Le chef Esteban Salazar charme nos papilles avec sa cuisine mixte d’inspiration andalouse à Carmona

Imaginée par le chef Esteban Salazar, la cuisine de Carmona place les bons produits de saison au centre de l’assiette, tout en convoquant un savant mélange de techniques culinaires et d’influences du monde.

Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille

Nous l’avions quitté dans la forêt tropicale du nord de la Martinique, il y a deux ans. Nous le retrouvons aujourd’hui tout sourire et plein de nouvelles ambitions à deux pas de la tour Eiffel, au 10 avenue de New York à Paris. C’est au restaurant Carmona, nouvelle adresse food de l’ouest parisien dont la décoration signée Alexis Mabille rappelle l’ambiance chaleureuse d’une soirée d’été en Andalousie, où le désormais chef Esteban Salazar nous accueille pour partager cette aventure culinaire inédite, revenir sur son parcours aux quatre coins du monde, méditer sur les valeurs qui animent son travail derrière les fourneaux et révéler que son plat préféré n’est pas forcément ce à quoi l’on pourrait s’attendre… Entretien avec un jeune passionné dont la bonne humeur n’a d’égal que sa très, très bonne cuisine.

Esteban Salazar, chef du restaurant Carmona
Esteban Salazar, chef du restaurant Carmona

PAUL.E : Bonjour Esteban. Ravi de te revoir ! Pourrais-tu te présenter pour celleux qui ne te connaissent pas ?

Esteban Salazar : Hello PAUL.E ! Je m’appelle Esteban. Je suis d’origine colombienne et j’ai 26 ans. J’ai vécu un petit peu partout dans le monde, aux États-Unis, en Colombie, en Martinique, à Saint-Sébastien en Espagne. Et depuis le 5 août, je me suis installé à Paris.

P. : On te retrouve donc après avoir initialement goûté à ta cuisine en Martinique, où tu officiais en tant que sous-chef au restaurant de l’Habitation Céron. Que retiens-tu de ces 4 années passées dans les Caraïbes ?

E.S. : Ces 4 années furent vraiment l’une des plus belles expériences de ma vie, autant d’un point de vue professionnel que personnel. 4 années où j’ai eu l’opportunité de développer une relation directe avec la nature à l’Habitation Céron, qui est un endroit magique avec ses 70 hectares de forêt vierge. Là-bas, j’ai pu travailler avec des produits de saison cueillis tous les matins dans les jardins de l’Habitation. Nous devions nous adapter à la nature — et pas l’inverse — pour créer de nouveaux plats quotidiennement. Ce fut une expérience incroyable.

P. : Avant la Martinique, tu as notamment fait tes armes aux États-Unis, en Colombie, ton pays d’origine, mais aussi à Saint-Sébastien. Quels ont été les moments forts de ton parcours professionnel ?

E.S. : Alors, à l’âge de 18 ans, j’ai pris la décision de partir aux États-Unis pour faire un stage d’un an et demi dans un énorme hôtel resort de 360 chambres. C’est là où j’ai d’abord été exposé aux grandes brigades. On était 40 personnes en cuisine. J’ai appris énormément. Par la suite, je suis retourné en Colombie où je fus sous-chef dans le restaurant de l’hôtel Click Clack de Bogota. J’étais encore très jeune et ce fut une belle opportunité d’apprendre à être à l’écoute, à manager une équipe, à s’organiser méthodiquement et à gérer les urgences. Et, c’est par hasard, alors qu’elle déjeunait au restaurant, que j’ai rencontré Laurence, ma future patronne à l’Habitation Céron, en Martinique. Elle m’a proposé de partir et de m’installer là-bas pour développer avec le chef Hugo Thierry une cuisine 100% durable, respectueuse de la nature et de la biodiversité. J’ai évidemment accepté !

Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris

P. : D’où te vient cette passion pour la cuisine ?

E.S : Plus qu’une passion pour la cuisine, je dirais que j’ai un amour de la transformation des produits. J’ai vécu en Colombie, où mon père avait un potager et où tous les matins nous saluions le soleil. Cette révérence pour la nature avec laquelle j’ai grandi est très importante pour moi. Voir également ma mère cuisiner plusieurs fois par jour pour toute la famille, avec dévotion et amour, a aussi participé à cette transmission de l’importance du don de soi par la cuisine. Je recevais cet amour maternel à travers les plats qu’elle préparait. Cette sensibilité à la nature, à la transformation des produits, au partage et au plaisir de faire plaisir aux autres nourrit mon travail en cuisine et me fait aimer ce que je fais.

P. : Désormais aux commandes du restaurant Carmona, ton premier restaurant en Europe, quelle type de cuisine proposes-tu ?

E.S. : J’ai envie d’apporter quelque chose de nouveau dans la façon de travailler les produits. Ma différence ne vient pas forcément du fait que je sois Colombien. C’est plus une question de travail du produit. Quand on y réfléchit bien, 80 à 90% des produits qu’on utilise en cuisine en Europe viennent des régions subtropicales ayant été colonisées après l’arrivée de Christophe Colomb en 1492. Les produits que j’utilise ici à Carmona sont des produits que je connais bien et qui viennent de ma culture sud-américaine précolombienne, à savoir la tomate, l’aubergine ou la pomme-de-terre… produits aussi associées à la cuisine méditerranéenne. Voir la façon dont ma mère et ma grand-mère cuisinaient avec une sensibilité et un respect envers la nature a fortement influencé mon rapport à la cuisine et au travail des produits. Je pense qu’il y a énormément de complexité dans la simplicité. Comme quand on fait juste une simple tomate marinée avec le jus de la tomate. Il faut une bonne compréhension de la tomate pour faire une assiette assez simple avec du goût. Quand la technique est bien appliquée, elle ne se voit pas.

