TÉMÉ TAN NOUS EMMÈNE AILLEURS
Il a l’âme d’un nomade et des souvenirs de voyage plein la tête. Tanguy Haesevoets alias Témé Tan est quarteron. Son grand-père maternel a quitté la Belgique pour le Congo où il a rencontré sa femme et fondé une famille. Sa mère, métisse, a quant à elle fait le chemin en sens inverse. Venue étudier en Belgique, elle a rencontré son mari, tombé lui aussi amoureux par la suite du Congo. Habitué à voler très tôt pour rejoindre son père, quand il a déménagé en Flandre avec sa mère, Tanguy développe très tôt une passion affirmée pour l’ailleurs. « Tout quitter pour parcourir le monde pend au nez de tous les garçons de la famille », résume-t-il. Les chansons de son premier album portent toute la trace des pays qu’il a visités. On lui a proposé de retracer la route de ses influences, de Grenade, son premier voyage en Erasmus, à l’Amérique latine, en passant par le Japon, sans perdre de vue sa prochaine destination — une île sans touriste qu’il préfère garder secrète. Il vous raconte son histoire avec des photos de sa collection personnelle.
« Sur la route vers Matadi, je fais le plein de fruits. » ; Crédits : Témé Tan
Ma famille est très attachée au Congo. On en parle tout le temps, souvent avec mélancolie, par rapport à ce que ce pays pourrait être : potentiellement le plus riche du monde alors qu’il est parmi les plus pauvres. Ça tient à chacun de retrousser ses manches pour faire bouger les choses. J’ai toujours un cousin qui vit à Kinshasa. Il est comme un frère pour moi. Je devrais y retourner l’année prochaine. La dernière fois c’était en 2015. Tout dépend de ce qui va se passer maintenant que Kabila a refusé de tenir des élections.
« De retour à l’entrée de Kinshasa. » ; Crédits : Témé Tan
LA RUMBA, HIER, AUJOURD’HUI ET DEMAIN
On se réunissait tous les week-ends en famille avec mes oncles et mes tantines, mes cousins et mes cousines, et on écoutait les classiques de la rumba congolaise en vinyles. Tabu Ley Rochereau, Franco, Papa Wemba. J’ai une voix assez grave, mais j’ai beaucoup travaillé ma voix de tête pour créer des chœurs imaginaires sur bande. Ce doit être lié à l’écoute de leurs disques. Ils vont chercher les hautes notes, un peu nasales, comme Mory Kanté en Afrique de l’Ouest. On me dit souvent que mes harmonies sont très spéciales, aussi parce que mon oreille s’est formée en écoutant ces chants traditionnels. Je garde toujours l’œil ouvert sur ce qui sort au Congo. La peinture de Chéri Samba, l’écriture de Jean Bofane ou les nouveaux artistes qui sortent de la rue et qui utilisent des matériaux de récup pour faire de la musique comme Staff Benda Bilili et Konono No.1, mais aussi Kokoko !, Mbongwana Sfar, Jupiter Okwess, ou des artistes plus établis comme Fally Ipupa qui font des featurings avec Booba.
« Je viens d’arriver en Belgique en plein été, heureusement. Je découvre les joies de la mer du Nord. » ; Crédits : Témé Tan
MC TANGUY
Je me suis fait enrôler dans mon premier groupe parce que j’avais décidé de rapper un exposé sur une face B des Beastie Boys. C’était au lycée. Mes premiers amis de la scène musicale belge étaient tous des rappeurs (Veence Hanao ou Noza). J’écoutais beaucoup de hip-hop quand j’étais ado. MC Solaar, les Fugees, The Pharcyde, Tribe Called Quest, Arrested Development. Je leur dois ma manière de produire mes morceaux. Car même si je joue des percussions acoustiques, je les édite comme si c’était un beat de rap. D’ailleurs la première machine que j’ai achetée, c’était une MPC 2000 xl, un sampler qui est légendaire dans le hip-hop, et qui est notamment associé au producteur J Dilla. Encore maintenant, je suis fréquente davantage la scène hip-hop. Le Motel, producteur de Roméo Elvis est un ami. Comme Caballero & JeanJass. Quand mon titre Ça va pas la tête a rejoint la playlist de FIFA 2018, ça m’a fait rire de me voir tagué dans les stories de Roméo Elvis et Lomepal qui se filmaient en train d’y jouer (sourire).
