’hui, même les employés de Google, Twitter et Facebook — qui ont rendu les réseaux sociaux si addictifs — décident d’opérer une digital rehab. Justin Rosenstein, l’ingénieur qui a créé le bouton Like sur Facebook, explique par exemple qu’il a bidouillé son ordinateur afin de bloquer Reddit, désinstallé Snapchat, qu’il compare à de l’héroïne, et s’est imposé certaines limites quant à son utilisation de Facebook, car pour lui, les likes sont « des sonneries de bonheur artificiel, pouvant être aussi séduisantes que nocives ».

Au fil des ans, le smartphone est également devenu de plus en plus intelligent à tel point qu’il se substitue parfois à notre cerveau. En se souvenant par exemple à notre place de notre rendez-vous chez le dentiste, en nous conseillant le chemin le plus court pour retrouver notre BFF et en affichant sur notre écran l’horaire de notre train, il se substitue à notre capacité de réflexion et d’adaptation à notre environnement. Sans lui nous serions perdus, au sens propre comme au figuré.

Le constat est implacable : notre génération est de moins en moins capable de se concentrer sur une tâche.

Votre attention s’il vous plaît !

Si cette addiction digitale peut paraître anecdotique, les conséquences ne sont pas négligeables. L’un des dangers n’est autre que la destruction de l’attention. Selon Gloria Mark, chercheuse à l’Université d’Irvine en Californie, nous serions aujourd’hui interrompus toutes les trois minutes par des sollicitations extérieures humaines ou digitales (mails, SMS, notifications). Or, il faut au cerveau 23 minutes pour se reconcentrer après chaque interruption, même si elle ne dure que quelques secondes ! Le constat est implacable : notre génération est de moins en moins capable de se concentrer sur une tâche.

Michael Stora, psychologue spécialiste des addictions et auteur du livre Hyperconnexion (Larousse, 2017) blâme le mail en particulier : « Cet outil devenu indispensable qui nous pourrit la vie », dit-il. Dans un billet, il explique : « Cette boîte de Pandore nous met la pression. Impossible de l’éviter, nous devons l’ouvrir. Car notre BAL nous sonne et nous envoie des notifications auxquelles nous nous sentons souvent obligés de répondre le plus rapidement possible, pour faire preuve de réactivité et d’efficacité, deux valeurs emblématiques du monde du travail et de l’entreprise. Notre ordinateur ou notre smartphone nous rappelle ainsi sans arrêt à l’ordre. Ces notifications viennent clignoter dans l’anxiété de nos pensées, toujours en alerte, toujours prêtes à arrêter le travail en cours pour réagir au mail d’un client, de la direction, des services généraux ou de la personne assise dans le bureau d’à côté. Pour reprendre notre tâche, puis nous interrompre de nouveau, puis revenir au dossier en cours. Il n’est pas question ici de remettre en doute le rôle facilitateur des mails, mais force est de constater que notre BAL souvent nous tyrannise. »


Si le danger du FOMO et de l’hyperconnexion sont évidents, essayons d’accepter que dans une société aussi connectée que la nôtre, des choses nous échapperont toujours.

De FOMO à JOMO

Alors, comment lutter efficacement contre les conséquences de notre addiction aux smartphones ? Si le danger du FOMO et de l’hyperconnexion sont évidents, essayons d’accepter que dans une société aussi connectée que la nôtre, des choses nous échapperont toujours. On passerait ainsi de FOMO à JOMO, « Joy Of Missing Out ».

Toujours dans cette lignée, Tristan Harris a une solution bien à lui et propose de changer l’économie d’Internet, de ne plus réfléchir en termes de temps passé sur les sites ou les applis, mais en termes de temps passé utilement sur ces derniers. Sur son site timewellspent.io, il dévoile sa vision d’un web nouveau qui apporterait une « contribution nette et positive à la vie humaine ». Par exemple, dans les applications de chat comme Slack ou Google Talk, il propose d’ajouter une option qui permettrait aux utilisateurs de stipuler qu’ils sont « concentrés » et ne souhaitent pas être dérangés. Pendant ce laps de temps, tous les messages et notifications seraient donc automatiquement « suspendus » et parviendraient au destinataire uniquement lors de la désactivation de l’option. En cas d’urgence absolue, un mode permettrait toutefois de percer la bulle de concentration afin de rassurer ceux qui auraient peur de ne pas être au courant si quelque chose d’important se passait. Autre idée qui a retenu notre attention : celle d’un correcteur d’orthographe dit « compassionnel » et qui soulignerait les mots qui peuvent blesser et heurter la sensibilité de celui qui les lit. Vous imaginez si tous les commentaires des posts Facebook ou Instagram étaient bienveillants ?

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