SUDAN ARCHIVES, DÉESSE EN DEVENIR
Par Alexandra Dumont
La chanteuse et violoniste américaine, Brittney Parks de son vrai nom, a des rêves de grandeur. Elle est taillée dans le marbre sur la pochette de son premier album sous les traits de la déesse Athéna, le port altier, son violon en équilibre dans sa main gauche. Elle est entièrement dévêtue, comme pour signifier qu’elle chante à voix nue l’intimité de son parcours pour faire naître l’artiste qu’elle est devenue. Bientôt star.
Tu es venue à la musique par le sacré. Quelle empreinte cela a-t-il laissée sur ta pratique de la musique ?
À l’église, on vous apprend les bonnes manières : comment bien traiter les gens pour être bien traité.e en retour. Ce sont des choses qui ne vous quittent jamais. Y jouer du violon a développé mon oreille d’une manière qui ne s’apprend pas dans une école. Pour moi, la musique est une question de vibration et d’ambiance spirituelle. C’est ce qui guide, encore aujourd’hui, mon écriture et ma vie en général. Regarde-moi, je suis en train de chercher de l’encens pour nous rendre cette pièce plus agréable (on la rencontre dans sa loge, avant son concert au Badaboum, à Paris, ndlr).
Te souviens-tu des services religieux ?
Je me souviens surtout que je sortais avec plein de garçons qui allaient à l’église (Rires). J’y ai notamment rencontré un batteur prénommé David. Ils étaient si mignons. À cette époque, je ne m’intéressais à rien, mais quand j’ai commencé à chanter dans la chorale de l’église, j’ai trouvé un sens à ma vie, un but. J’ai compris que la musique pouvait m’aider à me rapprocher des gens. C’est la religion qui a fait mon éducation, je détestais l’école. Mon église était dingue. Les gens s’évanouissaient chaque fois que le pasteur posait sa main sur leur crâne pour les bénir. Tout le monde chantait à la gloire de Jésus. Il y avait des musiciens qui tapaient sur des tambours frénétiquement. C’était incroyable.
Est-ce encore une source d’inspiration ?
Oui, j’utilise beaucoup de références à la religion dans l’album Athena. Disons que je remets un peu en question ce qu’on m’a appris, notamment sur la notion du bien et du mal. Je me demande pourquoi le diable et Dieu ne peuvent pas s’entendre ? Parce qu’ils ont déjà été amis. Le diable était l’ange de la musique avant de se faire chasser. Que s’est-il passé ? Dieu et le diable étaient-ils des amants ? Étaient-ils amoureux ? La Bible fait souvent référence au lion pour parler de l’un et de l’autre (« Lion of lovers Or lion seeks to devour », extrait de sa chanson Black Vivaldi Sonata, ndlr), comme s’ils partageaient la même énergie. Serait-ce finalement une seule et même personne, bipolaire ? Qui sait ?
Tu sembles obsédée par la mythologie grecque. Pour quelles raisons ?
Sans doute parce que je trouve que ma vie manque de magie. Quand j’ai un coup dur, je me demande si tout ça est bien réel, donc pourquoi pas la magie, la mythologie. J’aime Athéna et ce qu’elle représente, à la fois la sagesse et la guerre. Mon album résonne aussi avec cette dualité. Ensuite, je trouvais intéressant de poser un nouveau visage sur Athéna. Quand vous la googlez, vous ne tombez pas sur des femmes qui me ressemblent. Je voulais surprendre, comme lorsque les gens ne s’attendent pas à ce que je joue du violon. Faire d’Athéna une femme noire, c’était aussi mettre un pied dans l’Histoire et provoquer une réaction. Mon métissage a longtemps été un complexe. Il y a beaucoup d’Afro-Américains qui ne sont jamais allés en Afrique, je trouve ça bizarre. Ils se sentent comme déconnectés de leurs origines, comme si nous n’étions pas pareils, mais c’est faux. Nos racines se sont perdues depuis trop longtemps et beaucoup manquent d’éducation par rapport à ça. Je veux que tous mes futurs enfants aillent en Afrique. Moi, la première fois que je suis sortie du territoire américain, c’était pour aller au Ghana. Récemment, un test ADN a révélé que j’étais Kényane, Nigériane et Indonésienne. Je suis un grand mélange.
L’essence de la mythologie est primitive, c’est là toute sa puissance. En quoi ta musique est-elle aussi primitive ?
Elle est sauvage dans ma manière de jouer du violon, par exemple. Je ne suis pas technique. J’ai appris en regardant des concerts de musique irlandaise. Frapper les cordes du violon et jouer sauvagement avec l’instrument, c’est ma façon de me l’approprier. Être capable aujourd’hui d’atteindre une vibe expérimentale, c’est aussi pour échapper à l’apprentissage besogneux de l’instrument. Je ne me suis jamais imposé de jouer aussi bien que possible, mais quand j’ai su m’en emparer à ma façon, je suis devenue l’artiste que je suis aujourd’hui. Cet album, c’est mon histoire, l’épanouissement d’une femme adulte dans sa forme la plus totale.
De quelle manière revendiques-tu ton côté sexy ?
J’aime faire l’amour. Pour moi, c’est essentiel, c’est mon essence. Sans ça, je n’arriverais pas à faire de l’art, à écrire des chansons. Tout ce qui importe dans la vie, selon moi, c’est de faire des enfants. Parce que tu vas mourir. Je veux laisser mon empreinte sur terre, et c’est aussi pour cette raison que j’ai donné naissance à cette sculpture : moi personnifiée en Athéna.
Son premier album, Athena (Stones Throw Records), est disponible depuis le 1er novembre 2019.
Article du numéro 46 « Dimensions »