(BIEN) ÊTRE, OU NE PAS ÊTRE ?
Par Angelo Foley
Nos émotions nous bouleversent, nous rassurent, nous font vibrer et parfois, nous définissent. Si elles nous accompagnent tout au long de notre vie, elles restent cependant un grand mystère pour beaucoup d’entre nous. On ne sait pas vraiment d’où elles viennent, ni ce qui les déclenche. On les subit, la plupart du temps, qu’elles soient bienveillantes ou non. Nous avons mené l’enquête pour en découvrir davantage sur ces sensations quotidiennes de joie ou de tristesse, pour apprendre comment nos émotions fonctionnent, sur quoi elles influent et surtout, s’il est possible de les maîtriser sans nuire à notre spontanéité.

Suivie de près par la quête d’amour, la quête du sens de la vie et la quête de soi, la quête du bonheur est probablement la préoccupation la plus ancienne de l’être humain. Et aujourd’hui plus que jamais, il semblerait que cette recherche ait trouvé bon nombre de représentants, d’outils et de publics à travers lesquels se sont développées de multiples branches et approches. Que ce soit la positive attitude, la meilleure version de soi-même, la réussite, l’éveil ou le bien-être, ces nouveaux paradis à atteindre remplacent petit à petit les religions et les lieux de culte dans le rôle qu’ils tenaient majoritairement auparavant, à savoir se relier à soi et au Tout, se recueillir, contacter le divin en soi et mener une existence accomplie selon des valeurs considérées comme positives. Le développement personnel, selon sa définition la plus stricte, serait un ensemble de pratiques fondées sur un mélange d’enseignements spirituels, réadaptés à notre rythme citadin et aux besoins de notre société de consommation. Un peu comme si la foi avait pris un coup de vieux par sa teneur un peu trop religieuse pour laisser place à des démarches plus concrètes, quantifiables, moins rigides et si possible, avec un retour sur investissement.
De notre temps
L’héritage oriental le plus prégnant sur lequel surfe le développement personnel est la recherche d’équilibre entre le corps et l’esprit. Avec l’apparition d’Internet et des nouvelles technologies, l’être humain semble avoir gagné son pari de pouvoir réduire au maximum l’espace et le temps. Son obsession pour la maîtrise des lois physiques et de la nature lui a permis d’atteindre le presque « zéro latence » dans sa vie, comme un génie qui exaucerait instantanément tous ses désirs. Même si ces innovations nous permettent aujourd’hui d’avoir un accès illimité à la connaissance et une communication avec le monde quasi permanente, l’accélération de cet espace-temps ne prend pas en compte une donnée centrale : notre rythme biologique et psycho-émotionnel. Nous sommes des êtres vivants issus de la nature, et malgré ces avancées remarquables, l’essentiel de ce qui nous constitue a toujours les mêmes besoins et fonctionne à peu près de la même façon qu’avant la vie 2.0. Les entreprises n’ont jamais connu autant de burn out, la croissance des ventes d’anxiolytiques grimpe de plus belle et les cabinets de psys sont remplis à craquer. La nature nous le montre bien : un arbre met toujours autant de temps à pousser. Au final, on cherche à rattraper le temps qu’on a gagné.
Mon corps ce héros
Nous rentrons dans une ère où le besoin de prendre soin de soi devient une urgence et où des millions de personnes ont décidé de reprendre leur santé mentale et physique en main. Au-delà de son aspect esthétique, notre corps est notre outil principal d’incarnation, notre moyen de transport privilégié, et le véhicule de tout ce que nous avons en nous, le bon comme le moins bon. La healthy food nous tire vers le régime bio, végétarien, voire parfois végane, et toujours pour plus d’équilibre alimentaire, avec un accent sur les jus frais, les bowls complets et les recettes créatives. L’engagement à pratiquer une activité sportive régulière nous aide aussi à bouger, à évacuer les tensions et à nous mettre en relation, ainsi qu’à nous sortir de notre mental surchargé. De l’application « 7 Minutes Workout » pour des exercices physiques variés à faire à la maison, aux communautés de running ou de crossfit, les propositions sont nombreuses pour répondre à ce besoin très présent de se sentir bien dans son corps. Le yoga est sans conteste la pratique physique qui s’est le plus développée en Occident ces dernières années, avec la particularité de mélanger des postures plus ou moins complexes, des techniques de respiration et de la spiritualité. Vinyasa, Ashtanga, Yin Yoga, Bikram, Kundalini, Hatha : le yoga s’adresse à toutes et à tous et répond à une nécessité d’allier le corps et l’esprit. Le soin du corps par le mouvement s’est inscrit dans le quotidien des citadins, avec le bénéfice de réunir de plus en plus d’adeptes prêts à consacrer du temps et de l’énergie à eux-mêmes, mais avec le piège de tomber à nouveau dans la performance, la comparaison et le culte de l’image.
