ON NE NAÎT PAS MÈRE
On le devient. Ou pas. Comme de nombreux enfants, j’ai joué à la poupée : je les berçais, les nourrissais, les habillais, leur parlais. Bref, je jouais à la maman. Et je me suis arrêtée là, je n’ai fait que jouer. Je ne me souviens pas avoir un jour voulu être mère (et je le vis bien, merci).
À presque 27 ans, je n’ai que très rarement pris des bébés dans mes bras. Plus ils sont jeunes, plus ils me mettent mal à l’aise leurs potentielles réactions m’inquiètent. Je ne ressens pas le besoin de cette proximité avec eux, je ne sais pas comment m’adresser à eux, je me sens maladroite. En plus de ce malaise face aux enfants, j’ai peur de la grossesse : la sensation d’un ventre qui s’arrondit de jour en jour pendant qu’un petit être grandit en moi m’effraie. Pendant que mes amies s’émerveillent devant des empreintes de pieds ou de mains qui se dessinent à la surface d’un ventre de mère, je ferme les yeux et espère que cela ne m’arrive jamais. Je comprends que porter la vie, puis la donner, soit ressenti comme un acte puissant et incroyable, mais je ne souhaite pas l’expérimenter. Enfin, j’ajouterais que l’une des raisons pour lesquelles je ne veux pas d’enfants est que je ne suis pas prête à perdre ma liberté. Aujourd’hui, je suis libre de faire plus ou moins ce que je veux quand je le veux, libre d’organiser ma vie comme je l’entends, libre de ne pas avoir une énorme responsabilité à prendre en charge. Et j’y tiens.
De nombreuses femmes partagent mon point de vue en ayant, ou pas, les mêmes arguments et aimeraient que leur choix soit parfois un peu plus respecté et un peu moins commenté. Nous sommes au XXIe siècle et il paraît assez évident qu’aux yeux de la société, la femme existe en tant que telle et plus uniquement en tant que mère. Pourtant, les jugements existent encore et ne nous rendent pas toujours la vie facile.
Un peu d’histoire…
Il faut bien comprendre que jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la mortalité infantile était extrêmement élevée. Difficile alors de faire preuve d’attachement envers un petit être qui risque de ne pas survivre à sa première année d’existence (un enfant sur quatre ne dépassait pas ce stade). À l’époque, les comportements considérés comme normaux envers sa propre progéniture étaient ceux proches du désintérêt, voire de l’indifférence. Dans Les Hommes et la mort en Anjou au XVIIe et XVIIIe siècles, François Lebrun écrit : « La mort du petit enfant est ressentie comme un accident presque banal qu’une naissance ultérieure viendra réparer. » Outch. Attention les yeux, des témoignages rapportent même que des bébés mourants étaient abandonnés par leur mère dans les ruisseaux ou sur des tas d’ordures où ils restaient pourrir. Charmant… Quand les bébés n’étaient pas abandonnés de cette manière et qu’ils avaient droit à un enterrement, les parents (le père ou la mère, et parfois les deux) ne se déplaçaient pas toujours. La perte d’un enfant était malheureusement monnaie courante à l’époque, il faut ajourd’hui fournir un effort surhumain pour réussir à se remettre dans ce contexte historique et comprendre de telles réactions.
L’amour des parents, quand amour il y avait, se dirigeait principalement vers l’aîné pas l’aînée, car une fille n’était que source de tourments : elle coûtait une dot au moment du mariage. S’ils n’arrivaient pas à la caser, il fallait soit la garder, soit la placer en tant que servante, soit lui payer le couvent. Bref, que des ennuis. L’aîné, lui, était choyé (il avait droit aux meilleurs morceaux de viande, c’est dire !) et il était plus ou moins éduqué, en fonction des moyens des parents. Hé oui, il était l’héritier ! Et accessoirement celui dont la mère dépendait en cas du décès du père… Quelqu’un qu’il fallait chouchouter, quoi. Bref, l’aîné vivait à la cool pendant que le reste de la marmaille croupissait, bien souvent dès la naissance, chez une nourrice à la campagne. Je vous arrête tout de suite, nous ne sommes pas en présence du type de nourrice que vous avez en tête : cette nourrice-là ne prenait pas vraiment les enfants sur ses genoux en cas de gros chagrin et ne fredonnait pas Une chanson douce pour les endormir. Non. Envoyer son petit chez une nourrice, c’est l’envoyer au casse-pipe, ni plus ni moins. Et ça, c’est quand il a de la chance. Parce que l’on n’est jamais à l’abri de le perdre en route : les conditions du voyage étant terribles, il n’est pas rare que les nourrissons meurent en chemin. Les rapports de Paris et de Lyon indiquent qu’il est déjà arrivé qu’un bébé tombe du chariot dans lequel il est emmené chez la nourrice et soit écrasé par une roue. Le nouveau-né n’a donc aucune importance, la mort étant banale, et la maternité n’en a que le nom.
