ANGÈLE : PORTRAIT NUMÉRIQUE

Photo Charlotte Abramow


« Pour vivre heureux, vivons cachés », proclamaient nos parents. La génération d’Angèle cède quant à elle au besoin quasi vital de s’exhiber, avec une peur panique de manquer quelque chose, sur des applis régies par la culture du fake. La jeune artiste belge est un pur produit Instagram : c’est l’application qui l’a rendue célèbre. Dans le clip de La Thune, son troisième single, les smartphones se transforment en guns pour critiquer notre manie de « shooter tout ce qui bouge, en rafale », dixit le réalisateur parisien Aube Perrie.

Propos recueillis par Alexandra Dumont

Instagram a-t-il constitué un repère identitaire dans ta construction personnelle ?

Non, ce serait malsain ! C’est une amie qui m’a inscrite il y a trois ans. Avant cela, je n’avais pas de smartphone, j’étais une rebelle de la société (Sourire). Ensuite, Instagram est entré dans ma vie, et j’étais un peu sceptique au début. Je travaillais comme serveuse, et c’était à la mode de prendre ses plats en photo au restaurant. Moi, ça me mettait la pression ! Quand je préparais mal mes bagels, j’avais droit au regard assassin des clients, qui venaient plus pour la photo que pour manger. C’est là que j’ai développé une haine des réseaux sociaux… Pour finalement en devenir la plus grande utilisatrice d’Europe (Rires) !
Te souviens-tu de ton premier post sur Instagram ?
Oui, c’était une vidéo de quinze secondes avec Ambre, une amie chanteuse. Quand j’ai commencé à utiliser Instagram, j’assumais moyen l’idée de me filmer seule dans ma chambre, en train de chanter, moi qui critiquais tant les selfies et les Instagrameuses. J’étais un peu extrême, je l’avoue (Rires). En fin de compte, je m’y suis mise par le biais de l’humour. Dès que je me filmais, il y avait toujours un moment où je faisais une grimace. Ou alors le téléphone tombait, et je trouvais ça plus intéressant que de montrer simplement une fille qui chante.

Photo Charlotte Abramow

Le second degré est-il devenu un masque pour te protéger ?
Par la suite, oui. La seconde vidéo que j’ai postée s’appelait Grattage de nez, parce que c’est un tic chez moi. Sur la vidéo de la chanson de trois minutes environ, je n’ai jamais réussi à isoler quinze secondes où je ne me touchais pas le nez. Du coup, je me suis dit : « Tant pis, je la mets quand même ! », et je me suis rendu compte que les gens réagissaient davantage à l’humour qu’à la chanson elle-même. C’est important quand on fait de la musique d’avoir du recul pour canaliser le côté égocentrique et narcissique du métier.
 
Te dévoiles-tu complètement ?
Je suis super méfiante, mais aussi fidèle à Instagram, parce que mon histoire existe via cette plateforme bizarre. Les vidéos que je postais m’ont permis de faire mes premiers concerts en pianovoix dans les bars, les restaurants, les cafés, les boîtes de nuit ou même les mariages. C’est grâce à Instagram que j’ai rencontré mon manager, que j’ai fait les premières parties de Damso, que je collabore avec Charlotte Abramow et que je réalise mon premier album avec Tristan Salvati. J’ai même réussi à toucher des gens jusqu’en Slovaquie ! J’ai l’impression qu’il reste encore pas mal de pistes à exploiter sur ce réseau jusqu’à la sortie de l’album. Ensuite, j’ose espérer que je pourrais prendre mes distances et vivre ma vie en dehors d’Instagram.

 
T’es-tu déjà posé la question de la propriété de ton image ?
Oui, tout le temps. Quand mon premier single La Loi de Murphy est sorti, mon nombre de followers a explosé ! C’était génial, pourtant, du jour au lendemain, j’ai été dépossédée de mon prénom et de mon visage. Je me faisais arrêter dans la rue, on me demandait une photo et je devais accepter. J’ai eu très peur. Ma meilleure amie n’a pas de smartphone : pour moi, c’est elle le futur de l’humanité ! Quand on passe du temps ensemble, ma vie me paraît tellement fausse. Instagram est un jeu vidéo où tu jouerais avec toi-même !
 
Saurais-tu identifier le moment où cette surexposition devient problématique ?
Oui, même si je n’ai jamais souffert de cette visibilité. Mais j’ai des amies qui sont mal dans leur peau parce qu’elles n’ont pas « un corps de rêve ». Elles se mettent en valeur avec le plus joli filtre, dans les plus beaux endroits, et c’est vrai qu’elles sont canons. À cet instant, je me dis qu’elles ont enfin repris confiance en elles, et pourtant c’est tout le contraire. Leur mec regarde des profils de meufs qui ont ces corps-là, alors elles sont tentées de faire la même chose. C’est un cercle vicieux qui va frustrer d’autres jeunes filles, qui reproduiront la même scène à leur tour. En ce qui me concerne, j’ai toujours voulu montrer les choses telles qu’elles sont, même si je ne suis pas maquillée ou que j’ai une tête de cul. C’est la meilleure façon d’assumer qui on est.
 
Ton copain @leowalkinparis est lui aussi un personnage public…
Oui, on vit exactement la même chose et on en discute beaucoup. On fait même des cures sans Instagram quand on part en vacances. J’essaie de ne pas trop dévoiler notre vie privée, même si c’est difficile. Je continue à montrer ce que je veux. La plupart du temps, c’est quand quelque chose me fait rire (Sourire) !
 
Son premier album Brol (Initial) est disponible depuis le 5 octobre 2018. Angèle est en concert dans toute la France à partir du 10 novembre et sera au Trianon de Paris le 23 novembre (complet) et le 13 mars à l’Olympia de Paris
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