« TOUCHE PAS À MA MASCULINITÉ ! » – ALORS PAUSE, FAUT QU’ON PARLE

La première règle pour lutter contre la masculinité…toxique est de parler de la masculinité toxique – sans tout mélanger et oublier que l’une des principales victimes de cette masculinité toxique sont – plot twist – les mecs eux-mêmes. 

@vogueturfu, le compte parodique qui dit tout drôle ce qu’on pense tout bas

« Men Are Trash » ou le pavé dans la mare aux egos

Pour faire simple, le concept de masculinité toxique n’est pas une critique de l’homme en soi, qui aurait par essence une nature toxique, non. N’en déplaise aux auteurs d’articles et autres billets d’humeur aux titres bien racoleurs comme « La masculinité est-elle vraiment toxique ? », suite à la diffusion de la fameuse pub Gillette qui a « cassé » Twitter en début d’année. Soyons clair.e.s. La marque de rasoir (sincère ou opportuniste) visait clairement un certain type de masculinité, dite toxique car extrêmement problématique. Il s’agit d’un idéal masculin – explicite, implicite et transmis de génération en génération – qui dicte qu’un homme, un vrai, se doit de dominer, de contrôler et de soumettre dans tous les aspects de sa vie sociale, professionnelle, sentimentale et émotionnelle. Ces carcans archaïques liés au genre oppressent les femmes, qui sont au bas de l’échelle hiérarchique, mais aussi les hommes qui ne correspondent pas ou ne se reconnaissent pas dans cet idéal de masculinité.

Jussie Smollett dans Empire (FOX)

« Parler de masculinité toxique, c’est teeellement bobo ! »

Comme tout concept nouveau, la masculinité toxique traine son lot de détracteurs tous azimuts. Pour ne rien arranger, le discours médiatique le cuisine à toutes les sauces. Le discours politique en a fait son épouvantail. C’est vrai que la masculinité toxique est facilement identifiable, par le harcèlement de rue, ou le mec qui prend 2 sièges dans le métro, l’un pour sa couille gauche, l’autre pour sa couille droite – « Toi, tu sais pas ; mais faut aérer ça ! ». Blague à part, se focaliser uniquement sur la masculinité toxique, c’est omettre que la conséquence n’est pas la cause. Quelle est cette cause, me direz-vous ? La masculinité hégémonique, pardi ! – comme l’explique la sociologue australienne Raewynn Connell, auteure de Masculinités, enjeux sociaux de l’hégémonie : « la masculinité hégémonique est un agencement de représentations associées au masculin, mêlant des capacités et des compétences en terme de classe, de race, de sexe, d’âge, représentations qui sont toujours valorisées ». Pour résumer, le masculin est supérieur au féminin dans TOUS les aspects de la société…même dans les règles de grammaire. Ça vous parle ? On a tou.te.s appris que le masculin l’emportait sur le féminin. Mais, ça vient d’où, Jamy ? D’une décision arbitraire de grammairiens (et pas de grammairiennes, ça c’est sûr). Ce n’est qu’un petit exemple qui illustre un rapport de genre inégal : le masculin est omniprésent (hégémonique) et prend (encore) beaucoup de décisions qui affectent tout le monde (hommes, femmes et enfants) entre-soi (entre hommes). Autre point important selon Raewynn Connell : « la forme de masculinité idéale correspond à une forme précise de masculinité : il s’agit le plus souvent d’une virilité bourgeoise, hétérosexuelle et blanche. » Le modèle de la masculinité hégémonique en France ne déroge pas à la règle. 

@moosekleenex

Allô, Intersectionnalité ? C’est moi, la masculinité hégémonique.

