TIFENN-TIANA : UNE SORCIÈRE BIEN AIMÉE

Tifenn-Tiana Fournereau est une sorcière. Une sorcière moderne qui boit du chai latte, porte le rouge à lèvres carmin comme personne, et qui paye son loyer, comme tout le monde. Une jeune maman qui mène une vie somme toute normale. Mais il y a cette énergie qui émane d’elle, ce truc en plus qui interpelle, ce petit quelque chose d’authentique, d’honnête, de vrai, qui inspire la confiance, la compassion, l’amour, l’ouverture d’esprit. Un petit quelque chose de magique, indéniablement.
Tu es une véritable touche-à-tout. Quelle est ton activité principale aujourd’hui ?
Je n’ai que des activités qui s’entremêlent, assez transversales et qui, je pense, se répondent bien. Je m’occupe d’un magazine papier, Peach, qui est indépendant, féministe, qui est fait par des femmes – on fait régulièrement des appels à projets auprès d’artistes féminines, comme des musiciennes, photographes, illustratrices, poètes, autrices. J’ai monté ça avec Agathe Rousselle, on voulait laisser une tribune aux femmes et retrouver ce côté un peu sororité. Je fais aussi de la direction artistique et surtout de la musique. Avant, j’avais un groupe avec mon mec et maintenant j’ai un projet, toute seule, qui s’appelle La Voisin, un gros clin d’œil à tout ce qui est mystique. Ah, et bien sûr, je suis médium !
Quand as-tu compris que tu avais undon?
Je devais avoir 7 ou 8 ans. Et encore… C’est plus ancien, je pense. Comme beaucoup d’enfants, j’avais une amie imaginaire. Maintenant, je me demande si ce n’était pas quelqu’un que je voyais réellement. J’ai un souvenir très précis de cette petite fille, Barbara, avec qui je parlais. Avec le recul, je me dis que c’était peut-être les prémices de quelque chose. Bon, c’était peut-être la fameuse amie transitionnelle qui permet de s’émanciper de la mère. Peut-être que c’était ça, ou pas (Rires) ! Je faisais aussi beaucoup de rêves prémonitoires quand j’étais enfant. Des rêves assez précis, mais qui se réalisaient très rapidement – le lendemain ou dans la semaine.
Et quand as-tu communiqué pour la première fois avec l’au-delà ?
C’était par l’écriture automatique. J’ai perdu mon papa quand j’étais très jeune, et j’ai commencé à communiquer avec lui par l’écriture, vers 7 ou 8 ans. Je pensais que c’était un truc que tout le monde faisait, que tout le monde pouvait avoir ce genre de communications, puis je me suis rendu compte que non. J’ai alors rangé ce don du côté de la projection, de l’inconscient des envies de communiquer avec mon père – quelque chose d’assez «psy». Finalement, j’ai eu des messages pour des gens, donc j’ai compris que mon père n’était pas le seul à venir me parler. J’écrivais même dans des langues que je ne connaissais pas! Je pratique aussi le Ouija, dans le même ordre d’esprit que l’écriture automatique. J’utilise un verre en cristal et je mets des lettres autour, je fais ça en petits groupes de confiance, car c’est généralement de l’ordre de l’intime et surtout je ne fais pas ça pour le folklore. J’ai vécu des choses étonnantes, précises et folles, qui imposent une croyance.
Ton don est-il héréditaire ?
Ce qui est étrange, c’est qu’il est héréditaire du côté de ma mère et de mon père, c’est pour ça que je l’ai récupéré entièrement. Ma famille, du côté de mon père, est assez terre à terre. Ma grand-mère ressent énormément de choses, elle a fait beaucoup de Ouija. Elle a une intuition qu’elle n’a pas vraiment embrassée. C’est là, mais elle ne l’explique pas, ce n’est pas cartésien, mais elle l’accepte. Ma mère est malgache, donc il y a une sorte d’héritage culturel : les morts, les ancêtres, le mysticisme, tout ce qui touche à la sorcellerie sont très précieux. Ce don, ma mère en a très peur, elle n’a pas voulu le développer, elle préfère soigner par le magnétisme – c’est d’ailleurs quelque chose que j’ai aussi.
Quand tu as communiqué la première fois, as-tu eu peur ?
Eh bien non. C’est pour ça que je continue aujourd’hui : c’est un truc qui m’accompagne, je ne me sens pas seule, j’ai l’impression d’être entourée de présences. Même quand les personnalités sont très nerveuses ou très en colère – pour une raison ou une autre –, et que leur message est plus violent, je ne me sens jamais en danger, je suis très protégée. Finalement, je ne suis qu’un vecteur.
Comment ton mari appréhende-t-il ton don ?
