LE CHEF FLORENT LADEYN : LE BON, LE BRUT ET LE GOURMAND

Photo Virginie Garnier

Florent est aujourd’hui à la tête de deux restaurants, l’Auberge du Vert Mont à Boeschèpe, distinguée par une étoile au michelin, et une cantine flamande, le Bloempot, située à Lille. Cuisinier autodidacte et particulièrement généreux, il propose une cuisine du terroir, sauvage et créative, élaborée avec des produits locaux et saupoudrée d’un peu de folie. 


Peux-tu nous parler de toi et de ton parcours ? 

Florent Ladeyn : Je viens d’un petit village flamand, dans le nord de la France, à la frontière belge. J’ai grandi dans l’auberge familiale, l’Auberge du Vert Mont. Je n’ai jamais trop aimé l’école. L’année de ma terminale, j’ai passé un deal avec mon père : j’avais le droit d’arrêter le lycée mais, en échange, je devais faire la plonge au restaurant. Finalement, ça m’a beaucoup plu, et je suis devenu tellement passionné par l’auberge que j’ai demandé à passer en cuisine avec lui. Là encore, il a accepté, mais à condition de réussir un examen. J’ai donc effectué une alternance de deux ans en bac pro cuisine. Il n’y avait pas beaucoup de cours, ce qui m’allait très bien (Rires). J’ai un parcours d’autodidacte, je n’ai jamais eu de chef, je n’ai jamais travaillé dans d’autres établissements… J’ai concrètement commencé à faire ma propre cuisine le jour où mon père m’a annoncé qu’il allait devoir vendre l’auberge parce que ce n’était plus rentable. Avant qu’il ne mette son plan à exécution, je lui ai demandé un an de carte blanche. Je croyais dur comme fer au potentiel de cet établissement, où l’on servait de la cuisine d’estaminet (une brasserie flamande, ndlr). Bien que proposant une cuisine de qualité, l’auberge méritait une approche un peu plus travaillée. Je voulais le meilleur pour le restaurant. À l’époque, on n’était que deux en cuisine, mais on a bossé comme des acharnés. Bilan : on a réussi à « sauver » l’auberge et je suis très heureux ici.

Comment définirais-tu ta cuisine ? 

Une cuisine brute, délicate et sauvage. Une cuisine ancrée, vertueuse. Il y a une grosse dimension écologique dans mon travail : 80 % des légumes, 100 % des herbes et 90 % des vins sont cultivés sans produits chimiques, selon des principes de biodynamie et de permaculture. C’est donc vertueux écologiquement et économiquement, car il n’y a pas d’intermédiaire entre le maraîcher et moi : le légume passe de sa main à la mienne et l’argent passe de mon portefeuille au sien. Tout le monde y trouve son compte ! Chez moi, tout ce que tu manges et bois est local, sauf le sel et le vin, car ce serait trop compliqué. Ici, tu ne trouves donc pas de café, pas de poivre, pas de poudre d’amande, pas d’huile d’olive, pas d’épices, pas d’agrumes et pas de chocolat.

Quoi, pas de chocolat ? Mais tu le remplaces par quoi ? 

(Rires). Je ne le remplace par rien ! Comme c’est impossible de trouver du chocolat localement, je cherche une solution pour retrouver son goût unique. Une fois, j’ai fait confire des panais avec la peau, car ils ne sont pas traités du tout, dans du beurre et de la vergeoise (du sucre de betterave, ndlr). J’y ai mis du lait, un peu de crème et je te promets qu’on avait l’impression de manger une glace au chocolat au lait caramélisé ! Je veux montrer que c’est possible de cuisiner bon et local !

Quel a été l’élément déclencheur de ta cuisine locavore ? 

La carbonade flamande, un plat traditionnel du nord de la France. C’est comme un bœuf bourguignon, mais cuisiné à la bière, pas au vin rouge. Or, qui dit bière cuite, dit amertume. Le plat est donc sucré avec de la vergeoise et du pain d’épices. En cuisinant la carbonade flamande, je croyais faire de la cuisine de terroir. Puis j’ai regardé les ingrédients : mon bœuf avait été élevé en Pologne, abattu en Allemagne ; les oignons venaient d’Espagne et le pain d’épices de Hongrie avec du miel de Chine. Au final, ma carbonade, à part son goût, n’avait rien de flamand ! J’ai donc commencé à me renseigner auprès des éleveurs du village, pour savoir s’il était possible de travailler avec des viandes locales, des produits d’ici. En tout, j’ai mis six ans à construire le réseau de petits producteurs avec qui je travaille aujourd’hui.