« Ma chambre d’étudiant à Grenade où j’ai enregistré mes premières démos. » ; Crédits : Témé Tan
NIPPON MANIA
J’ai toujours été passionné par le Japon. Les mangas, la calligraphie avec les kanjis et les hiraganas, l’image du Mont Fuji, les kimonos. En 2009, j’ai décidé de donner mon premier concert à Kyoto, parce que je me sentais comme un outsider sur la scène bruxelloise. Ma grande amie, Momo Ejiri, que j’avais rencontré auparavant en Andalousie, m’envoyait régulièrement des compilations sur CD gravé. Je me sentais beaucoup plus en phase avec des artistes comme Tujiko Noriko, Cornelius, Pizzicato Five. Ça m’aurait plu de tourner au Japon, mais à l’époque, j’étais musicien de Veence Hanao, et je n’avais pas le temps pour mon projet perso. J’y suis retourné en 2015 pour faire quatre concerts à Tokyo dont un à Shibuya, dans une superbe salle. J’étais logé chez mes amies Maïa Barouh, la fille de Pierre Barouh, et Maï Ogawa, qui a posé sa voix sur mon premier album et qui habite aujourd’hui Bruxelles. J’emprunte à la pop japonaise une sobriété des sons et l’envie de considérer mes textes comme des haïkus avec ses images simples. Olivia en est un exemple. Les claviers sont comme des danseuses geishas assez délicates.
« Mon concert en plein Shibuya chez Saravah Tokyo. » ; Crédits : Témé Tan
L’APPEL DE LA NATURE
Je suis parti en Amazonie en 2012, juste avant mon voyage au Brésil, pour apprendre d’un chaman les propriétés des plantes, me nettoyer un bon coup, entrer en connexion avec la nature, lire et peindre. C’était très fort comme expérience. De se retrouver là, dans un des poumons du monde ! J’ai toujours eu à cœur de nourrir mon univers intérieur. Je suis quelqu’un qui croit aux forces de la nature. Ce voyage a rajouté une dimension à mon interprétation. Je sais jusqu’où j’ai envie d’emmener les gens avec mes chansons. La musique a un pouvoir très puissant et elle peut faire voyager au même titre qu’un chaman, avec ses chants traditionnels et ses préparations de plantes.
« J’ai passé quelque temps chez les Shipibos à Betania en Amazonie. » ; Crédits : Témé Tan
PRISE DE CONSCIENCE
J’avais perdu un peu la fois dans les concerts que je voyais à la capitale belge, où les gens étaient surtout là pour boire et se montrer. Au Brésil, c’est très différent. Dans ce qu’on appelle les rodas de samba, le public se mélange aux musiciens. Ça peut arriver qu’un guitariste propose à quelqu’un de reprendre son instrument le temps qu’il aille se chercher une caïpirinha. Les musiciens brésiliens sont très relaxes. Tout le monde joue un petit peu de quelque chose et connaît ses classiques. La musique n’est pas réservée à une élite. Ça m’a donné envie de proposer des concerts différents. Plutôt que de venir faire un show et me barrer, j’ai envie de rencontrer les gens. Et si je n’arrive pas à les faire bouger, je me dis que je suis en train de faire un concert de merde ! Souvent, ils préfèrent rester planqués derrière leur téléphone et leur bière, mais si on les provoque gentiment, il se passera quelque chose et ils se souviendront pour longtemps du concert. C’est ma philosophie !
SAUDADES DO BRASIL ¡
Mes études de littérature et de linguistique hispanophone, Jorge Luis Borges et Paulo Coelho ont développé mon imaginaire de l’Amérique latine. Je devais voir ce territoire de mes yeux, le palper. Je ne voulais pas visiter le Brésil pour les images de carte postale que j’en avais, mais pour le son. Mon premier contact avec la musique brésilienne, c’était Garota de Ipanema (signée Tom Jobin [musique] et Vinicius de Moraes [paroles], devenue universelle sous le titre Girl from Ipanema et reprise par Frank Sinatra ou encore Amy Winehouse, ndlr). C’est un gros cliché, mais je me suis littéralement retrouvé projeté sur cette plage que je n’avais jamais vue à Rio de Janeiro et c’était tellement beau. J’aime être entouré de musique brésilienne, de Jorge Ben à Gilberto Gil.
DOC GYNÉCO, DANS MA RUE