Avec sa chanson « Mala Diva », Thérèse chante ce qu’elle a de plus intime : sa maladie
Le 21 octobre dernier, la chanteuse et styliste française de 36 ans Thérèse révèle être atteinte d’une maladie héréditaire depuis bientôt dix ans. Elle en a fait une chanson, « Mala Diva », déjà disponible. Une sortie qualifiée de « très particulière » par la principale intéressée tant cette composition la raconte intimement. Une démarche qu’elle a d’abord voulue pour elle-même, pour se soulager du secret et mettre des mots sur une maladie qui l’use au quotidien. Elle en parle comme si elle s’adressait à un tiers, car la distance tend à rendre ce qu’elle traverse plus supportable. Thérèse panse ses plaies et repart au combat sans tarder. Sa fureur de vivre est demeurée intacte. Elle témoigne.
Dans le titre Mala Diva, tu personnifies ta maladie en diva capricieuse qui n’en fait qu’à sa tête. Qui est-elle ?
C’est une polykystose hépato-rénale héréditaire. Je lui ai donné un nom parce que c’est vraiment comme ça que j’ai vécu ma relation avec elle, comme une sorte de dissociation, comme si elle était cette autre personne que je devais porter en moi. Finalement, avec le temps, je me suis rendu compte qu’elle était aussi « moi » — mais parce que je ne voulais pas me laisser définir par elle, j’ai continué à parler d’elle à la troisième personne du singulier. Ce surnom, que je lui donne, c’est aussi pour ajouter une touche de glam dans quelque chose de grave, au sens sérieux du terme.
Qu’est-ce qui en a précipité l’écriture ?
J’ai toujours écrit sur ce qui me traverse et ce qui me tracasse, sur l’intime qui est très politique, et sur des sujets de société qui touchent aussi à l’individu. Ce qui a été précipité, ce n’est pas tellement l’écriture, parce que je suis malade depuis hyper longtemps, mais plutôt la décision de sortir cette chanson. J’ai ressenti le besoin de le faire maintenant. Parce que j’ai eu peur. Peur de l’opération que la maladie nécessitait (elle a reçu une greffe de foie dans la nuit du 4 au 5 novembre dernier, ndlr). Peur de ne pas survivre. Je me suis d’abord exprimée sur les réseaux sociaux avant de laisser la musique et le clip parler pour moi. Je voulais me livrer de façon posée et juste, sans tomber dans une forme de pathos ou dans une émotion pure absolument inaudible. Au fond, j’avais simplement envie de montrer ce qu’est un être humain, avec l’esthétisation qui me caractérise (Sourire). Cette sortie m’a permis de m’extraire de l’industrie du disque et de constater que ce que tu gardes de ton art, de ta création, dans les moments où plus rien n’existe excepté ta condition un peu extrême, c’est le sens que tu donnes à ta vie ! Mala Diva, c’est ça, un acte artistique pur.
Dans les paroles, tu dis qu’elle est ta « coloc ». Comment as-tu appris à cohabiter avec elle et avec ce corps qu’elle a littéralement métamorphosé ?
Elle l’a carrément colonisé, tu veux dire. J’ai appris à vivre avec elle petit à petit, parce qu’elle s’est d’abord installée de façon invisible. La polykystose se caractérise par le développement de kystes dans certains organes. Chez moi, le foie et les reins. Les kystes grossissent et se multiplient au fur et à mesure. J’ai toujours remarqué que j’avais un abdomen plus prononcé que la moyenne, mais je n’y prêtais pas trop attention. En plus de ça, j’ai une scoliose depuis que je suis gamine, donc je me disais que c’était lié. Puis ça a grossi de plus en plus, et j’ai posé un diagnostic dessus de façon totalement fortuite. Ça a été un choc. Pourquoi ? Parce qu’au même moment, ma maman était dialysée pour cette maladie. Elle, c’était plutôt les reins qui étaient atteints. Je me suis vue en dialyse. J’ai paniqué. J’ai fait des examens et les résultats étaient plutôt encourageants. Les médecins me disaient que mes reins et mon foie fonctionnaient encore très bien. Résultat, déni total… Puis est venue la colère ! Pourquoi moi ? Et finalement, je me suis rendu à l’évidence : il faut prendre soin de soi pour vivre le plus longtemps possible. J’ai commencé à faire attention à ce que je mangeais, je dormais davantage, je ne buvais plus d’alcool… Malgré ça, tous les six mois, la maladie progressait. J’étais obligée de vivre avec elle en ayant une bonne hygiène de vie. L’acceptation de ce corps qui changeait n’a pas été simple. Elle s’est faite dans l’intimité, beaucoup. Je me suis demandé si j’étais encore quelqu’un de désirable. Parce qu’à un moment, je n’aimais plus ce corps. J’avais des difficultés à me trouver jolie. Et au-delà de ça, il me faisait mal ! De façon totalement impudique, il y a des positions que je ne peux plus faire. C’est aussi devenu une contrainte pour m’alimenter. Je suis une grosse gourmande, mais il a fallu que j’apprenne à refuser le menu entrée-plat-dessert, parce que je ne peux pas me gaver. Quelque part, c’est très symbolique. L’art a été le vecteur principal de cette acceptation-réappropriation-appréciation de la maladie. Quand les médecins ont commencé à me parler de la greffe, ça a été un autre chamboulement ! Tout ça m’a imposé une résilience extrême. La phrase paraît complètement banale, mais rien n’est jamais acquis. Je suis entrée dans une ambivalence de sentiments très différents : parfois doux, parfois violents, pendant lesquels je pouvais choisir d’ignorer ma maladie ou, au contraire, lui parler pour la confronter.
