Il y a quelques semaines, on vous en parlait déjà dans nos colonnes. Julie, alias Bessa, à l’allure « tomboy » et rétro avec ses jolies boucles brunes, nous avait tapé dans l’œil. Dans son premier album De l’homme à l’animal, on découvre qu’elle occupe le terrain de sa féminité, embrassant sa sensualité et sa sexualité. Une fille de notre génération, bien dans ses pompes, en somme. Elle nous parle de son rapport au corps et au sexe. Rencontre.
Sur Karmique Afrique, tu te reconnectes à ton statut de femme. Ça veut dire que c’est une prise de conscience récente ?
Bessa : Oui. Ça veut dire faire la paix avec mon identité mixte, femme et homme, car je sais que j’ai un côté masculin et je l’accueille aujourd’hui très simplement.
Quand es-tu devenue femme ? Tu as mis du temps à t’accomplir en tant que telle ?
Oui ça a mis du temps. À l’adolescence, je crois que je ne savais pas trop ce que ça voulait dire. Je savais que j’étais une fille, donc je m’habillais en fonction de ce que je voyais et de ce qu’on me disait, mais je ne l’avais pas vraiment « conscientisé ». C’est venu assez récemment, aux alentours de 30 ans. J’ai pris plaisir à aimer mon corps tel qu’il est.
Un déclic particulier ?
Le déclic de l’identité sexuelle est lié à l’acceptation plus générale de ce que je peux être. L’image qu’on dégage a son importance, mais si on n’a pas soigné et fait la paix avec ce qu’il y a à l’intérieur, ça devient du camouflage. La beauté, ce que tu irradies, ne se résume pas à se maquiller, s’apprêter et porter une jolie robe. C’est un état d’esprit ! J’ai découvert qu’Alicia Keys refusait de se maquiller. Elle a dit que c’était devenue une contrainte, quelque chose qu’elle n’avait pas choisi, juste parce qu’elle passait à la télé… Elle montre l’exemple.
En tant qu’artiste, est-ce qu’on t’a souvent renvoyé à ton statut de femme ?
Oui, j’ai déjà eu des remarques. On m’a dit de faire attention à mon style par rapport à l’image que je renvoie ou par rapport à mon âge. Mais c’est des conneries ! En plein concert, si tu te donnes à 500% et que tu réussis à créer une connexion forte avec le public, les gens s’en foutent que tu aies quatre rides en trop ! Ça ne va pas les empêcher de kiffer. Il faut voir ses rides comme quelque chose de beau. Ma grand-mère a 95 ans et me dit souvent : « Mon visage change, tu as de la chance d’être jeune. » Alors qu’elle est splendide ! Je la pousse à se regarder avec des yeux qui ne la jugent pas.
Comment t’es-tu réappropriée ton corps de femme ? Je me suis réappropriée mon corps quand je me suis connectée à mon âme et que j’ai appris à la faire grandir. Je suis très sensible à la philosophie yogiste. J’ai compris qu’on n’avait qu’une seule enveloppe corporelle, qu’elle était précieuse et qu’il fallait en prendre soin. Je dois m’en occuper de l’intérieur pour qu’elle brille de l’extérieur. En faisant du sport par exemple ou en prenant du temps pour moi.
Quelles sont les parts que tu as en toi ? Entre féminité et virilité ?
