LE CHEF D’ŒUVRE INTIME D’ALMODOVAR, DOULEUR ET GLOIRE

Le nouveau Pedro Almodovar s’intitule Douleur et gloire. Un titre évocateur pour une histoire qui explore le lien entre la souffrance et la création. L’image de l’artiste incompris, torturé et malheureux est une idée romantique qui persiste encore de nos jours : on dit souvent que les créateurs sont le plus inspirés lorsque les choses vont mal. Comme si le bonheur empêchait l’imagination de se développer…

Douleur et gloire alterne entre flash-backs et moments présents, entre l’enfance et l’âge adulte. Au début de l’histoire, Salvador Mallo – grand cinéaste espagnol – s’apprête à ressortir une version restaurée d’une de ses premières œuvres cinématographiques, Sabor. Pour l’occasion, il décide de renouer avec l’acteur principal du film, Alberto Crespo, avec lequel il s’est disputé il y a trente ans. C’est le premier retour en arrière pour Salvador, qui tout au long du film ne cesse de se plonger dans son passé pour le faire ressurgir. Comme s’il tentait de renouer avec ses vieux démons pour mieux les apprivoiser et les surmonter. Des démons, on peut en compter trois. D’abord, cet acteur avec qui il redevient ami, mais qui l’entraîne vers un deuxième fantôme : celui de la drogue.

Avec Alberto, Salvador prend de l’héroïne pour la première fois. C’est une expérience nouvelle pour lui, mais une drogue qu’il connait bien. On découvre en effet que le protagoniste a écrit un texte bouleversant qui porte le nom Addicción. Une pièce de théâtre qui retrace sa relation amoureuse avec l’homme de sa vie, Frederico, avec qui il a vécu à Madrid. Or, Frederico est devenu accro à l’héroïne et l’amour de Salvador n’a pas été suffisant pour le sauver. Frederico est parti en Argentine, désertant Salvador. Dans son récit, le cinéaste explique ainsi que pendant toute cette période de souffrance atroce qu’il a traversé avec son amant, il a malgré tout été très inspiré et a énormément écrit. Il considère que cette époque a été formatrice pour lui, en tant qu’artiste. On commence à apercevoir à quel point la frontière entre la vie privée du créateur et son œuvre se confondent.

La douleur qu’éprouve Salvador n’est pas seulement sentimentale. Car dans le moment présent, il est un homme vieillissant qui souffre de migraines, de maux de dos, etc… et qui est surtout très seul. Dès le début du film, le personnage est une figure solitaire, qui n’a pas d’amis ou de compagnons de jeu. L’âge adulte ne fait pas figure d’exception et les douleurs corporelles de Salvador le poussent vers la solitude, laissant beaucoup de temps à l’introspection vers un dernier démon, encore plus ambigu. Celui de sa mère. Une femme qui a tout fait pour lui, et avec qui pourtant il n’a pas toujours eu une relation facile.

Salvador ne cesse de retourner de plus en plus loin en arrière : vers son premier film il y a 30 ans avec Sabor, vers son premier amour dans Adicción, jusqu’à la relation qu’il entretenait enfant avec sa mère. De ce vide et de cette douleur passée semblent toujours renaître la beauté et la gloire grâce à la création. Peut-être que les vieux démons ne peuvent être surmontés que par le biais de l’autofiction…

Article de Inès Huet

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