« Un plat devient mémorable lorsque vous l’avez préparé avec tout votre cœur et qu’il crée un voyage de saveurs. », Esteban Salazar


P. :
Pourquoi est-ce important pour toi de travailler en circuit court, avec des produits de saison, en évitant le gaspillage et en ressuscitant des techniques ancestrales comme la salaison ?

E.S. : C’est un hommage à la culture et à la tradition, car il n’y a pas d’avant-garde si on ne connaît pas nos traditions et d’où viennent certaines choses. Puis, je dirais que c’est un engagement éthique fort. Pas pour suivre une tendance, à un moment il est beaucoup question de cuisine engagée, de zéro gaspillage, de kilomètre zéro ou de produits de saison. Pour moi, c’est une évidence, un engagement qui va de soi et qui découle de mon enfance en Colombie avec ce rapport si particulier à la richesse environnante. Par conséquent, je fais une cuisine de proximité, je travaille avec ce qu’il y a autour de moi et je m’approvisionne avec ce qui est disponible au marché du coin. Je pense aussi qu’avoir des limites ou de la contrainte en cuisine rend plus créatif. Avec énormément d’ingrédients, la créativité peut partir dans tous les sens. Alors qu’avec seulement quelques produits, on peut créer des assiettes avec du goût et aller plus loin, tout en respectant et en rendant hommage à la nature.

Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris
Le restaurant Carmona à Paris

P. : En parlant de goût, quelles sont les nouvelles saveurs que tu apportes aux palais des client.es de Carmona dont la cuisine est d’inspiration andalouse ?

E.S. : C’est très intéressant comme question car les goûts sont évidemment subjectifs. En cuisine, on travaille avec 5 goûts, acide, sucré, salé, piquant et amer. Moi je travaille plutôt sur les mélanges de goûts, comme, par exemple, avec l’agneau cacao, une assiette servie ici à Carmona. On fait une sauce aux oignons liée avec une sauce au cacao. Avec toujours ce mélange de goût, de texture en bouche ou de température. Par exemple, une petite touche tiède dans une salade peut relever le côté vert et apporter différents jeux de texture en bouche. Ça crée de nouvelles expériences, de nouvelles associations de goûts. Ça correspond à ma personnalité. Je fais une cuisine de contrastes. Car personnellement, je suis une personne de contrastes aussi. Et c’est ce que je transmets à travers mes assiettes. C’est génial quand les gens le comprennent.

P. : Quel est ton plat préféré à préparer ?

E.S. : Ça va te paraître bizarre mais j’appelle souvent mon maraîcher pour lui demander de me mettre de côté les produits que personne ne lui demande. Afin de créer quelque chose d’unique en cuisine, avec une identité forte. Sinon, en ce moment, j’aime beaucoup cuisiner les gambas grillées. On reçoit de très belles gambas que l’on prépare à la façon du barbecue japonais. Pour moi, arriver à travailler une assiette assez délicate, assez goûteuse en bouche, avec cette force brute qu’est le feu est une vraie passion. J’aime trouver cet équilibre pour produire une assiette parfaite.

P. : Et à l’inverse, quel est ton plat préféré à déguster ?

E.S. : Tu vas rigoler car je suis un chef qui ne mange pas forcément beaucoup. Mais, j’adore un bon poulet frit ! Un bon poulet avec une bonne panure et bien juteux à l’intérieur, c’est le top.

Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille
Le restaurant Carmona signé Alexis Mabille

P. : À Carmona, tu travailles avec une équipe de 6 à 7 personnes, incluant ton sous-chef qui est aussi Colombien. Le côté famille et partage, est-ce ça aussi la spécificité de Carmona ?

E.S. : Être autour d’une table, ça veut dire beaucoup de choses. On est autour d’une table pour se nourrir, mais aussi pour passer de bons moments. L’identité de Carmona c’est ça : une cuisine de partage qui invite à l’échange et au contact. Dans ce quartier plutôt chic, à deux pas de la tour Eiffel, on casse un peu les codes du service : les plats sont à partager et placés au centre de la table pour que tout le monde se serve, serve les autres, interagisse, se pose des questions sur les plats et passe un bon moment de convivialité dans un cadre accueillant et chaleureux. Je pense qu’on va de plus en plus vers ce type de cuisine d’expériences. Avec la conjoncture actuelle, on apprécie les choses simples, décomplexées et de qualité. Se mettre autour d’une table et partager de la bonne nourriture entouré.es d’une belle déco.

P. : Et en guise de conclusion, peut-on connaître les prochains défis que tu te lances ou avoir une exclu sur tes projets à venir ?

E.S : Donner de la maturité à ma cuisine. L’ouverture de Carmona, c’est comme la naissance d’un enfant qui sera amené à grandir et à mûrir. En ce moment, on concocte plusieurs recettes; mais on fait aussi des préparations pour le futur à côté, en ne sachant pas forcément comment on va les utiliser. De la lactofermentation, des pickles, des cidres, des vinaigres. Tout ça va mûrir avec le temps, tout comme ma cuisine. Nous avons également des ouvertures d’adresses programmées pour les mois à venir. D’un point de vue personnel, j’aimerais continuer à garder les pieds sur terre, à kiffer mon travail, à profiter de la vie et à me faire plaisir !

P. : Merci Esteban !

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