FREE SPIRIT

64 % des jeunes Français·es se déclarent sans religion. Un chiffre en hausse d’après La Croix. On est en droit de se demander si la foi ne battrait pas un peu de l’aile. Et pourtant, la spiritualité n’a jamais été aussi présente. Que ce soit par le biais de la méditation, des arts divinatoires, de la sorcellerie, du contact avec l’au-delà, mais également des nouveaux gourous, qui s’éloignent des dogmes pour se concentrer sur l’humain et le développement personnel, on se rapproche de plus en plus des croyances alternatives ou ancestrales que l’on façonne à notre image. On fait le point sur ces phénomènes qui signent le début d’un nouveau chapitre spirituel, centré sur des coutumes venant tout droit du passé. 

Avantde discuter du pourquoi du comment, il est important de rappeler les bases. Selon la bible orthographique, le Larousse : « Spiritualité, n. f. : Qualité de ce qui est esprit, de ce qui est dégagé de toute matérialité ». Si la notion peut évoquer la religion, elle s’en détache pourtant en ne suivant ni les dogmes ni les rites mis en place par l’homme pour établir la communication avec le divin. On peut croire sans être convaincu de ce que l’interprétation humaine a construit autour de la foi. Par exemple, on peut se retrouver à travers une présence que l’on n’explique pas toujours de manière rationnelle, ou qui appartient à d’autres codes que ceux de la science cartésienne, et pourtant ne pas se sentir dévoué·e à l’adoration religieuse – tout en respectant sa pratique par ailleurs. 

Gisèle Siguier-Sauné, philosophe, enseignante dans les Écoles françaises de yoga, à l’Institut catholique de Paris, et autrice de La Mémoire et le Souffle : Pratique du yoga, lecture de la Bible ; Récits d’une rencontre (Éd. l’Harmattan), décortique cette nuance dans une interview pour actu.fr : « Certains systèmes dogmatiques qui visent à donner, voire à imposer, une certaine représentation de Dieu ou de la divinité, ont largement évacué le spirituel au profit du dogme et d’un moralisme mortifère. Pour autant, la religion ne saurait être systématiquement opposée à la spiritualité. Le terme vient du latin “religio”, qui implique, selon Cicéron, l’idée de recueillement : recueillir avec soin, dans une attention au présent. » À l’inverse des principes religieux de culte, la spiritualité définirait donc le fait de se concentrer sur ce que l’on possède à l’intérieur de soi. Se pencher sur ce que l’on ressent, sur notre instinct, sur ce qui nous anime, pour savoir faire fi des informations extérieures quelques instants et s’écouter. 

Croire est parfois nécessaire en cas de vulnérabilité, pour se rassurer, mais pas uniquement. C’est aussi une façon mystique de se dire que tout ne nous appartient pas. Prenons le destin, par exemple. Avant d’être un jeu de société à succès pour toute une génération (la mienne, notamment), le terme évoquait surtout un futur tout tracé, vers lequel chacune de nos décisions, de nos actions, mènerait. Croire au destin signifie que l’on expliquerait son propre avenir par un phénomène indépendant de sa volonté. Une sorte de dédouanement d’erreurs potentielles ? Un désir d’espérer quelque chose de meilleur ? Dans « destin », il y a aussi la notion de mission sur terre. De ne pas être là pour rien. Si nous avons un destin, c’est qu’en fin de compte, tout est relié, et que nous n’appartenons pas à une grosse machine où l’individualité prime, où chacun fait des choses dans son coin, mais plutôt à un ensemble plus global d’énergies et de corps qui nourrit notre quête de but et d’identité. Ce qui rejoint le principe de toute spiritualité. 

© Cocorrina

S’écouter pour mieux partager 

« Bats le jeu et tire trois cartes avec ta main gauche. La première représente le passé, la deuxième le présent, et la troisième, ce vers quoi tu tends. » Quand j’ai demandé à ma collègue Héloïse, journaliste, sorcière et adepte de cartomancie et d’astrologie, de me tirer les cartes pour la première fois (je ne suis pas sceptique, juste novice), j’avais un peu peur qu’elle puisse y voir de l’intime. Évidemment, ça n’a pas raté. « La cartomancie est de plus en plus utilisée dans la psychologie, m’explique-t-elle. Cela fait parler les gens, c’est un bon point de départ pour se livrer et échanger ». L’échange. C’est le terme qui revient le plus quand on mentionne ces rites ancestraux basés sur l’interprétation des astres, les arts divinatoires ou encore la sorcellerie. Échanger son savoir, échanger sur ce que l’on traverse, ce que l’on ressent. Échanger et se réunir pour partager entre femmes, aussi. 