Photo Virginie Garnier 

Tu pourrais créer ton propre potager et cultiver tes propres produits ? 

Oui, j’ai deux hectares à l’auberge. Je pourrais donc embaucher un jardinier pour s’occuper d’un potager et ma marge serait magnifique. Mais je n’ai pas besoin d’être à la fois chef et maraîcher pour être ancré dans la nature et dans mon terroir. D’un point de vue économique, c’est beaucoup plus vertueux d’acheter des produits à des gars qui ont monté leur société et qui emploient des gens.

Mais pour toi, c’est beaucoup plus cher de fonctionner comme ça ? 

Je m’en fiche parce que j’ai une vision particulière du business. Je n’accorde aucune importance à l’argent, bien que ce soit l’essence des affaires, j’en suis conscient. Je gagne le SMIC et je suis très bien comme ça. L’argent n’est pas ma priorité. Ce qui m’importe, c’est la qualité des produits et le plaisir des clients. Je ne négocie jamais les prix avec les maraîchers, le boucher, les éleveurs ou le fromager. Le bon prix, c’est celui qu’ils me donnent. Après, c’est à moi de me débrouiller et, malgré mon étoile au Michelin, j’ai décidé de ne pas augmenter le prix des menus dans mes établissements.

En plus de prôner la biodynamie et le locavorisme, tu luttes contre le gaspillage alimentaire. Concrètement, comment cela se traduit-il ? 

En France, au moment de la consommation, il y a 33 % de gaspillage alimentaire. C’est énorme ! Dans mes établissements, il n’y a pas de gaspillage. Je cuisine la totalité des produits que j’achète.

Te qualifierais-tu de chef engagé ? 

Je me considère comme un cuisinier, un restaurateur. Dans ma brigade, on ne m’appelle pas « chef », mais « Flo ». C’est du management horizontal. Côté engagement, je suis quelqu’un de très entier, humain, et effectivement engagé sur pas mal de trucs. Je ne suis pas politisé mais je m’engage quand j’ai des choses à dire, quand il y a des combats à mener.


Tu as d’ailleurs aidé l’association Le Recho à cuisiner pour les migrants de Calais. 

Tout découle d’une jolie rencontre. Vanessa et Élodie, les fondatrices de l’association Le Recho (pour Refuge, CHaleur et Optimisme), sont venues manger au Bloempot sur les conseils d’un pote journaliste. On a parlé une demi-heure et elles m’ont expliqué leur projet : apporter du réconfort aux migrants et leur procurer des repas chauds grâce à leur foodtruck itinérant. Grande-Synthe est à trente minutes de chez moi et j’ai décidé d’y aller pour les aider à cuisiner. Même si je sais que ce n’est pas ça qui va changer le monde ni la vie des réfugiés, je suis fier d’avoir donné un peu de mon temps. Je l’ai fait et je le referai. Il n’y a rien de pire que l’indifférence. Et peu importe que mon engagement n’ait pas plu à tout monde. Je me fous des commentaires haineux que j’ai pu lire sur Facebook. Même si, en réalité, j’ai quand même beaucoup de mal à fermer ma gueule face à un con qui se trompe (Rires). Ça me fait halluciner que des gens trouvent ça cool de balancer des propos racistes sur les réseaux sociaux.


Une astuce pour te détendre et garder ton self-control ? 

La musique ! La musique est toujours à fond dans les cuisines. Ce qui me fait rêver en ce moment c’est Howl des Black Rebel Motorcycle Club, cet album-là est dingue !


Et d’ailleurs, ta coiffure, ton bun, c’est aussi pour le côté rock’n’roll ? 

Ah ça, je sais pas si c’est très rock’n’roll ! Mais au moins, j’ai les cheveux attachés en cuisine, car j’ai les cheveux naturellement en crinière et il fallait absolument trouver quelque chose pour les dompter (Rires).


Un petit mot pour les paulette ? 

Amusez-vous ! Pour vous amuser encore plus, vous savez où me trouver (Rires) !

Le Bloempot : 22 rue des bouchers, 59800 Lille — bloempot.fr
Le Vert Mont : 1 318 rue du Mont Noir, 59 299 Boeschèpe — vertmont.fr
Un troisième restaurant ouvrira au printemps dans le cœur du Vieux Lille

Article du numéro 31 « Nouveau Souffle »
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