MALCA : SON CŒUR EST A CASA !

Crédit : Marvin Leuvrey

Il donne toutes ses interviews dans le salon de thé de la Grande Mosquée de Paris. Un endroit familier où il passe son temps à parler foot avec les serveurs, car il y retrouve une ambiance propre à Casablanca, où il a grandi. Bien qu’il soit installé depuis quelques années à Paris, ses origines sont plus que jamais assumées dans son nouvel EP Casablanca Jungle, deux ans après la sortie de She Gets Too High qui l’avait mis sur orbite. Au travers de sa musique métissée, Malca donne à voir une autre image du monde arabe. Dans une veine plus pop et volontairement dansante, il célèbre le folklore marocain, l’avenir d’un monde dont s’empare la jeunesse et l’avènement d’une contre-culture qui brise les tabous. Portrait au croisement de l’Orient et l’Occident.

Franchir le seuil d’une bodega espagnole et se retrouver dans un club gay berlinois, c’est aujourd’hui possible à Casablanca, la ville de Malca. Ce jeune artiste d’origine marocaine, qui vit en France depuis dix ans, ne s’est jamais senti aussi proche de son pays d’origine. Casa, qu’il a longtemps boudé pour son manque d’ouverture culturelle, catalyse aujourd’hui tous ses espoirs. « Il y a un vrai mouvement qui est en train de se créer, porté par une jeunesse qui a envie de s’éclater. » La plus grande ville d’Afrique, et de loin la plus moderne, est devenue en quelques années le berceau d’une contre-culture dont il rêvait ado. Dans son clip Casablanca Jungle, Malca met en scène une génération affranchie du poids de la tradition. « On a tendance à oublier cette jeunesse, à vouloir la cacher. Dans le cinéma, notamment. Alors que pour moi, c’est cette génération qui va faire le monde de demain. Avoir filmé ces jeunes avec autant d’espoir, de naturel et de style, c’était un vrai pari ! » Au volant d’une berline ou multipliant les cascades à moto au nez et à la barbe de la police, ils sont tous traversés par un élan de liberté qui fait plaisir à voir. Les garçons portent des maillots de foot, les filles, des imitations Gucci, dans un pays où la contrefaçon est une affaire de style. Des comportements et des attitudes propres à cette jeunesse à l’identité qui emprunte autant aux séries US qu’au folklore marocain. 

CLIP CASABLANCA JUNGLE 
 
La musique de Malca donne une voix à ces jeunes, catalyse leurs idéaux et raconte Casablanca autrement, loin de la carte postale des Européens. « Les jeunes Marocains rêvent de ne plus avoir à voyager pour trouver le monde dont ils ont envie », résume-t-il. Un sentiment qu’il partage. S’il a longtemps jalousé la France, sa musique porte désormais l’empreinte de ses origines, autant que ses visuels dans le passé. « Je suis né par hasard en France. Je viens d’un pays qui a été colonisé par la France, où on parle français jusque sur les panneaux publicitaires. J’ai fait mes études en français. Bref je voulais vivre la culture française. Aujourd’hui, il n’y a plus grand-chose qui peut me surprendre. J’ai eu un retour de bâton qui m’a beaucoup plus rapproché de ma propre culture. » Ses parents ne sont pas artistes pour un sou, mais le week-end, la musique orientale s’écoute à plein volume et à haute dose au domicile familial. « J’avais le champ libre dans ma famille. Je pouvais être l’artiste de service sans souffrir de la pression d’un modèle. » De la black music au rock « méchant », il se découvre une personnalité geek, à son arrivée à Paris, avec un penchant pour les synthés vintage qu’il fusionne avec la musique qu’il écoutait enfant. « Proposer une autre idée de la musique pop arabe à travers quelque chose de moderne et fédérateur, c’est déjà quelque chose que j’avais envie de faire sur She Gets Too High, mais je ne me sentais pas assez mature pour ça. Quitte à faire une musique métissée, je voulais que ce soit fait avec subtilité et intelligence. C’était un challenge et aujourd’hui, c’est devenu mon identité. » On retiendra parmi ses influences un point commun, le goût du groove, qu’il attribue autant à Otis Redding qu’à Frank Ocean, en passant par Cheb Hasni, qu’il surnomme le « Tupac du raï ». 