Il y a presque une forme de gratitude, qui ressort des paroles de Mala Diva.
Oui, dans la façon dont je me suis construite par rapport à elle. Elle a conditionné énormément de choix que j’ai fait dans ma vie – mais des choix qui m’ont apporté du positif. On a toujours l’impression que ce n’est que de la contrainte ou du sacrifice. Au contraire, en prenant soin de moi physiquement, et donc mentalement, j’ai appris à me faire du bien et à faire du bien aux autres autour de moi. J’ai souvent entendu dire qu’il y avait une forme de sagesse qui émanait de moi. Je la dois à ma maladie. C’est un truc que j’ai omis de dire en interview depuis mes débuts, mais j’ai fait mon premier burnout il y a presque dix ans (elle a 27 ans et est cheffe de produit chez Kenzo Parfums depuis cinq ans, ndlr), suite au diagnostic de ma maladie.
C’est incroyable de constater que ta carrière musicale a vraiment démarré après ce premier burnout, d’abord en groupe, avec La Vague, puis en solo, sous ton propre prénom. Sans la maladie, ce ne serait jamais arrivé ?
Je n’en sais rien. Je sais simplement que ça a été un catalyseur extrêmement fort pour me dire : c’est maintenant ! Parce que j’ai pris conscience que j’étais mortelle à un âge auquel on ne pense pas à ce genre de choses. Aurais-je réussi à m’extraire d’un certain confort si je n’avais pas su que j’étais malade ? Peut-être pas, peut-être plus tard, peut-être que c’est un autre événement qui m’aurait poussée à le faire. Je n’en saurai jamais rien. Mais la maladie a accéléré les choses, elle est indissociable de ma vie. Je ne peux pas raisonner en dehors de ce contexte particulier. La musique existe depuis le diagnostic, et l’art en général : la photographie, la vidéo et l’écriture. Parce que j’écris pour moi des choses que personne ne voit et que je me filme depuis ce diagnostic – peut-être qu’un jour ce sera public ou peut-être pas, mais ça a été thérapeutique.
Comment as-tu réussi à être sur scène toutes ces années sans jamais te départir de ton énergie, ta bienveillance, ta lumière et ta générosité ?
C’est mon caractère, je crois. J’ai vu mes parents se battre contre la maladie, surtout ma mère. Je me suis rendu compte qu’elle y avait gagné en vivant les choses encore plus intensément. Ce que j’admire chez elle, c’est qu’elle a traversé des trucs de ouf dans sa vie et qu’elle n’a rien perdu de son innocence de gamine. C’est quelque chose qui me touche énormément chez elle. Si la maladie est héréditaire, la joie de vivre peut l’être aussi. Alors je suis reconnaissante de ce cadeau.
Pourquoi est-ce important en tant qu’artiste d’avoir une voix sur le sujet de la santé physique, peu représenté dans la musique aujourd’hui ?
Parce que ça permet de soulever une question essentielle autour d’un sujet essentiel qui n’est pas abordé dans la société en général – à savoir notre rapport à la mort. Je suis persuadée que si on se questionnait plus dessus, le monde pourrait changer. On ferait plus attention, aux gens et aux choses. Finalement, est-ce que la tolérance ou l’empathie ne deviendraient pas centrales ? En tout cas, ça remettrait beaucoup de choses en perspective sur le sens de la vie. Remplacer la question de la divinité par la question de l’humanité, c’est essentiel pour réécrire notre mythe, réécrire nos récits fondateurs et notre récit collectif. Il nous faut assumer notre part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui. Si Dieu existe, ça ne dépend plus de nous. Alors que si nous sommes acteur·rices de notre planète et de notre vie, ça change tout – ce qui n’enlève pas la dimension spirituelle aux choses. Croire en l’humain, c’est croire. Et c’est aussi éviter de se dédouaner des choses. Comprendre notre finitude, c’est se mettre face à ce qu’est simplement la vie.
Nouveau single Mala Diva (X-Ray Production)