Au XVIIe siècle, où avoir une flopée d’enfants est la norme (qu’ils survivent ou non) et où la France baigne littéralement dans la brutalité, un mouvement se met en place : les Précieuses les toutes premières féministes, finalement. Elles rêvent de distinction, et surtout de liberté, qu’elles obtiennent par l’ascèse. Être mères et épouses ? Très peu pour elles ! Entre autres, elles refusent de se soumettre au mariage et à la maternité afin de conserver leur (précieuse) indépendance.
Mais à la fin du XVIIIe siècle, branle-bas de combat ! La France connaît une sorte d’exaltation de l’amour maternel : après l’hécatombe humaine qui caractérise si bien l’Ancien Régime, l’heure est à la valorisation de l’humain ! L’État presse donc les femmes à procréer et à assurer impérativement la survie de leur progéniture, et ce, dès la naissance. Elles vont jouer le jeu (les femmes issues de la bourgeoisie dans un premier temps), galvanisées par l’espoir d’accéder à un rôle plus gratifiant au sein de la famille et de la société. Elles y voient là une manière de s’émanciper et de gagner en responsabilités : elles gardent leurs bébés en vie, s’occupent ensuite de leur éducation, et même de leur instruction !
Au fil des siècles, le statut de la mère évolue, lentement mais sûrement : la femme, l’épouse et la mère ne font plus qu’une et même personne. Elle prend soin de ses enfants, elle ne fait plus de distinction entre eux, elle est à leur service. Cette condition de la femme – un vieux carcan dans lequel on l’a petit à petit enfermée – semble atteindre son apogée au milieu du XXe siècle (Régime de Vichy, puis les Trente Glorieuses), où les images stéréotypées de la femme vont bon train. La femme ne se résume qu’à ses capacités à être une bonne ménagère et une excellente mère au foyer qui a su participer à la fulgurante ascension du taux de natalité (baby-boom, coucou !).
Horloge biologique
La maternité telle qu’on la conçoit aujourd’hui s’est donc construite en plusieurs siècles. On voit bien que le désir de maternité ne va pas de soi ! Alors pourquoi, aujourd’hui, quand je dis que je ne veux pas d’enfant, me répond-on : « Tu verras, ton horloge biologique va un jour se réveiller », et autres festivités ? Pourquoi me parle-t-on « d’horloge biologique » ? Ce n’est pas parce que j’ai un appareil reproducteur féminin que j’ai forcément envie de m’en servir ! Pourquoi ai-je le sentiment qu’il est « normal » de vouloir des enfants ? Bien que je sois sûre de mon choix, pourquoi ai-je l’impression d’appartenir à ce schéma : « femme = utérus = bébé » ? Vais-je réellement un jour me réveiller avec une folle envie de procréer ? Rien qu’au regard de l’Histoire, j’émets un sérieux doute : la maternité semble vraiment ne pas être la préoccupation première et instinctive des femmes tant leur comportement fluctue en fonction d’un grand nombre de facteurs : l’appartenance à une période de l’Histoire, à une culture, à une classe sociale, etc. Comment peut-on parler de désir naturel s’il dépend de plusieurs facteurs et qu’il ne se manifeste forcément pas chez toutes les femmes ? Le comportement maternel n’est pas suffisamment unifié pour m’assurer que j’aurais un jour envie d’être maman.
Pourquoi ne pas vouloir d’enfant ?
Mais au fond, quoi de plus légitime que de laisser la parole aux personnes les plus concernées? J’ai donc demandé à certaines femmes de parler sans complexe de leur non-désir de maternité. Voici ceux qui sont le plus souvent avancés (liste non exhaustive).