Dans son livre Sorcières – La puissance invaincue des femmes (Éd. La Découverte) Mona Chollet exprime d’ailleurs la naissance d’une sorcière moderne, qui, si elle est loin du grimoire magique et des potions de cachot à base de mixture verdâtre, revient au naturel et surtout refuse de se laisser dicter sa vie par les injonctions de la société. Une femme indépendante qui écoute ses propres désirs – de maternité ou non, notamment – et qui s’entoure d’autres femmes pour se construire, se nourrir. Une figure du féminisme. « C’est tout à fait ça, poursuit Héloïse. Cette nouvelle spiritualité concerne davantage les femmes, car elles se retrouvent peu dans les religions. Dans la religion catholique par exemple, elles ne sont quasiment pas considérées, à part lorsqu’elles sont vierges. La sorcellerie veut redonner de la puissance aux femmes et recréer ce lien entre elles. » Un constat que soutient Mélody Szymczak, autrice de Cosmic Girl, manuel d’une sorcière moderne (Éd. Hachette Pratique) : « Les sorcières sont conscientes qu’une multiplicité de forces s’accorde sur cette terre. Et elles défendent les âmes derrière les corps, qu’ils soient carrés, ronds, ovales, rouges, verts ou indigo… Bref. Elles sont féministes oui, définitivement, que ce féminin soit incarné par un homme ou une femme. » 

Féministes et écolos. Conscientes des énergies, de la nature environnante qu’un mode de vie toujours plus pressé et dispersé a presque failli nous faire oublier. Se tourner vers les astres, les arts divinatoires, permet de se délester du matériel, de se rapprocher de l’essentiel et de savoirs ancestraux qu’on a longtemps discrédités – par peur ou par méconnaissance – alors qu’ils peuvent aussi être plus rationnels que ce que l’on pense. Lucillia, cofondatrice de la boutique ESO, qui vise à donner un coup de jeune à l’ésotérisme loin des clichés occultes qu’on lui prête, veut quant à elle se séparer de toutes les pratiques «irréelles», comme elle les qualifie, et parle d’une spiritualité dite rationnelle : « Tout le monde peut développer un sixième sens. Plus on est spirituel, plus on se détache du mental et plus on a accès à tout l’invisible », explique-t-elle avant d’insister : « La spiritualité est différente de la religion. L’amour universel dégage une fréquence qui permet de s’ouvrir à un monde supérieur, mais on n’est pas du tout obligé de suivre une religion, seulement d’avoir la foi pour s’élever ». Et surtout, accueillir toute âme qui s’y intéresse de façon inclusive. 

Un autre domaine qui crée de plus en plus d’émules, c’est la méditation et plus récemment, la méditation de pleine conscience. Pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers avec le terme, il s’agit d’une pratique qui consiste à ramener son attention à l’instant présent, à observer les pensées et sensations comme elles viennent, puis à les laisser repartir. Un enseignement issu du bouddhisme, aujourd’hui devenu laïque et thérapeutique, et utilisé pour réduire le stress, mais qui a bien d’autres vertus – et surtout un attachement spirituel fort. « Pour moi, ces deux pratiques s’apparentent à une croyance, car on pense à une force supérieure à la nôtre. Méditer, c’est essayer de penser autrement. De penser à un tout plutôt qu’à soi. On est invité à partir plus loin, à chercher une force cachée en nous, qui nous aidera à poser notre esprit, à l’apaiser », affirme Aurélie Louis-Alexandre, prof de yoga parisienne diplômée de hatha et de vinyasa et cofondatrice de Flawless Yoga. Plutôt que de se concentrer uniquement sur ses soucis du quotidien, sur son bien-être personnel, on se recentre pour mieux partager avec son entourage. « Cela aide à se découvrir et à dépasser ses craintes et ses peurs, mais aussi à faire connaissance avec le monde, donc à se connecter aux autres, avec plus de bienveillance et d’écoute. Une chose rare de nos jours », ajoute-t-elle. Et si les apprentis yogis se dirigent parfois d’abord vers sa discipline pour des raisons purement physiques ou relaxantes, elle remarque qu’ils empruntent souvent la route du développement personnel à laquelle prête la méditation. 