De la relaxation au divin
Pour pallier les petits stress ponctuels aussi bien que les crises d’angoisses existentielles quotidiennes, de nouveaux outils et services naissent chaque jour pour nous aider à sortir de nos cercles vicieux et améliorer notre qualité de vie. Parmi une offre large en matière d’épanouissement, on retrouve pratiquement autant de spécificités qu’il y a d’intéressé.e.s, avec différents degrés d’engagement et de niveaux. À l’instar du yoga, la méditation, importée directement du bouddhisme et calibrée pour la vie occidentale, est devenue une forte tendance dans la quête de bien-être. En fonction des écoles, zen, bouddhiste, laïque, transcendantale ou de pleine conscience, cette pratique, qui consiste à observer le présent, a conquis des millions d’adeptes, notamment grâce à des sessions guidées et de nombreuses applications comme « Headspace » ou « Petit BamBou ». De trois minutes seul.e pour faire un reset à dix jours en retraite Vipassana en groupe, la méditation permet à beaucoup de créer un espace pour se retrouver, prendre du recul et réguler une certaine instabilité émotionnelle.
Et lorsqu’il s’agit de mal-être permanent et de souffrances quotidiennes, demander de l’aide à un.e professionnel.le est un recours de plus en plus répandu. Avant, on disait : « Je vois quelqu’un » pour dire qu’on consultait un psy. Aujourd’hui, le divan et le vieil homme à barbe assis sans rien dire nous faisant étrangement penser à Freud se voient détrônés en matière d’accompagnement sur le plan de la psyché. Sophrologie, hypnose, EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), EFT (Emotional Freedom Technique), kinésiologie, éthologie… La liste est encore longue et chacune a ses spécificités. Toujours est-il que la limite est parfois ténue entre la thérapie basée sur un processus d’individuation et de résilience en regard de son récit personnel, et l’accompagnement comme le coaching, basé sur l’atteinte d’un objectif précis et sur l’entraînement.
Calqué sur les techniques de management d’entreprise et les grands principes de la programmation neurolinguistique, le coaching personnel ou coaching de vie connaît une croissance phénoménale auprès des citadin.e.s. Comme pour le sport, le yoga et la méditation, de nombreuses sous-catégories et déclinaisons sont proposées dans cette grande famille qu’est la relation d’aide et le développement personnel. Les livres et les podcasts pour aider à mieux se connaître, mieux s’analyser, mieux vivre ses relations, ou mieux s’aimer, voient le jour toutes les semaines. Et là encore, il y a de tout, de Lise Bourbeau et ses fameuses 5 blessures qui empêchent d’être soi-même, aux Quatre Accords toltèques de Don Miguel Ruiz, en passant par le Pouvoir illimité de Tony Robbins ou encore Conversations avec Dieu de Neale Donald Walsch pour les plus téméraires en quête de spiritualité.
Les outils et services proposés pour nous aider à nous rendre la vie plus belle ne manquent pas. Et même si l’intention peut paraître positive sur plein d’aspects, toute tendance sociétale et culturelle révèle tout autant nos peurs, nos failles, nos lacunes, nos obsessions et nos névroses.
Le bonheur, ça tue
Si la quête du bonheur et du bienêtre est désormais au coeur des préoccupations de millions de personnes, elle crée et nourrit néanmoins l’obsession de la réussite, l’angoisse de l’échec, le désir de performance, le besoin de se sentir unique, remarquable, de connaître le succès, de marquer les esprits, de faire la différence, de revendiquer ses différences… En résumé : énormément de stress, d’anxiété et de pression pour devenir quelqu’un. Le revers de la médaille, c’est qu’à force de tout faire pour se sentir bien, on oublie parfois de vivre sa propre existence, avec ses hauts et ses bas. On oublie qu’être normal n’est pas un défaut. Devenir la meilleure version de soi-même, qui est le crédo du développement personnel, est une injonction qui peut nous pousser à tout faire pour éviter d’être simplement soi. Nous nourrissons alors notre masque social, celui que l’on veut bien montrer sur les réseaux sociaux. Et cela peut avoir tendance à renforcer le sentiment d’être insuffisant tel que l’on est, peut augmenter le manque de confiance en soi et durcir encore davantage le jugement envers soi-même et les autres. Il est essentiel de prendre soin de soi, autant que de s’accepter tel que l’on est. Avant le bien-être, il y a l’être.
Article du numéro 44 « Ensemble »