POURQUOI IL FAUT VOIR « IT’S A SIN », LA SÉRIE BRITISH SUR LES DÉBUTS DU SIDA

Elle a débarqué le 22 mars sur Canal+. La création suit une bande de potes londoniens pendant dix ans, de 1981 à 1991. Cinq ami·e·s qui vont subir au premier plan les conséquences d'une maladie terrible, aussi bien sur le plan sanitaire que social. A voir absolument, pour toutes les raisons suivantes.

© Channel 4/Canal+

On ressort d’It’s a Sin avec des larmes plein les yeux et une furieuse envie d’en savoir plus. Cinq épisodes de la série quasi autobiographique de Russel T. Davies (aussi derrière Queer as Folk et le génial Years and Years) ont suffi à nous retourner, et à nous convaincre de se renseigner sur une époque marquée par une épidémie dramatique qui a condamné des millions de personnes, et qui sévit encore aujourd’hui. Familier ? Le contraste est cependant de taille avec la situation actuelle : il y a 40 ans, cette crise sanitaire sans précédent s’est d’abord déroulée dans l’indifférence presque totale. 

Le pitch est le suivant : Ritchie (Olly Alexander), Roscoe (Omari Douglas), Ash (Nathaniel Curtis) et Colin (Callum Scott Howells) sont quatre hommes cis gays aux passés divers et caractères attachants qui emménagent ensemble dans le Londres des années 80, après avoir fui ou menti à leur famille sur leur orientation sexuelle pour la majorité. Ils sont accompagnés de Jill (Lydia West), jeune femme du même âge et personnage clé, qui deviendra le pilier de la coloc’, dans la joie comme dans la tristesse. Tout ce beau monde passe son temps à organiser des fêtes incroyables dans leur appart’ baptisé le Pink Palace, à enchaîner les petits boulots et les auditions, à rêver et à s’aimer. A se soutenir face à la haine du monde extérieur, et rapidement : à lutter contre un ennemi invisible et dévastateur. Le sida.

"À qui le tour ?"

© Channel 4/Canal+

La maladie a officiellement commencé en 1981, aux Etats-Unis. 1981, c’est aussi l’année qui marque le début du récit. L’insouciance règne dans les 45 minutes du pilote ; on soupçonne qu’elle ne durera pas longtemps. Le nom de cette menace meurtrière résonne en arrière-plan, au fil de discussions que les protagonistes ne prennent pas vraiment au sérieux. 

Dans la communauté gay de la capitale britannique, les associations de malades s’organisent au fur et à mesure des cas locaux et des diagnostics venus d’outre-Atlantique, mais nombreux peinent encore à croire à ce « cancer gay », comme il est labélisé par les médias de cette société ultra-conservatrice (Margaret Thatcher est alors aux commandes du pays). Ritchie ironise d’ailleurs : « Ça toucherait les homosexuels, les Haïtiens et les hémophiles. La maladie ciblerait la lettre H. À qui le tour ? Les habitants de Hartlepool, du Hampshire et de Hull ? »

A en croire Christophe Martet, journaliste et ancien président d’Act Up-Paris, cette méfiance est parfaitement fidèle à la réalité. « Quand vous avez la vingtaine, être foudroyé par une maladie en l’espace de quelques mois, c’est inconcevable, ça n’est pas dans l’ordre des choses », plaide-t-il auprès de Franceinfo. « Il y avait très peu d’infos à l’époque, il n’y avait pas internet ni de réseaux sociaux, il n’y avait pas de média gay très puissant ». Rien pour relayer « l’hécatombe », qualifie-t-il, qui faisait rage. Rien pour alerter ni protéger.

Un show puissant et important

© Channel 4/Canal+

Si It’s a Sin est essentielle, c’est donc d’abord pour ce témoignage d’un temps pas si vieux dont les répercussions sont encore présentes des décennies plus tard. En 2021, la plupart des personnes séropositives ne meurent plus en quelques mois comme c’était le cas, grâce à l’avancée de la médecine et à la mise en place de traitements comme la trithérapie, mais les victimes restent nombreuses (en 2019, on comptait 690 000 décès qui y sont liés, révèle l’ONU, la pandémie de Covid-19 ayant depuis freiné la recherche). Et les idées reçues qui entourent leur condition, particulièrement coriaces. 

Exemple parlant qui est mentionné dans les derniers chapitres : la différence cruciale entre VIH (virus de l’immunodéficience humaine) et sida (syndrome d’immunodéficience acquise). Souvent confondus, ils désignent en réalité deux choses bien distinctes. Le VIH est le virus responsable du sida. Ce dernier, le stade ultime de la maladie en l’absence de traitement pour contrer le virus, décortique l’asso Aides. Une précision indispensable, ici vulgarisée, qui s’accompagne d’un autre point sur lequel continuer d’insister : on ne l’attrape pas en faisant la bise ni en buvant dans le même verre qu’une personne infectée. 

Là aussi, l’œuvre documente efficacement la stigmatisation douloureuse subie par ceux qui sont touchés, et la méconnaissance tenace qui en est, au-delà d’une homophobie nauséabonde, à l’origine. Quand on ne cachait pas les ravages de l’épidémie au public, ou les médicaments disponibles, ce sont les patients qu’on enfermait à double tour dans une pièce à l’écart du reste de l’hôpital. Colin, comme son supérieur interprété par Neil Patrick Harris, en fera les frais. « L’épidémie n’a pas été traitée de manière rationnelle », s’indigne Christophe Martet, « beaucoup d’arguments moraux ont pesé dans la balance ».

Et puis surtout, It’s a Sin transporte par la justesse de son écriture, par la description nécessaire d’un pan de l’Histoire queer, de ses relations inspirantes et libres, par les tabous qu’elle contribue à faire tomber, sous bien des aspects. On entre dans le quotidien de cette bande d’ami·e·s, de cette famille choisie, et on embrasse leur cause, leurs souffrances autant qu’on tombe amoureux·se de leurs personnalités uniques. 

Un show puissant, important. Plein d’amour, de vie et d’émotions incarnées avec talent, qui éduque autant qu’il bouleverse. Une fresque qui marque nos esprits. A voir, par tou·te·s, sans hésiter. Et à partager.

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