Crédit : Marvin Leuvrey

Il chante pour la première fois en arabe sur Wham. Une musique naïve portée par des mots simples pour parler de la désillusion des amours sur Internet. Il sourit : « Ma musique va soulever beaucoup de tabous ». Il cite comme référence ultime Salim Halali, chanteur juif algérien des années 70, homosexuel libéré et assumé, complètement délirant qui avait un coup d’avance sur son époque. Impertinent, Malca choisit d’aborder la question du sexe et de l’érotisme sous le prisme de la religion. « J’ai connu des expériences hyper frustrantes avec les filles, parce que la religion était très présente dans mon adolescence », raconte-t-il. Le titre Ya Layli donne une autre idée de la femme arabe, loin d’une image fonctionnelle qui la réduirait au rang de mère et cheffe de famille. « Je voulais lui donner une sexualité. On n’imagine pas le nombre de femmes arabes qui sont sur Tinder ou sur Snapchat. C’est du délire ! Elles ont envie de s’assumer et veulent vivre comme des jeunes occidentales normales. » Cette dimension érotique de la femme arabe existe depuis longtemps dans la musique chaâbi qui continue de l’influencer, mais ce n’est jamais traité de manière aussi frontale qu’il le fait dans ses textes. « Le chaâbi n’est pas une musique sexuelle, mais une musique de fête, dit-il. » « Moi, je veux proposer une musique sensuelle qui raconte les femmes de mon pays et montrer à quel point elles sont belles. »

Sur la pochette de l’EP, il va plus loin et pose avec une femme en burka. Sous le voile, il imagine une héroïne moitié femme-moitié robot, échappée du film Blade Runner. Il porte en lui l’héritage d’un modèle familial original. Sa mère est une femme d’affaires qui a réussi dans un milieu d’hommes, qui plus est dans un pays musulman. « Elle est incroyablement féminine et courageuse ! Cela m’a donné une image de la femme qui est différente de celles de mes compatriotes ou certains jeunes de ma génération. Ça m’a aussi influencé dans ma musique et mon envie de parler des femmes. » Malca est fasciné par les femmes en général et s’intéresse plus aux chanteuses qu’aux chanteurs. « J’ai beaucoup d’attrait pour les divas. J’aime leur façon de bouger avec les mains, leur port de tête… Je ne sais pas si c’est parce que j’aime chanter comme une femme (Sourire). » Il leur réserve une place toute particulière dans son nouvel EP et choisit de sampler Samira Saïd et Warda, qu’il cite parmi ses idoles. « Il y a un sample de Warda au début du morceau Ya Layli. C’est un énorme classique au Maroc si bien que les gens s’attendent à écouter l’original et finalement, ils se disent : c’est qui ce taré qui a osé faire ça (Rires) ! » 

CLIP YA LAYLI 

Alors qu’il prépare son premier album, et s’apprête à présenter ses nouvelles chansons au public français, il garde l’œil ouvert sur ce qui se passe au Maroc, en particulier les artistes qui caracolent en tête des charts. Rien ne lui échappe, pas même la variété qu’on appelle khaliji, l’équivalent de Natasha St-Pier dans les années 2000 avec tout le kitsch que ça représente. « J’assume complètement de reprendre certains de ces codes, comme cette façon très premier degré de dire ses sentiments. » Le raï, qui a connu son âge d’or entre 85 et la fin des années 90 avec Cheb Mami, Cheb Hasni et Khaled, tient aujourd’hui sa version 2.0 « sur des instrus à la Major Lazer ». Et puisqu’il est omniscient, l’avènement d’une nouvelle scène cloud rap ne lui aura pas échappé. « Shayfeen ou 7liwa sont les rappeurs marocains du moment. J’ai rencontré ces mecs il y a longtemps et j’aimerais produire leurs morceaux. » Les dix ans de galère d’un artiste qui débute, il connaît et aimerait profiter de cette expérience pour créer son propre label, ou plutôt une communauté qui l’amènerait à collaborer avec des artistes de tous horizons, pas seulement marocains. Des rêves, il en a beaucoup, et des projets, il en a mille. Convaincu que la pop-culture passe aussi par la mode, il dessine ses premiers patrons pour des vestes et des pantalons destinés à du merchandising ou sa future marque de sappe. Toujours très inspiré par la culture arabe, il imagine une collection futuriste et colorée. Directeur artistique sur ses premiers clips, il s’imagine bien passer derrière la caméra. « Je suis en train d’écrire un court-métrage social sur la jeunesse arabe, celle de 2018 ! » Sa vision de l’arabe du futur.

Crédit : Marvin Leuvrey

MALCA, Casablanca Jungle
Arista/Sony Music
Disponible depuis le 17 novembre

En concert le 14 décembre au Point Ephémère.
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