Stress inutile : quand les Millenials ne célèbrent plus les fêtes de fin d’année en famille
Qu’il est loin le temps où Noël brillait de mille LED, uniquement pour son aspect religieux, célébré à l’origine par les catholiques, protestants et orthodoxes pieux·ses. Aujourd’hui, l'aspect marketing a grandement pris le dessus, saupoudré d'une symbolique essentiellement familiale. L’occasion d’habiller les vitrines des Grands Magasins d’un semblant de festivités et de donner aux téléfilms romantiques mal doublés leur énième souffle d’existence, mais pas seulement.
C’est aussi le moment où l’on partage un repas très copieux avec des proches que l’on n’a pas vu·es depuis longtemps. Cependant, pour certain·es, cette période est devenue un rendez-vous annuel un peu pénible. Le poids de la tradition, les incompréhensions entre différentes générations, le sentiment de devoir se montrer joyeux·ses alors même qu’on ne l’est pas particulièrement se révèlent aux antipodes de ce qui pourrait constituer un moment de bien-être. Sam, Violette et Alexis ont un jour imposé leur choix : celui d’un Noël loin du bruit, des bulles de mauvais mousseux et des relations intra-familiales parfois toxiques. Témoignages.
Un Noël désenchanté
Sam, 27 ans, apprécie particulièrement la magie qu’enveloppe le mois de décembre ; ses guirlandes, ses pulls ringards et la ville tout autour illuminée des rues aux balcons. Pour ce qui est du rassemblement familial, les rapports ont toujours été un peu tendus. « Je pense que beaucoup de familles partagent plus ou moins les mêmes névroses. Dans le cas de la nôtre, ce qui a pu poser problème, c’était ma sœur. Elle était héroïnomane et elle est aujourd’hui sevrée. Évidemment, son comportement et son parcours de guérison nous ont renvoyé beaucoup de souffrance, cela a crispé les relations. J’ai également fait mon coming-out il y a quelques années, et cette gêne d’en parler est restée assez palpable, même si tout le monde feint de l’avoir accepté. Le sujet est souvent évité et la communication est assez freinée par tout ça. », confie-t-elle, en toute franchise.
En 2019, juste avant le premier confinement, Sam passe les fêtes en famille comme à son habitude. « On avait décidé de faire un effort et de convoquer vraiment tout le monde. Les conjoints, les cousins… Il y avait aussi ma sœur et son copain de l’époque. On sentait que c’était assez stressant pour tout le monde. À un moment du repas, un ami de la famille posa son bras sur la chaise d’à côté sans faire attention. L’ex-petit copain de ma soeur s’est alors mis à hurler : « Eh regardez on dirait des tafioles ! » C’était affreux. Un silence de mort a envahi la pièce, tout le monde s’est mis à me regarder, avec gêne. Mes deux frères sont devenus rouges de rage, et une dispute a éclaté. Je ne me sentais vraiment pas bien. Beaucoup de mes proches sont venus me soutenir après en discutant avec moi, mais c’était quand même bizarre. Je me suis dit que je ne rentrais pas une fois par an dans ma famille pour me sentir insultée devant tout le monde.
Puis, un an plus tard, en pleine crise du Covid où les risques de contamination sont au cœur des préoccupations de tous·tes, Sam décide de passer Noël seule pour la première fois. « Ma mère a trois facteurs à risque et j’étais la seule personne à ne pas vivre dans leur département. Je n’avais pas envie de la contaminer. Cette année-là, il s’est avéré que j’ai passé un super Noël, le meilleur depuis bien longtemps. J’ai fait ce que je voulais ; regarder le Christmas Special de Mariah Carey, boire du bon champagne et me cuisiner un incroyable menu de Noël avec une bûche en dessert. J’ai pu danser sur Lady Gaga en mettant le son à fond sans que personne ne vienne se plaindre du bruit, puisque tous les gens de mon immeuble étaient partis. Je me suis dit que je ne pourrais jamais fêter Noël à nouveau chez mes parents. »
Pourtant, après cette expérience qui sonne comme une révélation, Sam retrouve toute sa famille en 2021 sans grande conviction. Mais cette année, elle l’a fermement décidé, ce Noël et les prochains se feront sans elle. « J’en ai marre de m’infliger des choses qui me rendent anxieuse. Et puis, pourquoi c’est à ce moment-là qu’on devrait se voir ? J’ai décidé de rentrer début décembre passer deux jours avec quelques membres de ma famille, sans grand dîner, sans enjeu, sans pression. Et je rentrerai chez moi fêter Noël comme j’entends le faire. Bien sûr qu’en faisant cela j’enlève quelque chose à ma famille, mais il faut aussi savoir écouter ses propres besoins. », conclut-elle.