Absence d’envie
Parmi le panel de femmes interviewées, la raison la plus évoquée est sans doute, et tout simplement, l’absence d’envie. Mélanie, 29 ans, explique : « Je ne souhaite pas avoir d’enfants, car je pense que ce n’est pas pour moi. Dans mon cas, la maternité n’est pas un accomplissement qui participerait à mon épanouissement. » La maternité serait donc même une entrave à son bonheur, avis que partage Géraldine, 30 ans, qui estime que le sien dépend d’autres facteurs : l’art, la littérature, l’écriture et la culture.
Incompatibilité avec un mode de vie et désir de liberté
Pour Mélanie, avoir un enfant dans sa vie est impossible: « J’ai des ambitions personnelles et professionnelles qui sont incompatibles avec une vie de mère.» Quant à Géraldine, elle aime ne pas avoir de problèmes logistiques étant donné qu’elle se déplace beaucoup à travers la France pour son activité professionnelle.
Le rapport physique à la grossesse
Juliette, 23 ans, a un rapport au corps en mutation très clair : enplus d’avoir peur de potentiellement transmettre une maladie héréditaire à son bébé, vivre une grossesse est inconcevable. « J’ai beaucoup de mal avec la notion de grossesse. L’idée d’un fœtus qui poserait ses valises dans mon utérus m’est insupportable. Imaginer qu’un autre être se développe en moi me donne la nausée. Je n’aime pas l’idée que mon corps change et s’adapte pour l’accueillir. Je me sentirais parasitée, tout simplement. » Géraldine a quant à elle un dégoût face au corps de la femme enceinte : « Je suis consciente de la dégradation du corps qu’une grossesse engendre. Le corps déformé des femmes enceintes me laisse perplexe. Les bassins élargis, la peau craquelée, les seins abîmés me dégoûtent. »
Méfiance envers la société
« Je pense que j’aurais mauvaise conscience de faire venir un enfant au monde dans l’état dans lequel il est actuellement. J’aurais l’impression d’être égoïste», explique Mélanie. Elle ajoute: «J’ai longtemps pensé qu’avoir des enfants était une obligation liée à la condition féminine. C’est en acceptant qu’il existait d’autres schémas de vie que ceux imposés par la société une maison, des enfants, le mariage et tout le confort domestique que cela engendre que je me suis autorisée à assumer mon choix de ne pas vouloir être mère. »
Bien que ces arguments soient cohérents, les jugements persistent en 2019 : on a le sentiment que chaque choix pris en rapport avec la maternité sera jugé, interprété et mis à rude épreuve par la société.
Pression sociale
C’est à la fin du XVIIIe siècle, quand l’amour maternel devient une valeur naturelle et sociale, que le statut de la mère fait un bond en avant : comme on l’a vu précédemment, la femme se doit de faire vivre ses enfants et de les élever, ce qui lui confère un certain pouvoir. Un homme sage (mais malheureusement complètement fictif, Ben Parker) a un jour dit : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Mais à quel prix ! Cette sorte de promotion que la France o re à la femme est à double tranchant. Bien sûr, la femme existe en n aux yeux de la société et n’est plus considérée comme une enfant, mais cette valorisation ne va pas sans une certaine aliénation. Au moment même où son rôle de mère se charge d’idéal, on lui associe alors un aspect mystique. Élisabeth Badinter, dans L’Amour en plus. Histoire de l’amour maternel (XVIIe-XXe siècle), confirme : « La mère est maintenant volontiers comparée à une sainte et on prendra l’habitude de penser qu’il n’y a de bonne mère que de ‹ sainte femme ›. La patronne naturelle de cette nouvelle mère est la Vierge Marie dont toute la vie témoigne de son dévouement à l’enfant. » La mère doit se plier à toute une liste de devoirs dont, entre autres, le sacrifce et le dévouement envers le bonheur de ses rejetons. Si elle joue admirablement son rôle auprès de sa progéniture, elle est tout bonnement sanctifiée. En revanche, elle est lâchement fustigée si elle échoue dans son entreprise sacrée. Badinter ajoute : « Enfermée dans le rôle de mère, la femme ne pourra plus y échapper sous peine de condamnation morale. » Le voilà, le fameux carcan duquel la femme du XXIe siècle essaye encore de s’extraire! Mais quelle femme peut se targuer d’être une mère irréprochable à plein temps ? Camille, 32 ans, explique : « J’ai culpabilisé les toutes premières années, car j’avais l’impression de ne pas assez remplir mon rôle de mère et d’abandonner mon enfant en allant travailler.» Émilie, 35 ans, renchérit: «Parfois, je rentrais tard du boulot et bossais même les week-ends. J’avais beau faire des compotes maison et jouer souvent avec mon bébé, je me sentais mal. Heureusement, toutes mes copines étaient dans le même bateau, ça m’a rassuré ! »
Toujours se justifier
Bien que cette pression sociale prenne de l’âge et tende, bien sûr, à se dissiper, elle persiste néanmoins. Aujourd’hui, beaucoup de femmes n’osent toujours pas dire qu’elles ne veulent pas d’enfant de peur de se sentir jugées par leur famille, leurs amis, voire par certains professionnels de santé, notamment les gynécologues. Juliette, qui pense parfois à la contraception définitive (la méthode la plus courante est la ligature des trompes de Fallope, ndlr), ne souhaite même pas aborder le sujet avec un membre du corps médical : « Je n’en parle simplement pas, parce que je ne veux pas me retrouver confrontée à un médecin ou un gynécologue qui essayerait de me convaincre que ma réflexion et mon choix sont stupides. » Mais de manière générale, Juliette ne parle pas de son refus de maternité, surtout pas à sa famille ! Quoi, au XXIe siècle, la maternité serait-elle toujours un sujet tabou ?!