Du coup, les mécanismes de domination masculine, nourris par la masculinité hégémonique, opèrent de manière transversale sur les rapports de genre, de classe et de race. Certains hommes, dont la masculinité est perçue comme idéale, ont une position qui leur confère un pouvoir de genre, économique, social et politique sur les femmes, blanches et non blanches, mais aussi sur les hommes dits racisés, les hommes des classes ouvrières et prolétaires, etc. Les mécanismes de domination intersectionnels entre sexisme, racisme, classe et privilège blanc existent et doivent aussi être pris en compte par les militant.e.s et par l’État; car l’hégémonie d’une masculinité unique et idéalisée est dommageable à tous, aux femmes, mais aussi aux hommes à la marge et en dehors de ce carcan archaïque. 

Des papas et leurs petites filles à un cours de danse classique (@echappedancearts via GMA)

Vers de nouvelles masculinités inclusives ?

Le rejeton de la masculinité hégémonique n’est autre que cette culture de la masculinité toxique – une hydre multicéphale en fait, qu’il nous faut (symboliquement) décapiter pour construire une nouvelle masculinité, plus inclusive. Car, rappelons-le, détricoter les carcans genrés qui abreuvent la masculinité toxique, c’est d’abord bénéfique aux hommes, à tous les hommes ! Si les mecs étaient encouragés à exprimer leurs émotions dès le plus jeune âge et à les partager avec leurs potes au lieu de les réprimer, ne deviendraient-ils pas des adultes plus à même de comprendre et d’exprimer ce qu’ils ressentent. Les hommes (comme les femmes) sont des êtres émotionnels ; mais à l’inverse des femmes, ils apprennent rarement à s’emparer de, à identifier et à gérer leurs émotions.  D’où le recours à la violence, autre expression de la masculinité toxique. À l’heure où les associations féministes déplorent le 134ème féminicide de l’année 2019 (plus qu’en 2018 et 2017), les violences (physiques, sexuelles et psychologiques) faites aux femmes parce qu’elles sont perçues comme subordonnées à l’homme ne peuvent plus durer.

Paul Rudd dans I Love You, Man (DreamWorks Pictures)

Par ailleurs, la masculinité toxique déploie des trésors de violence psychologique sur les hommes eux-mêmes : le manque de vrai intimité émotionnelle entre mecs, la peur de demander de l’aide, la solitude, le manque de vulnérabilité sont dommageables à bien des égards. Ne préfèrerions-nous pas un monde où garçons et filles seraient éduqué.e.s de la même façon sans que la société leur impose des comportements genrés et stéréotypés. En Finlande, par exemple, petits garçons et petites filles jouent au foot et apprennent à repasser à l’école, sans distinction de genre. Si chacun était libre de faire ce qu’il.elle veut, les fameuses cases dans lesquelles on aime bien mettre les autres n’existeraient plus; les individus hors cases, comme les personnes LGBTQIA+ (pour Lesbienne, Gay, Bisexuel.le, Trans, Queer, Intersexuel.le, Assexué.e et plus) ne seraient, enfin, plus stigmatisées. À bas les carcans et les rôles genrés, lesquels gangrènent même des milieux qu’on aurait pu penser épargnés, comme le milieu gay/queer. Pourtant, dans le grand bal de la séduction, un homme gay qui fait « vrai » mec sera très souvent préféré à un homme gay efféminé. #NoFem. Eh oui, nos différentes communautés n’évoluent pas en vase clos; d’où la nécessité d’un éveil collectif pour mettre à mal la masculinité toxique, la masculinité hégémonique…et toute forme de masculinité idéalisée et de hiérarchie de genre. 

Allons Z’enfant.e.s de la Patri-iye !

Pour conclure cette réflexion toute personnelle et n’ayant pas vocation à l’exhaustivité, j’aimerais juste rappeler que l’État, ce n’est plus Louis XIV – sans blague –, mais ce sont nos représentants politiques, de plus en plus de femmes (oui, pas assez !), de plus en plus de non hétéros (trop peu visibles), de plus en plus d’hommes et de femmes non blancs (hum, ça je crois que je vais l’effacer… Christiane Taubira, on pense à toi). Ces représentants sont le miroir de la société que NOUS tissons au quotidien. Pas de mystère, ce sont nos convictions et nos comportements individuels qui feront avancer le schmilblick.

Article de PK Douglas

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