MARVIN BONHEUR, SEINE-SAINT-DENIS STYLE
Évidemment, dès que j’ai entendu parler de Marvin Bonheur, je n’ai pas pu m’empêcher de croire que son nom était un pseudonyme. Un pseudonyme bien choisi, certes, mais un pseudonyme quand même. Eh non ! Cet enfant du 93, qui a toujours le sourire aux lèvres, s’appelle bel et bien « Bonheur » de naissance. A croire qu’il était prédestiné… Décryptage en mots et en images.
Dès le début de la conversation, je perçoisqu’il en faut de la force, de la détermination et du courage pour percer dans ce monde de dingues. Déjà que la vie d’artiste n’est pas toujours aisée, alors quand on a grandi en banlieue comme Marvin, on ne va pas se mentir, c’est presque mission impossible. « Ce n’est pas évident, car il y a peu de formations ou d’écoles d’art vraiment accessibles. J’ai dû apprendre en autodidacte. Sans parler du budget – c’est un bon billet le matos photo –, des gens qui te font comprendre que c’est une passion de Parisien ou de mec “ bizarre ” et que c’est hyper dur d’en vivre ! Il faut vraiment être motivé », me confie-t-il à juste titre. Et pourtant, elle en a du fil à retordre et des choses à dire cette banlieue si critiquée, si décriée, si caricaturée, bien souvent à tort. Il n’y a qu’à voir comme elle inspire le monde de la mode et du luxe par sa culture street très affirmée.
Marvin Bonheur, alias Monsieur Bonheur, a converti le décor de son enfance – les barres d’immeubles, les caddies de supermarché, les jeunes assis fièrement sur leurs bolides – en une rêverie à ciel ouvert qui va au-delà des clichés et des idées reçues. Ses photos relatent son histoire, sa vie : celle d’un jeune du 93 qui s’est cherché et retrouvé quand il a compris que ce qu’il prenait pour une faiblesse était en fait sa plus grande force. « Aujourd’hui, je partage ma vision d’un 93 beau et inspirant, car c’est ma relation avec mon territoire. » Un travail « à but social », qui se découpe en trois étapes, telle une trilogie de vie : le passé (Alzheimer), le présent (Thérapie) et le futur (Renaissance), sur lequel il continue d’oeuvrer. Quel que soit l’endroit qu’il photographie, de Berlin à Montréal en passant par New York ou la Martinique, il revendique toujours d’où il vient, car c’est son inspiration première.
En arrivant à Paris en 2014, Marvin ressent un choc immense face aux nouveaux codes culturels qui s’offrent à lui. Il se sent en décalage et se questionne sur son éducation et son enfance. « Je me suis demandé si j’avais une culture. J’avais des référence que mes collègues de province ou de Paris n’avaient pas, et inversement. » De cette crise identitaire, tout est né. C’est à cette même période, alors qu’il vient d’achever ses études de communication graphique, qu’il commence à prendre des photos de ses potes : « C’est venu comme ça, sans but particulier, précise-t-il en riant. La photographie à l’argentique m’a vraiment touché. Notamment le grain et les couleurs pastel qui dégagent cette émotion douce et mélancolique, et connotent exactement ma vision des quartiers. Ça m’a incité à montrer la vie telle que je la vois. »
Adolescent, Marvin reconnaît ne pas être très curieux, pensant que ce qu’il y a au-delà du 93 n’est pas pour lui. En même temps, quand il parle de ses aspirations à la conseillère d’orientation – à savoir, être un artiste en lien avec la mode –, sa réponse le laisse de marbre : « Faut arrêter de rêver, à un moment ! Votre situation et votre classe sociale vont être des poids, donc pour avoir une affectation, il vaut mieux opter pour une formation dans le bâtiment ou l’électricité. » Je me demande comment on peut être aussi catégorique, comment on peut, comme ça, briser les rêves d’un ado, surtout quand ses yeux sont remplis d’étoiles. « Souvent, l’espoir est absent dans les écoles REP, que ce soit dans la tête des enfants ou même des adultes. J’ai eu de la chance, j’ai continué à rêver, ajoute-t-il. Je me suis surtout construit moi-même, avec mes potes. Au lycée, on parlait beaucoup du futur, des problèmes qu’on vivait et de l’injustice sociale. On rêvait d’être des artistes engagés et influents. On avait soif de réussite et de vengeance pour tous les murs qu’on a dû sauter et les barrières qu’on nous a posées, surtout comparé à d’autres qui ont eu papa et maman pour les pistonner ou une meilleure géolocalisation. »
Sa géolocalisation, Marvin en est fier jusqu’à la moelle. Elle trouve tout son éclat dans ses clichés urbains qui, à l’instar de sa photo La Glace, brise l’image stéréotypée des jeunes et de la vie des quartiers. Il capte avec grâce des énergies en se posant au quartier pour parler et rigoler comme à l’époque. Il saisit des scènes et des visages qui lui parlent, qui contrastent avec sa vie de Parisien et vont à l’encontre des préjugés entendus intra-muros. « Les jeunes banlieusard.es ne sont pas des bon.nes à rien. Il y a des personnes fortes et humaines avec de riches valeurs. La cité est plus complexe que ce l’on peut croire. Le 93, c’est aussi la France. »
Pour finir, je n’ai pu résister à la tentation de lui demander sa définition du bonheur, toujours pas remise du fait que la vie, même si elle n’a pas toujours été tendre avec lui à ses débuts, l’a quand même doté d’un fabuleux héritage patronymique… Sa réponse met du baume au coeur : « Atteindre la paix intérieure, être bien dans ses pompes, avoir confiance en soi et n’avoir aucun regret. Ma thérapie photographique m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je ne suis pas malheureux. J’ai envie de continuer de grandir, de développer mon art, de rendre fiers les miens et de pousser la culture street au sommet. »
Article du numéro 45 « Ensemble »