Quand j’ai rencontré mon mec, il m’a trouvé très masculine. Ça faisait un moment que j’étais célibataire, à Paris, dans une grande ville, dans la musique. C’est un milieu violent quand on ne sait pas comment le gérer et j’étais clairement dans un manque affectif. J’étais moi aussi un peu violente. Je me protégeais… Il y a une philosophe que j’aime beaucoup qui pose la question du féminisme. Elle se demande si le féminisme, c’est faire de soi une femme masculine dans le sens où elle prend le dessus sans respecter sa nature même de femme ? Est-ce qu’on n’a pas d’autres forces ? Comme le pouvoir de la transmission – parce qu’on enfante. On associe souvent la femme forte à une « business woman » qui écrase tout le monde. Pour moi, c’est renier sa nature même de femme. Notre instinct est ailleurs. Faire grandir son territoire, je ne suis pas sûre que ce soit notre truc. Est-ce que ce n’est pas plutôt protéger son clan ? Je te parle de réflexes primaires qui se heurtent à notre société moderne. Y compris dans notre rapport avec les hommes. Je ne dis pas qu’on ne peut pas être une « business woman », mais je ne suis pas sûre d’être plus épanouie si je marchais sur la gueule de tout le monde. En tant que femme, on peut tout à fait avoir des rapports fermes et constructifs sans forcément être dans un truc de conquête et de violence.
On projette souvent sur la femme trentenaire une obligation de se marier, d’avoir des enfants. Tu as souffert d’avoir longtemps été célibataire ?
Toutes mes copines de fac ont des enfants, elles sont mariées ou en concubinage. Moi, j’ai une vie totalement débridée et désorganisée par rapport à elles. Mais mon copain est aussi artiste, donc ce n’est pas trop perturbant. Peut-être que je connaîtrais la maternité un jour (Sourire)… À l’époque, j’ai souffert d’être célibataire parce que je n’arrivais pas à apprécier ma vie en tant que personne, seule. Je me disais qu’il fallait absolument trouver quelqu’un ! C’est tellement absurde (Rires). Déjà parce que c’est le meilleur moyen de faire le mauvais choix tellement tu as la dalle d’affection. Ce besoin d’affection, il vient du fait que tu ne t’aimes pas toi-même, alors tu cherches l’amour à l’extérieur de toi, comme un miroir, et tu fais tout pour que ça colle. Ce sentiment s’estompe avec l’âge. Tu regardes l’autre avec un regard plus objectif, sans lui projeter des choses qui te collent à la peau. Tu le regardes et tu te dis : est-ce qu’on a quelque chose à partager ? Ensuite, cette connexion magnifique, si vous la trouvez, nécessite un travail au quotidien.
Qui sont les femmes que tu admires ?
Ma grand-mère. Mais elle est d’une autre époque et elle a souffert de cela. Elle chantait à la radio de Tunis parce qu’elle est née là-bas. Son père tenait une papeterie qui a fait faillite, alors elle a été obligée de travailler. Elle est devenue comptable même si ce n’est pas du tout ce qu’elle voulait faire. Elle aurait tourné le dos à sa famille si elle avait suivi son rêve. C’était très mal vu à l’époque. Elle adorait la musique classique et je dansais souvent pour elle quand elle repassait le soir après l’école. Elle m’avait même confectionné un tutu (Sourire). Ma mère aussi compte parmi les femmes que j’admire.
Quel genre de femme était-elle ? Ton schéma familial était-il genré ?
Oui, quand même. Même si mes parents étaient très respectueux l’un envers l’autre. Ma mère est diététicienne, donc elle aime bien faire à manger et gérer la maison. Mon père, lui, est ingénieur en mécanique et bricole dans le jardin. Il ne veut pas se l’avouer, mais au fond c’est un grand sensible. J’ai l’impression qu’il y a vraiment un tournant dans notre époque. Les hommes acceptent de se montrer fragiles et de prendre soin d’eux. C’est un truc générationnel.
Tu as un petit frère. Est-ce que tu as senti une différence dans le mode d’éducation que vous avez reçu l’un et l’autre ?
Non. En plus, on est tous les deux artistes. Mon frère est peintre. Comme on a une assez grande différence d’âge – on a presque six ans d’écart – j’ai joué le rôle de la grande sœur. Je m’occupais de lui, beaucoup. Après, j’ai l’impression que lorsqu’il était adolescent, il sortait plus que moi, mais est-ce que ce n’est pas dû au fait que j’étais la première et que mes parents s’étaient un peu détendus (Rires) ?
Comment es-tu entrée dans l’adolescence ? Qu’est-ce qui t’a déterminé ?