En quête d’authenticité
Pour Alexis, 30 ans, les Noëls précédents ont renforcé une conviction qui fut timide à émerger, mais qui reste bien présente : l’envie de ne pas participer à ce grand repas de famille traditionnel. « En relisant mon journal intime de l’hiver dernier, les émotions que j’avais ressenties à cette période-là me sont revenues directement. J’avais noté, « Où serai-je Noël prochain ? ». J’ai l’impression de devoir jouer un personnage quand je me retrouve dans cette situation de regroupement familial orchestré. Je ne me reconnais pas. Dans mon quotidien j’essaie de plus en plus d’être qui je suis, de m’accepter. Les membres de ta famille sont supposés t’aimer comme tu es, en théorie. Mais il y a des injonctions sociales et des distorsions. En fait, le soir de Noël, tu mets tout le monde dans le même shaker, et tous ces caractères et ces vies sont si différents que ce mélange est un peu indigeste, comme le repas de Noël… J’ai juste envie que ce moment soit simple, qu’on puisse être ensemble et que j’arrive à être moi-même. Mais je sais très bien qu’il y aura toujours ces petites vannes sur le fait que je ne mange pas de viande, sur mes cheveux, sur pleins d’autres choses. Des conneries. Soit je feins d’en rire et je nourris la discussion, soit je rembarre tout le monde et je passe pour le mec lourd. D’ailleurs je ne côtoie plus de gens comme ça dans mon cercle d’amis. Tu peux trier tes potes, mais au niveau de la famille il n’y a aucun écrémage, les gens restent là au fil des années. », note le jeune homme.
Outre ce décalage de modes de vie mis en exergue le temps d’un repas, retrouver certains membres de sa famille ajoute aussi son grain de confusion au milieu de la profusion des mets. Alexis de rajouter : « Je sais que cet hiver mon frère sera là pour le repas de Noël, et on ne s’est pas vu depuis deux ou trois ans. C’est très violent de se retrouver comme ça et de devoir renouer des liens juste le temps d’un soir. Avec mes autres frères comme avec lui, on n’est vraiment pas très proches et on n’a rien en commun. Ça ne m’intéresse pas tellement de rattraper le temps perdu et de raconter tout ce qui se passe dans ma vie, je n’en ai pas envie. Je sais que si je ne viens pas, je serai l’élément perturbateur. Pourtant, je vais devoir annoncer à ma mère qu’après lui avoir rendu visite je ferai l’impasse sur le reste des festivités. »
Donner de son temps aux défavorisé·es
Violette a 25 ans. Pour elle, fêter Noël en famille n’appartient déjà plus qu’aux vieilles photos d’albums poussiéreux. « Je choisis de passer Noël en faisant du bénévolat, notamment aux Restos du Coeur, plutôt qu’en famille. Je préfère donner du temps à des personnes dans le besoin parce qu’elles sont souvent en détresse émotionnelle. C’est affreux qu’elles puissent se retrouver à passer les fêtes seules, et je fais en sorte que ça n’arrive pas. Et puis Noël n’a plus vraiment de sens pour nous. Je viens d’une famille juive qui fêtait Noël un peu par principe, comme beaucoup de gens. C’était surtout un alibi pour qu’on se retrouve tous·tes et ça a pu être très chouette à une époque. Mais aujourd’hui, les plus vieux·lles ne se déplacent plus et sont trop fatigué·es pour profiter d’un grand rassemblement familial. Celleux de ma génération ne vivent plus au même endroit et certains jeunes couples qui n’ont plus le même rythme préfèrent rester de leur côté. Forcément, il ne reste pas grand monde et on sent qu’il n’y a plus trop de conviction. Mais ça ne me rend pas triste et ça ne veut pas dire que je m’éloigne de ma famille. Je considère simplement qu’on n’a pas à se forcer à fêter Noël de manière traditionnelle si ce n’est plus quelque chose de cohérent pour nous. », explique-t-elle.
Au-delà de l’effet de disque rayé, Violette évoque aussi la charge mentale autour de la préparation du repas. « Noël est une fête associée à une pression sociale assez terrible, surtout pour les femmes qui se retrouvent généralement à devoir tout organiser. Tu as déjà vu ton tonton raciste se lever pour faire la cuisine ou débarrasser, toi ? Je ne vois pas l’intérêt de célébrer ça si c’est pour passer la journée, et celles qui la précèdent, dans une anxiété suffocante. Je préfère amplement voir les membres de ma famille quand je veux les voir, sans pression, quand on en a envie et en petit comité. Comme ça, pas de stress et on peut vraiment profiter d’être ensemble… Chose qu’on n’arrive rarement à faire quand on est trop occupé à paniquer parce que la dinde ne cuit pas assez vite. Il y a aussi le fait que j’ai choisi de ne plus fréquenter certaines personnes de ma famille, parce que je n’ai pas à les tolérer sous prétexte qu’elles aient changé mes couches. J’ai récemment parlé de tout ça à ma mère, elle se rendait malade d’inquiétude à s’efforcer de faire le Noël parfait pour tout le monde et elle subissait une réelle pression ; je ne veux plus qu’elle se l’impose. », conclut Violette.
Article de Vanille Delon