Il est très sensible, très ouvert. Rapidement, il m’a raconté des anecdotes, des choses qu’il avait vues enfant et qu’il n’explique pas. Quand il est venu s’installer chez moi, dans l’appartement dans lequel on vit encore, on a ressenti une présence dans le coin de notre chambre qui jouxte la salle de bains et la baignoire – alors que je n’avais jamais ressenti de présence auparavant. Même ma chatte, Frida, regardait tout le temps vers ce coin, elle miaulait. Cette présence, on l’a ressentie pendant six mois. C’était hyper relou, vraiment pesant – le soir surtout… Un jour, j’ai eu un message d’un type qui se présentait comme un Léon : « Écoute, j’habite ici, et maintenant, tu me ramènes ton mec… Tu es bien mignonne, mais sache que je veille ». Je lui ai répondu qu’a priori, mon mec et moi allions rester ensemble. Depuis, tout est serein. Léon est revenu deux ou trois fois me parler, juste pour insister sur le fait qu’on habitait son appartement. Il se serait suicidé dans la salle de bains. Ce qui est bizarre, c’est que c’est surtout mon mari qui a senti cette présence au départ.
Est-ce que ton don a eu un impact sur ta maternité ?
Je pense ! C’est très bizarre : mon fils est né un vendredi 13, un soir de nouvelle lune, avec trois semaines d’avance. Tout est allé très vite, j’ai accouché sans péridurale. Cet accouchement a été puissant en termes de féminité. Mon fils a ajouté des choses en moi, il agit comme un booster. Comme je viens d’une branche artistique, j’avais très peur qu’il soit un frein à mes choix de carrière et à mes envies, mais pas du tout. Je n’ai jamais autant bossé que depuis que je suis maman, je n’ai jamais eu autant envie que les choses se fassent. Souvent, on dit que les bébés nous vident de notre énergie, mais lui, il remplit ma jauge tous les jours !
En ce moment, il y a un véritable engouement autour des nouvelles croyances, tu ne trouves pas ?
C’est tombé au bon moment pour moi, parce que ça m’a encouragée à faire quelque chose de mes dons. Ça faisait des années que je pratiquais dans mon coin, je n’en parlais pas vraiment. Maintenant, les gens sont beaucoup plus ouverts à ce sujet, et c’est ce qui fait que je trouve ça positif. Ça rassemble, ça ouvre un peu les esprits et ça aide des gens, notamment dans leur processus de deuil. Cette prise de conscience autour de la figure de la sorcière et du mysticisme encourage les femmes à s’entraider de plus en plus, comme un mouvement de sororité.
Tu n’as pas peur qu’on cède à un phénomène de mode ?
Si ! J’ai un point de vue assez ambivalent à ce sujet. Ça me fait un peu sourire de voir toutes ces nanas se revendiquer sorcières alors qu’elles font trois potions avec des brins de pins. Ce n’est pas grave, ça ne fait pas de mal, mais quelque part, ça décrédibilise la pratique. C’est comme si tout le monde pouvait se revendiquer sorcière. Au départ, ça m’a un peu agacée, car beaucoup de gens autour de moi s’étaient moqués de ce que je faisais – « Oh, mais toi et tes trucs…» – et, maintenant, ils s’approprient totalement le phénomène. Après, le côté positif, c’est que ça peut ouvrir les gens à la spiritualité.
Toi, tu te considères comme une sorcière ?
Jusque-là, pas vraiment, mais je me rends compte que je suis, malgré moi, la lune. À chaque pleine lune, il se passe des choses dans ma vie personnelle. Par exemple, à mon enterrement de vie de jeune fille, un week-end de pleine lune, j’étais avec mes amies les plus proches – que des nanas fortes et sûres d’elles qui ne se connaissaient pas, mais toutes proches de moi. À minuit, on s’est baignées nues dans la piscine d’eau salée, qu’on avait entourée de bougies orange, on était un peu saoules, on faisait les folles. J’ai lu plus tard que cette lune avait été très puissante et qu’il y avait eu ce soir-là un Sabbat, une fête liée aux sorcières, qui invoquait que plein de femmes de personnalités et de corps différents soient dans de l’eau salée et qu’il y ait des bougies orange. C’était exactement ça, alors que rien n’avait été réfléchi ! Je me rends compte que les trucs un peu fous que j’ai vécus dans ma vie sont toujours liés à la lune. Donc oui, je me dis que je dois être certainement une sorte de sorcière.
Sur scène, tu es La Voisin – une sorcière-chiromancienne empoisonneuse qui a vécu au XVIIe siècle. Pourquoi elle ?
J’avais écrit d’une traite un album sur une femme forte vengeresse qui tue son mec et sa maîtresse, avec ce côté un peu tarantinesque. J’avais en tête un univers un peu violent, mystique – à l’image de la composition (j’ai choisi l’omnichord dans l’instrumentation, qui est une harpe électronique). J’avais donc besoin d’un personnage de scène plutôt que d’être moi. En cherchant dans les sorcières, je suis tombée sur La Voisin, je trouvais que ça sonnait un peu étrange et j’aimais qu’elle ne soit pas esthétiquement dans les codes, qu’elle ne soit pas gentille. La sorcière, la vraie, quoi !
À retrouver dans notre numéro 43, « Spiritualité »