C’était une période compliqué. Je ne faisais que des conneries, je travaillais mal à l’école et je traînais avec les caïds du fond de la classe. J’étais hyper mal dans ma peau. À 16 ans, je me suis rasée la tête à la tondeuse, parce que je ne savais pas trop comment dealer avec toutes ces représentations de l’homme et de la femme. Tu as un corps qui vient à toi comme ça, c’est hyper dur de jongler avec. Je me teignais les cheveux toutes les semaines, d’une couleur différente, jusqu’à ce que je me rase complètement. J’ai eu aussi une période où je camouflais mes formes sous d’énormes joggings à capuche. Et une période hyper féminine à base d’autobronzant, maquillée comme un pot de peinture. Heureusement ça a fini par faire son chemin.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à assumer en grandissant ?
Ce côté masculin-féminin. Aussi parce que je viens d’une petite ville. Dans une grande ville, comme Paris, il y a un tel melting-pot, une telle mixité des gens et des genres, que j’ai l’impression que c’est plus facile. J’avais 24 ans quand je suis arrivée à Paris. J’ai fréquenté des cercles d’artistes où il y a beaucoup moins de tabous. J’ai croisé des gens de tout horizon, des femmes, des hommes, des lesbiennes, des gays, des Blancs, des Noirs… Peu importe qui on est et d’où on vient, on se rend compte qu’on est tous un peu paumés et qu’on partage les mêmes questionnements. En tant qu’artiste, ça bouillonne, il y a des échanges qui se font et ça a clairement favorisé mon épanouissement. Les gens sont plus ouverts à recevoir des choses peu communes. Pas des choses bizarres, parce que tout existe depuis la nuit des temps. Les Grecs, c’étaient des chauds (Rires). Les hommes âgés et d’un certain statut avaient pour mission d’épanouir des jeunes hommes en période de puberté pour leur faire expérimenter tout un tas de choses. Une fois qu’ils avaient testél’homosexualité, ils pouvaient se marier et avoir des enfants. Je me sens bien dans le milieu artistique parce que tu te sens libre, pas jugée.
Es-tu consciente du potentiel érotique de ton instrument, la guitare ?
Pour moi, il y a un côté plus érotique dans la basse, à cause des fréquences. Ça résonne plus bas, au niveau du bassin (Sourire). Ce serait intéressant de savoir si quand tu danses et qu’il y a du kick, tu libères des hormones ? Est-ce que tu es plus sensuelle ?
Quel est ton rapport au sexe, l’organe ? Il y a de plus en plus d’artistes qui s’en emparent.
J’ai un rapport de plus en plus simple, naturel, spontané. Parce que c’est quelque chose de beau. Et c’est aussi un organe fabuleux et sensationnel dans son pouvoir de procurer des choses. C’est notre intimité profonde et quand les choses sont faites avec amour, c’est une explosion de saveurs, de douceur, de beauté. En tant que femme, on reçoit quelque chose d’extérieur à l’intérieur. Ça a une vraie signification. Le sexe est un petit écrin précieux. Faire l’amour avec quelqu’un, c’est accepter de se connecter à cette personne. Il y a un transfert d’énergie monstrueux. Il faut que ça reste spontané et honnête. Il ne faut pas avoir peur de dire non, même à la personne qu’on aime.
On va terminer cette rencontre par un shooting sauvage dans le cimetière du Père Lachaise. C’est un exercice qui te plaît ? Jouer avec ton image ?
Oui, j’adore poser. J’aimerais faire du cinéma. Le rapport au corps doit être différent. Ce n’est pas comme au théâtre ou sur une scène. Au cinéma, tu as des gros plans, on peut lire dans les méandres de ton corps. Ça me fascine. Quand je fais des photos, j’aime prendre les gens de très très près. Du coup, ça m’intéresse de voir ce que je peux dégager, de jouer avec la caméra comme si c’était une personne. C’est aussi une manière de jouer de mon sex-appeal.
BESSA : De l’homme à l’animal (Low Wood/Elektra France)