Quand le sujet est abordé, les réponses ne se font jamais attendre très longtemps. Pour ma part, quand j’explique que je ne veux pas d’enfant, je suis principalement confrontée à trois types de réactions :
La réaction la plus facile
Évidemment, c’est celle où on me dit que je suis égoïste de préférer ma liberté plutôt que d’avoir un enfant. Pasquale, 30 ans, confirme : « Les gens me jugent. Je passe pour une égoïste carriériste, sauf que j’ai pris cette décision justement à un moment de ma vie où je n’avais pas encore de carrière. »
La réaction la plus récurrente
Bien plus courante que la première, cette réaction me donne des boutons. Sans surprise, il s’agit du fameux : « Tu es encore jeune, tu as le temps d’y réfléchir. » Je sais que cette réaction est juste maladroite, prononcée sans réelle réflexion, mais je la trouve terriblement insultante. J’ai la mauvaise impression que la personne en face de moi pense que je pourrais un jour changer d’avis, et qu’elle doute de ma maturité en remettant en cause un choix réfléchi. Face à ce genre de propos, Marion, 27 ans, se sent complètement incomprise : « Je suis fatiguée de voir qu’il est si automatique d’imaginer que je vais un jour vouloir des enfants. » Le pire pour elle ? Quand on lui fait comprendre que son choix relève de la provocation !
La réaction la plus rare
«Je trouve que tu es courageuse.» Hé oui, car on parle bien de courage quand il s’agit de défendre ses choix constamment, d’aller à l’encontre de ce qui est généralement attendu de soi et donc de sentir sur ses épaules le poids des regards parfois désapprobateurs de son interlocuteur! Mais quand quelqu’un me dit que je suis «courageuse», j’ai la banane pour la journée, je suis remontée à bloc, prête à me battre pour défendre mes arguments contre vents et marées. Et surtout, je me dis qu’il y a de l’espoir.
Il existe autant de cas de gures que de femmes : celles qui ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, vivre une grossesse mais qui envisagent d’être mères au moyen de l’adoption, celles qui ne veulent pas être mères du tout, celles qui envisagent la stérilisation, celles qui veulent des enfants tôt dans leur vie, celles qui en veulent plus tard, celles qui hésitent, celles qui changent nalement d’avis, etc. Peu importe son âge, chaque femme a le droit de disposer librement de son corps sans avoir à subir un jugement et sans avoir peur ou honte de l’exprimer. Chaque femme devrait se sentir respectée dans ses décisions sans avoir à les défendre et devrait se sentir soutenue, car la maternité est un don, pas une obligation, qui n’est pas et ne sera jamais à prendre à la légère.
Article de Juliette Minel
One thought on “ON NE NAÎT PAS MÈRE”
Article très intéressant et peu courant! C’est pas trop tôt!
Enfin quelqu’un qui assume son choix et qui ose l’imposer à la vue de tous.
Je trouve tellement dommage que ce sujet sois tabou, et que certaines femmes restent silencieuses afin d’éviter toute remarques ou jugements de la part d’autrui.
On respecte le choix des femmes qui ont des enfants alors pourquoi s’offusquer devant celles qui n’en veulent pas?
Merci Juliette pour votre témoignage, c’etait agréable de vous lire.
À bientôt!
Marion.