© Annie Tarasova

Les nouveaux gourous 

Le développement personnel, c’est cette nouvelle formule magique qu’on voit apparaître un peu partout et qui vise celles et ceux qui souhaiteraient faire le tri dans leur vie, comme dans leur esprit, en se « développant » pour faire naître une meilleure version d’eux-mêmes, donc. À la tête de ce courant qui prône l’épanouissement de chacun, des coachs plus ou moins connus et surtout, plus ou moins influents. L’une des premières à s’être fait un nom dans le milieu avant même que l’appellation existe? L’inégalable Oprah Winfrey, qui accueillait sur le divan de son émission des invités, célèbres ou pas, ayant vécu des traumatismes ou des événements extraordinaires. L’animatrice américaine les amenait à se remettre en question, à faire le bilan, et l’émission faisait aussi office de thérapie nationale. Tout ça pendant les 22 saisons de son programme qui reste le show le plus suivi dans l’histoire de la télévision américaine. On croyait en Oprah et en ses paroles guérisseuses comme on croyait en un gourou, une personne garante d’un enseignement spirituel qui nous permettrait de nous dépasser, de nous sentir comblé. Aujourd’hui, Oprah a délaissé la télé pour le ciné et l’activisme, et a cédé la place à un nouveau roi du coaching : Tony Robbins. 

L’Américain (lui aussi ! La mode vient d’ailleurs principalement de l’autre côté de l’Atlantique) a conseillé des présidents, vient de signer un deal avec les Émirats arabes pour nourrir un milliard de personnes, et déchaîne les foules comme les passions. Il est d’ailleurs si influent que même Netflix lui a consacré un documentaire : I Am Not Your Guru. On le voit animer des séminaires qui ressemblent quasiment à des concerts de rock tant les spectateurs le vénèrent, serrer les gens dans ses bras et résoudre leurs problèmes en un claquement de doigts – parfois discutable, notamment quand il demande à une jeune fille de rompre avec son fiancé parce qu’il le qualifie d’« homme féminin », ou quand il évoque Dieu à tout va. Tony Robbins utilise son don pour faire parler les gens et le commercialise. À 5 000 $ la place pour un séminaire de six jours, on se dit que le business doit être rentable. Mais au-delà de la personnalité, ce qui est intéressant, c’est la dévotion de ses « fidèles ». Le besoin de croire en quelqu’un, en quelque chose qui prenne le dessus sur notre propre personne. 

Mélody Szymczak rebondit sur le sujet en relativisant le statut de gourou tout-puissant: « Le mot «gourou» est super-connoté en France. Et pas de la meilleure des façons. Je pense à quelques belles personnalités, un peu dispersées à travers le monde, jeunes (dans leur tête), drôles, et dont l’énergie est complètement dingue, que j’aime suivre en conférence ou à travers les livres ! Je pense qu’on est tous le gourou de quelqu’un, tant que l’on permet à l’autre de retrouver sa source d’électricité interne. Si les pratiques de la personne que vous suivez vous rendent dépendant, c’est que quelque chose cloche. » C’est vrai que sans tomber dans le cliché du culte de la personnalité tyrannique associé à une secte, un gourou est d’abord une sorte de guide qui nous accompagnerait vers la lumière, ou en d’autres termes, vers un futur plus brillant. Et tant qu’on ne ressent pas d’emprise, l’effet ne peut être que positif. On peut aussi élire son propre gourou sans que celui-ci ne s’autoproclame ainsi. Croire en quelqu’un qui nous aide à croire en nous, à faire une introspection sur notre personnalité et donc, à faire évoluer notre être intérieur. 

