« C’ÉTAIT BIEN D’ÊTRE UN GARCON, ILS ÉTAIENT COURAGEUX ET FORTS »
« Garçon manqué » est une locution qui signifie « fille qui a des allures de garçon« . Alors que les codes de genre s’effacent de notre société, quel est vraiment le sens de cette expression ? Manon raconte.
A l’heure où les codes de genre sont, plus que jamais, remis en cause, c’est quoi être un garçon manqué ? « Si on décortique l’expression, c’est quand même assez particulier », nous confie Manon, 26 ans. « D’abord, on qualifie généralement une fille de garçon, ce qui est déjà assez étrange, de porter un jugement sur le sexe, comme si l’on pouvait venir défier sa conception biologique. Ensuite, on a le terme ‘manqué’, soit comme si nous avions manqué quelque chose dans le sens de raté, en l’occurence là son genre ou ce qu’il devrait être. Soit peut être aussi dans le sens de quelque chose qui nous a manqué, donc là, le sexe d’un homme. C’est particulier quand on essaye de l’expliquer, non ?«
« C’était bien d’être un garçon, ils étaient courageux et forts… »
Derrière les mèches rebelles de sa coupe courte, ses yeux noirs semblent témoigner d’une grande concentration. Elle réfléchit. Après chacune de mes questions, elle opère une introspection intérieure, comme pour se mettre en accord avec elle-même avant de réponde. Manon est une femme, hétérosexuelle et elle aime les chats. « Quasiment toute mon enfance, j’ai entendu cette expression, sans comprendre le sens. ‘Tu es un garçon manqué’. Petite, j’étais presque fière de l’entendre. C’était bien d’être un garçon. Ils étaient courageux et forts, ils réussissaient dans la vie, ils pouvaient devenir tout ce qu’ils voulaient. » Elle sourit nerveusement : « je ne veux pas choquer en disant ça. Je le ressentais réellement de cette manière quand j’étais jeune. Il n’y a que maintenant que je comprends l’horreur de ce que l’on met dans la tête des enfants« .
Le sens du terme
Alors, quand je lui demande ce que c’est réellement d’être un garçon manqué, Manon farfouille dans une boîte devant elle et me sort des photos d’enfance. Sur l’une d’elle, elle porte ces baskets blanches à grosses semelles des années 90 qui reviennent à la mode. Dedans, une paire de chaussettes hautes qui blousent sur ses chevilles. Un gros sweat vintage, similaire à ceux qu’on aime dénicher en friperies. Dessous, un short en jean noir qui lui tombe mi-cuisse. Elle change de photo. Sur la nouvelle, elle porte une salopette bleue en jean, une paire de baskets blanches qui ressemblent de loin à des Stan Smith et une casquette.
« Visiblement, c’est ça être un garçon manqué« , répond-elle. Dans le dictionnaire L’internaute, on apprend que « garçon manqué » est une locution qui signifie « fille qui a des allures de garçon« . Ainsi, je soulève la curiosité de Manon. « Avez-vous déjà entendu l’expression ‘fille manquée’ ? Aujourd’hui, je ne comprends pas que l’on puisse éduquer des enfants avec des codes de genre si prononcés. Surtout quand ça ne va que dans un seul sens. »
Une robe et des baskets
« Quand j’ai été plus grande, vers 12 ou 14 ans, au moment où l’on commence à se poser des questions sur notre identité, j’étais en désaccord avec moi même. Je ne savais pas si j’avais le droit de mettre des robes ou des jupes comme les autres petites filles. Je ne savais pas si je pouvais couper mes cheveux courts comme les petits garçons. Pourtant, j’aimais ces deux choses là. Je ne savais pas si je pouvais mettre des baskets ou si je devais porter des nu-pieds. Ce ne sont que des vêtements, que des cheveux, ça ne définit en rien mon genre ou mon sexe. Mais à 14 ans, je n’en savais rien. » Manon sort une nouvelle photo dans un éclat de rire. Sur cette dernière, elle expérimente la robe à fleurs violettes assortie à des baskets. « C’était ma tenue préférée, quelques années après« , continue-t-elle en riant.
Plus sérieusement, elle me confie être heureuse aujourd’hui. Non pas parce qu’elle peut porter des robes et des baskets librement, mais « parce qu’aujourd’hui les codes de genre bougent« . « Les vêtements et les cheveux ne cantonnent plus personne à une apparence de genre. Je suis heureuse qu’aujourd’hui les enfants puissent grandir en se posant d’autres questions que les miennes. Qu’ils apprennent à voir au-delà de l’apparence, et même au-delà du genre. » Manon jette un oeil aux photos qu’elle a posées devant elle. « C’est une époque compliquée sur tout un tas de points, mais c’est une très belle époque pour être un enfant« .
Article de Aurélie Rodrigo