HAFSIA HERZI, PASSIONNÉMENT SINGULIÈRE

À 17 ans, elle crevait l’écran dans La Graine et le Mulet, remportait le César du meilleur espoir féminin et officialisait une carrière d’actrice qui ne cesse de fasciner depuis. Après Tu mérites un amour, elle vient de tourner à 33 ans son deuxième film, Bonne mère. Entre récit d’enfance et fiction, Hafsia Herzi mêle à nouveau analyse et cinéma.

Hafsia Herzi est à l’image de son cinéma : autant audacieuse qu’indépendante!

© Tu mérites un amour de Hafsia Herzi

Pouvez-vous nous raconter d’où vient votre passion du cinéma ?

J’aime les films depuis toute petite. J’adorais la littérature et la poésie à l’école, j’écrivais déjà des scénarios. Les films, les mots, la poésie me faisaient rêver… J’adorais observer, je m’imaginais plein de choses, j’écoutais des histoires, j’étais très curieuse. Ça me sortait du quotidien. J’ai un parcours assez particulier, je n’ai pas du tout de famille dans le cinéma, j’ai grandi à Marseille dans les quartiers Nord, rien ne m’y destinait, mais j’avais envie de partir de là-bas, je rêvais d’ailleurs. Quand est-ce que tout a commencé? J’avais 13 ans, je recevais un journal qui n’existe plus qui s’appelait Le 13 où il y avait des annonces pour faire de la figuration, dont une pour un téléfilm sur France 3. J’en ai parlé à ma mère, elle était un peu inquiète, mais elle m’a donné son accord. J’ai envoyé des photos et j’ai été prise. Au début, c’était de la figuration puis le réalisateur m’a proposé un petit rôle dans le film. La directrice de casting de ce téléfilm a gardé mon dossier et m’a rappelée au moment des auditions pour La Graine et le Mulet. Un casting avait lieu à Marseille et au bout de deux rendez-vous, j’ai rencontré Abdellatif Kechiche. Je m’en souviens très bien, il m’a dit : « Tous les rôles sont pris, mais je veux que tu sois dans le film ». J’avais un
petit rôle initialement, j’en étais déjà très heureuse, puis il y a eu un souci avec l’acteur principal, donc Abdellatif Kechiche a réécrit un peu le scénario, et m’a offert ce magnifique rôle de Rym.

Vous n’avez pas fait d’école de cinéma. Vous dites souvent que La Graine et le Mulet a été votre formation. Cela vous a-t-il permis d’être plus libre dans votre jeu ?

Complètement. À part « l’école de la vie » et mon désir de jouer, je n’avais aucune formation, mais j’étais passionnée ! Quand je tournais pour Abdellatif Kechiche, il m’autorisait à venir sur le plateau. Je faisais de petits stages de scénario, de son, de caméra… Je m’intéressais à tous les postes, je restais tard le soir, je posais beaucoup de questions, j’étais extrêmement curieuse. C’est cette expérience qui m’a donné envie de réaliser mes films.

Votre envie de passer derrière la caméra
est présente depuis le début, donc…

Oui, car j’ai su très jeune que je voulais créer et ne pas dépendre du désir des autres. Je ne savais pas exactement en quoi consistait la réalisation à l’époque, mais je me souviens d’une conversation avec Abdellatif Kechiche sur le tournage de La Graine et le Mulet où je lui ai timidement dit : « Tu sais, j’écris des choses aussi, j’aimerais bien te les faire lire ». On a échangé, il a lu et m’a encouragée à continuer. Quand je l’ai vu travailler, j’ai compris que c’est ce que je voulais faire.

Vous donnez l’impression de ne rentrer
dans aucun moule…

Depuis très jeune, je me dis que « faire pour faire » ne sert à rien, je n’ai pas envie d’être dans la consommation. J’ai l’impression que ça impacterait ma liberté artistique et ma liberté personnelle. Si je n’étais pas si indépendante, j’aurais l’impression d’être l’otage des autres et d’attendre simplement que le téléphone sonne… Même si j’en aurais évidemment eu besoin à mes débuts, car je ne viens pas d’un milieu social aisé, je n’en ai pas voulu. Je me disais : « Tu n’as pas d’enfant, tu as commencé avec rien, tu gagnes ta vie même si c’est des films indépendants ». J’ai préféré apprendre, je me lançais des défis, j’allais vers des films qui me permettaient de me former.

Dans vos rôles – on pense notamment à ceux dans L’Amour des hommes, La Source des femmes, Mektoub my love –, vous incarnez des femmes libres. Ça vous tient à cœur de les représenter?