© Cocorrina

Vers l’infini et au-delà 

Si la spiritualité peut être rationnelle, il existe encore des faits que l’on ne saurait expliquer de manière limpide. C’est le cas des expériences de morts imminentes, ou de la rencontre avec un ange gardien. Dans une archive de l’INA de 1992, Paulette (ça ne s’invente pas) raconte ce qu’elle a vécu lorsque, cinquante ans plus tôt, elle est « morte, puis revenue » après une électrocution sur les rails d’un train, en Tunisie : « Je me suis élevée du sol, j’étais bien heureuse (…) C’était quelque chose de beau, de doux, avec des chants et de la musique. Et puis je me suis retournée et j’ai vu ma mère s’approcher de moi. J’ai eu peur qu’elle me touche, et qu’elle meure aussi. Alors j’ai fait l’effort inouï de me soustraire à ce bien-être et de revenir dans mon corps. » La science apporte son grain de sel cartésien à l’événement en affirmant qu’il s’agit potentiellement d’une délocalisation de la conscience. Mais les personnes qui la vivent, elles, ont un ressenti bien différent et préfèrent croire, comme Paulette, à un événement surnaturel, qui les rattacherait à une vision rassurante de l’au-delà et les rendrait surtout plus soucieux de leur spiritualité : « Si c’est ça de partir, alors c’est merveilleux ! », conclut-elle. 

Avec les anges gardiens, l’expérience est sans doute moins spectaculaire, mais tout aussi forte. Pour Anne Tuffigo, médium et autrice de Ces âmes qui guident nos pas (Éd. Flammarion), cette présence ne possède pas toujours d’incarnation terrestre comme on peut le voir dans la religion – elle lui préfère d’ailleurs le terme de «guide» –, et reste difficile à croire quand on n’en a pas été témoin. Mais l’experte est formelle sur un point : elle nous accompagne dès notre naissance et tout au long de notre vie. Un phénomène apaisant qui peut prendre la forme d’une personne connue et disparue qui nous protégerait: « Ils viennent délivrer des messages pour nos chemins futurs, nous éclairer. Ils deviennent des protecteurs », indique-t-elle. Isabelle de Kochko, psychologue spécialiste des expériences extraordinaires, affirme à Psychologies Magazine que « l’important est que le guide ou l’ange aide la personne à contacter ses ressources personnelles, à traverser ses peurs et à “faire du nouveau” dans sa vie ; que son message agisse comme une autorisation à se réaliser, à oser ». C’est aussi l’avis de la médium qui associe la spiritualité à « la part d’invisible cachée au fond de soi, un véritable révélateur de soi-même. Plus on va chercher ces clés loin, plus on fait un boulot introspectif sur soi ». Et puis surtout, on veut savoir si « on a un rôle à jouer, un rôle général qui donnerait le sens global de tout », ajoute Anne Tuffigo. 

Quand on fait le bilan, on réalise que, peu importe la voie qu’emprunte notre spiritualité, qu’il s’agisse d’astrologie, d’ésotérisme, de sorcellerie, de méditation, de développement personnel ou de croyances en l’au-delà, on s’y tourne pour une raison semblable : revenir aux valeurs ancestrales d’une nature toute-puissante, parfois impénétrable, et donner un sens plus grand à notre présence sur terre. Cette terre qu’on n’a justement plus envie de maltraiter, qu’on veut réparer et protéger. La spiritualité nous détourne de ce monde de surreprésentation, de narcissisme et d’hyper-médiatisation pour nous obliger à creuser sous la surface, à nous recentrer sur ce que l’on ressent plutôt que ce que l’on voit, et à partager ce sentiment de bienveillance qui nous inonde. Inverser la mécanique qui a longtemps voulu qu’on observe pour croire, et se laisser guider par une force intérieure, qui nous ramène à l’essentiel. La foi n’a donc pas déserté, elle s’est simplement déplacée. Vers soi, vers l’humanité, vers des pratiques sincères qu’on relie aux éléments et aux sensations plutôt qu’aux interprétations des hommes. Des pratiques qui célèbrent l’authentique, nous unissent et nous apaisent, dans un monde qui en a urgemment besoin. 

Article du numéro 43 « Spirituel »

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