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Sam whiteside
Sous son nom de star de cinéma, Tilly Lawless est bien plus que ça. Sur son compte Twitter, on peut lire : Queer/Sydney/SW. SW, pour Sex Worker, le travail qu’elle exerce. En février 2015, elle publie une photo d’elle suivie du hashtag #facesofprostitution et elle devient, en l’espace d’une nuit, une voix pour une communauté qui en manquait cruellement. Derrière une gueule d’ange, il y a un franc-parler et un activisme déterminé qu’elle utilise sans concession, avec sincérité, poésie et intelligence. Rencontre avec une femme à la force et à l’énergie admirables.
Propos recueillis par Marine Stisi
Peux-tu te présenter, avec tes propres mots ?
Je suis une jeune femme, lesbienne, qui vit et travaille à Sydney. Depuis cinq ans, je suis une travailleuse du sexe, passionnée de chevaux et de féminisme.
Photo Ryan Pike
En 2015, tu as publié sur Instagram une photo de toi suivie du hashtag #facesofprostitution (les visages de la prostitution en français, ndlr), en réponse à un article publié sur le blog australien Mamamia. À l’occasion des 25 ans du film Pretty Woman, le blog accusait le film d’offrir une image glamour de la prostitution. Tu as alors publié un court texte pour évoquer la diversité des profils dans l’industrie du sexe et la dangerosité de tomber dans le cliché. Peux-tu nous expliquer ton ressenti à la lecture de cet article et pourquoi il t’a semblé important d’y répondre ?
Quand je suis tombée sur cet article – tout à fait par hasard –, j’étais vraiment très frustrée et très en colère que quelqu’un qui n’avait absolument aucune expérience ni aucune idée de ce que peut être la prostitution tombe aussi bêtement, et la tête la première, dans tous les clichés que l’industrie du sexe véhicule, et qu’il réduise d’un coup des centaines de milliers d’histoires à une seule et même vérité. Moi-même du métier, il m’a paru important d’intervenir et de répondre ceci : « Hey, vous savez quoi, cette dichotomie que vous mettez sans cesse en avant – d’un côté l’escort glamour et très bien payée, et de l’autre, la victime drug addict – est terriblement réductrice et signifie qu’aucune place n’est laissée aux travailleurs et travailleuses du sexe pour qu’ils parlent librement des questions importantes les concernant. »
Tu postes la photo sur Instagram, puis vas te coucher… Le lendemain matin, une tempête était déjà en marche. Le hashtag était devenu viral. Tu avais sans doute conscience de la portée des réseaux sociaux, mais t’attendais- tu à une telle réaction ?
En réalité, j’ai posté la photo sur Instagram, mais c’est sur Twitter qu’elle a littéralement explosé ! Elle a été retweetée des centaines de fois. N’étant pas familière de Twitter, c’était pour le coup véritablement imprévu ! Ça a eu une réelle résonance auprès d’autres prostitués autour de moi.
Est-il vrai que les rédacteurs du blog en question, Mamamia, t’ont proposé d’écrire une réponse sur leur site ?
Oui, absolument. J’ai refusé leur offre, bien sûr, car je ne voulais vraiment pas leur apporter de la visibilité supplémentaire. Ce blog aime faire de la provocation, dans le sensationnel… Ce qui n’est pas mon cas.
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Chloé Nour
Utiliser ton vrai nom, Tilly Lawless, t’est-il soudain apparu comme un problème dans la protection de ton intimité ? Tout à coup, ta profession a été exposée aux yeux de tous…
Absolument ! Du jour au lendemain, tout le monde était au courant de mon travail, tous les membres de ma famille, même les plus éloignés. Et à partir du moment où les choses te collent à la peau, dès qu’elles sont sur le Net, c’est pour toujours ! J’étais donc pleinement consciente que les gens sauraient jusqu’à la fin de ma vie que j’ai été prostituée, même si je décide d’arrêter un jour. De toute manière, ma vie privée étant d’ores et déjà compromise, je me suis servie de cet argument de notoriété publique. Oui, j’étais prête à parler de mon travail, à utiliser diverses plateformes pour ça. Je ne serai jamais un porte-parole pour les travailleurs du sexe pour la simple et bonne raison que je ne considère pas qu’une seule voix puisse supporter une telle fonction, mais j’ai eu le sentiment qu’une responsabilité me revenait, et que j’étais obligée d’utiliser mes privilèges pour évoquer des choses que nombre de mes collègues ne peuvent pas évoquer, par manque de sécurité, par peur, ou pour bien d’autres raisons.
Est-on jamais préparé à une telle tempête ? Trois ans plus tard, comment le vois-tu ?
C’était une période éprouvante, bien sûr, mais après coup, je suis fière d’avoir pu ajouter une pierre à l’édifice, au changement en marche.
D’une certaine manière, tu as un peu lancé un mouvement…
Je ne dirais pas vraiment un mouvement, puisque d’autres travailleuses et activistes se battent et parlent tout haut de l’industrie et des droits depuis des décennies, mais je suis sans doute arrivée au bon moment. De plus, personne avant moi n’avait utilisé les réseaux sociaux pour mettre en avant nos luttes. C’était la première fois que quelqu’un se servait d’Instagram comme d’un journal en ligne, un espace pour démanteler les préjudices et les ignorances autour de l’industrie du sexe.
Aujourd’hui, tu continues de t’exprimer sur le sujet, toujours par les mêmes réseaux. Tu es devenue une voix qui compte. Très récemment, tu prenais le temps de dénoncer le FOSTA-SESTA (Fight Online Sex Trafficking Act et Stop Enabling Sex Traffickers Act : une loi signée aux États-Unis par Donald Trump censée éradiquer les trafics sexuels en ligne, mais, puisqu’elle ouvre la voie à la censure généralisée, elle est vivement remise en question par la grande majorité de la communauté et l’industrie du sexe, ndlr). As-tu déjà imaginé qu’une telle place puisse t’être accordée ?
Même si j’en suis ravie, je n’ai jamais prémédité ça et n’y aspirais pas.
Photo Chloé Nour
Tu parles beaucoup des insultes que tu reçois sans cesse, du harcèlement dont tu es victime, en ligne et directement. Comment parviens-tu à y faire face ?
Il y a évidemment des insultes qui me touchent, mais je fais mon maximum pour me rappeler que si j’ai le respect et la confiance de ceux que je respecte et en qui j’ai confiance, c’est le plus important. Ce que des gens que je ne connais pas et qui se permettent de m’insulter en ligne pensent, ça ne m’intéresse pas.
Tu ne caches pas le fait que la plupart des insultes qui te sont adressées viennent de féministes ellesmêmes, plus précisément des Sex Worker Exclusionary Radical Feminist (le SWERF, un mouvement féministe qui se bat pour l’abolition de la prostitution, ndlr). Qu’est-ce que cela représente, être féministe aujourd’hui ?
Je n’ai pas réellement de définition arrêtée du féminisme, car selon moi, le féminisme est en perpétuelle évolution. À mon avis, il s’agit de piocher des idées dans le travail et les mots des autres, et de les utiliser pour créer une manière de voir le monde plus nuancée, plus intersectionnelle. Donc, je dirais que le plus important est d’écouter, de parler quand c’est nécessaire et de mettre en avant la parole de l’autre.
Comment vois-tu ta vie désormais ? Quelles sont les prochaines étapes que tu envisages ?
Ma petite amie et moi voulons fonder une famille l’année prochaine… Et je dois dire que j’ai terriblement hâte d’être enceinte, et de devenir mère !