C’est une chance qu’on m’ait proposé ces rôles-là. Ils représentent également ce que je suis : libre artistiquement, libre de ma création, indépendante… C’est important pour moi de représenter la femme moderne, qui pourrait être n’importe qui. On apprend aussi beaucoup sur soi quand on joue ! Alors, qu’avez-vous appris sur vous? Grâce au jeu, j’apprends à deviner la personnalité du personnage, à travailler sur moi et mes émotions. Il n’y a rien de pire qu’un.e acteur.rice qui fait semblant de rire ou de pleurer au cinéma. Le « faux », ça se remarque. Quand on essaye d’être au plus près de son rôle, on apprend inévitablement sur son inconscient – ça représente un gros travail psychologique. Pour certain.e.s, jouer peut être une véritable thérapie, et pour d’autres, un apprentissage. Dans mes deux réalisations, je disais toujours aux acteur.rice.s qui étaient contrarié.e.s : « Rien n’arrive pour rien dans la vie, même les malheurs. Garde cette colère pour le travail, on s’en servira artistiquement. »

© Tu mérites un amour de Hafsia Herzi

Vous venez justement de terminer votre deuxième film, Bonne mère. Vous nous racontez?


C’est un projet que j’avais depuis des années, j’avais même reçu un Prix du Scénario en 2013. Je voulais dresser le por trait d’une femme courageuse qui élève ses enfants seule dans les quartiers Nord à Marseille. C’est inspiré de l’histoire de ma mère, mais en romancé. J’ai eu envie d’immortaliser le quartier où j’ai grandi: la cité, ces personnes dont on ne parle pas, qu’on ne voit pas au cinéma. C’est pour ça que j’ai choisi des gens de quartier, des inconnu.e.s, des amateur.rice.s.

Comment s’est organisé ce casting
sauvage?


Grâce à mon frère, qui travaille avec moi. Il est allé dans les quartiers, à la sortie des bâtiments, des écoles, des prisons. On a également beaucoup travaillé avec les associations du quartier. C’était super, on a fait des heureux.ses – ce qui m’a rendue moi aussi heureuse. Il y avait une légèreté chez ces acteur.rice.s, car iels n’avaient rien à perdre. Comme moi, iels n’ont pas de formation, et surtout iels ont envie. On se tourne vers elleux et on leur donne la chance de participer à un projet. De tout ça, résulte une belle solidarité. Et la cité, à sa manière, devient elle aussi un person-
nage du film.

Comment s’est passé ce retour dans votre quartier d’enfance?

Si je n’avais pas grandi là-bas, je pense que je n’aurais pas pu y tourner, car c’est une cité difficile. Depuis que je suis partie, beaucoup de drames ont eu lieu: des meurtres, des règlements de compte, le développement de réseaux de drogue… Le tournage a été une aventure : même si je n’avais pas peur, il fallait que les gens soient en sécurité. On ajoué à certains horaires, parfois au détriment de la lumière, mais il fallait être discret.e.s. Même si la plupart des jeunes sont compréhensif.ve.s, on ne savait pas sur qui on pouvait tomber. On ne peut pas venir tout bousculer avec sa caméra, il y a beau-
coup de pauvreté et de misère dans cette cité. Quand on tournait dehors, j’organisais des réunions juste avant pour rappeler à tout le monde d’être discret.e. Quand j’ai tourné une scène de mariage, par exemple, j’ai demandé à toute l’équipe de venir de manière très habillée, comme si on allait à un vrai mariage. C’était le seul moyen pour passer inaperçu.e.s. J’aime travailler avec les familles dans leur globalité, les parents des acteur.rice.s jouaient leur propre rôle quand c’était possible. J’ai essayé de coller un maximum à la réalité : faire jouer un vrai dentiste, une vraie avo-
cate, un vrai sans-abri…

On joue mieux une situation quand on l’a vécue?


Je pense. J’avais envie de filmer une certaine réalité, avoir des acteur.rice.s qui sont proches de leur personnage ou qui sont leur personnage. C’était un défi de les amener à ce lâcher-prise et à ce réalisme. Pourquoi je prendrais quelqu’un pour jouer un dentiste, alors que je peux prendre un vrai dentiste ? Il y a eu de belles surprises. Par exemple, il y a un monsieur qui vit dehors dans le quartier depuis que je suis petite : je suis allée le voir et je lui ai demandé s’il voulait participer. Il a accepté et il était magnifique. L’humain est très important pour moi. Le plus beau compli-
ment que l’on puisse me faire, c’est de me dire que mes acteur.rice.s jouent bien.

Aujourd’hui, dans quoi réside votre liberté?


Par exemple, pour Tu mérites un amour, le premier film que j’ai autoproduit, si j’avais proposé mon scénario à des producteur.rice.s sur ce sujet simple qu’est le chagrin d’amour, avec des acteur.rice.s plus ou moins connu.e.s, personne ne m’aurait jamais donné dix centimes pour le faire. Je savais très bien que tout reposait sur moi. En revanche, cette liberté se paye, et notamment dans le cinéma indépendant où il faut faire beau- coup de sacrifices. On a beau avoir des financements, il faut accepter certaines contraintes : être en petite équipe, tourner avec du matériel de moins bonne qualité, raccourcir les temps de tournage et de montage… Et pour répondre à votre question d’un point de vue personnel: j’adore jouer, mais la liberté que je ressens lorsque je suis derrière la caméra m’épanouit entièrement. La réalisation, ça rend malade, ça épuise, c’est énormément de sacrifices. Mais au bout du compte, la passion est toujours plus forte.

Article du numéro 49 « Liberté », par Eloïse Sibony

Partager sur :

Vous pourriez aimer...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *