LA SANTÉ MENTALE : UNE PROBLÉMATIQUE CRUCIALE DE NOTRE GÉNÉRATION

Credits: Sad Girls Club.

En tant que milléniale, j’ai vivement conscience des symptômes qui animent toute notre génération ; à la fois extrêmement encensée pour sa créativité ou sa maturité juvénile, elle est également décriée à cause du syndrome partagé de Narcisse qu’elle porte à son paroxysme. L’importance que l’on accorde à cette image projetée ou reflétée sur une dite société, mais également sur notre entourage plus ou moins lointain, s’est extrêmement renforcée depuis l’avènement des réseaux sociaux. Apparaître aujourd’hui n’est plus réservé à des happy few, à quelques célébrations, ou évènements, car notre vie entière s’aligne sur ce miroir instantanée. L’adage millénaire voir et être vu prend toute sa signification aujourd’hui, en 2019. Soucieux de nous exposer face à l’autre sous notre jour le plus glorieux, nous établissons des plans, des stratégies digitales qui nous mèneront à notre subjective et éphémère réussite. 

Cette pression cyclique assaillit de toute part, à un moment donné, l’ensemble des utilisateurs de réseaux sociaux, en particulier d’Instagram qui se révèle tantôt notre meilleur allié, tantôt notre ennemi le plus vorace en ce qui concerne la confiance que l’on porte à soi-même. Cette constante sensation d’échec se renforce d’ailleurs par d’autres facteurs : commentaires affligeants à notre égard, manque de moyens pour apparaître extrêmement bien habillé, manque de temps pour enjoliver notre quotidien, manque de motivation pour s’exposer plusieurs jours par semaine… À cela, pour certains d’entre nous, qui nous lisent peut-être, s’ajoute un poids quotidien, d’avance lourd à porter dans la vie réelle : la santé mentale. Et cette difficulté s’accentue lorsque la vie réelle s’aligne avec la vie digitale jusqu’à ce qu’elles semblent ne faire qu’un. 

Un paradoxe se dessine et creuse les interrogations déjà nombreuses : comment le réseau social le plus nocif pour notre santé mentale, qui provoque même parfois ces interrogations, est également devenu celui qui s’affirme comme la plateforme la plus populaire pour soutenir les personnes souffrantes ? 

Appuyées par l’avènement de nombreux poètes sur les réseaux sociaux en s’amorçant sur Tumblr puis Instagram, la bienveillance et la reconnaissance de ses propres maux se sont dessinées dans les consciences. Tandis qu’auparavant, il était plus d’usage de lire des textes expliquant que le développement personnel passait par le développement du corps (les fameux before/after) ou le développement de notre situation économique, miraculeusement, un contrepoint s’est imposé à travers l’art. Rupi Kaur, Nayyirah Waheed pour n’en citer que certaines, ont conséquemment gagné en popularité, indice qu’il y avait quelque chose qui clochait dans notre entêtement à ne vouloir qu’exposer les signes d’une prétendue réussite. Les maux, les souffrances du coeur étaient les premiers abordées, Kaur nous a aidées, par exemple, à poursuivre les différentes étapes pour nous rétablir d’une rupture douloureuse, Nayyirah à accepter notre condition, quelle qu’elle soit. 

Une brèche était dès lors, plus ouverte que jamais, le silence était rompu et, il faisait place à une sincérité plus que jamais acceptée et acceptable. Les célébrités ont été les premières à se confesser auprès de leurs différents admirateurs en ce qui concerne leur santé mentale. Lilly Collins s’est exprimée sur ses troubles alimentaires et a souhaité consacrer une partie de sa carrière sur le sujet en participant au long-métrage To The Bone, Kanye West n’a pas hésité à s’entretenir sur sa bipolarité, et, plus essentiellement encore, Demi Lovato a choisi de donner des nouvelles à ses admirateurs à travers Instagram tout juste après son soin en centre de désintoxication. 

Les admirateurs ont pris à leur tour une relève inattendue en ce qui concerne leur santé mentale. Dans la mesure où ces personnalités publiques qui ont une image à préserver, reconnaissaient leur état de santé publiquement, pourquoi nous ne ferions pas de même ? Les utilisateurs de l’application poursuivent l’histoire, creusant davantage ce puits de ressources que l’on n’osait, à tort, pas explorer. 

Des pages s’imposaient dès lors comme un espace de parole pour tous, la plus célèbre @sadgirlsclub aborde les différents maux de chacun, en brossant à travers les posts, toutes les maladies s’y affairant. Il est question de ne plus cacher ce que l’on a souvent qualifié de « problème ». Les posts sont tantôt délivrés à l’attention des plus concernés, mais aussi à l’attention de ceux qui ne le sont qu’indirectement, et qui souhaitent porter un nouveau regard sur une condition médicale qui ne peut aujourd’hui, plus relever du déshonneur ou de la honte. Tandis que les corps s’exposent grâce à body positivism, nonobstant sa comptabilité avec le canon préétabli du moment, les âmes sont aussi dévoilées alors qu’elles ont longtemps été tenues secrètes. Ce geste d’une extrême grandeur, permet finalement de les extraire de ce secret sous lequel on les a toujours tenues, signe de la violence qu’exerce le pouvoir sur certaines formes dites « anormales » de l’être. L’application aurait finalement également pris en maturité. Ce nouveau mouvement fait aussi étrangement écho à ce grand philosophe, Michel Foucault qui, à travers son Histoire de la folie à l’âge classique enseignait que, depuis la fin du Moyen-Âge, ceux qui étaient considérés comme aliénés (les mélancoliques, les hystériques, etc.), ont souvent été méprisés, confinés dans une « structure d’exclusion » physique ou morale à l’extérieur de l’espace social. 

Cet espace social étendu au digital aujourd’hui, a ainsi ouvert un espace de parole proclamant de cette manière un geste fort de réintégration morale, qui prend tout son sens de nos jours. C’est également une manière particulièrement ingénieuse d’aborder ces questions autrement, bien que l’objectif ne soit pas thérapeutique, thérapie de la santé mentale qui se veut, par ailleurs, de la même manière, moins dissimulée. À travers le hashtag #MyFavoriteMeds, les utilisateurs souhaitent également exposer, à la fois une routine quotidienne contraignante, mais également un parcours de vie qui ne doit en rien nous faire rougir les joues puisqu’il existe, qu’il est propre à chacun et qu’il n’est en rien honteux. 

Parallèlement à cela, l’année 2018 a été particulière, car elle a sonné le glas de nombreuses publications s’adressant directement aux personnes concernées ou à leurs proches, afin qu’ils comprennent de manière plus profonde encore les épreuves traversées jour après jour. Parmi elles, The Color of My Mind, un projet photographique signé Dior Vargas, adapté sous forme de livre qui aborde la santé mentale sous le prisme de son vécu par les personnes de couleurs ou encore 33 Voices Start the Conversation about Mental Health par Kelly Jensen.  

Le mot de fin de Paulette c’est finalement l’acceptation, l’amour, la compréhension et la bienveillance. Chacun d’entre nous est confronté à une aventure particulière qu’il faut embrasser à tout prix. 
 
> Article de Yasmine Lahrichi
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