DÉCOUVREZ NOTRE RÉDAC-CHEF INVITÉE OPAL TOMETI DE #BLACKLIVESMATTER

Opal Tometi photographiée par Joshua Kissi @joshuakissi

Cette collaboration entre Paulette magazine et Opal Tometi était écrite dans les cartes. Personnellement, j’ai rencontré Opal pour la première fois grâce à un ami commun, Tonjé Bakang, un soir d’été en 2016. Quelques jours plus tard, Irene Olczak, fondatrice du magazine, apprend ma rencontre avec la co-fondatrice de #BlackLivesMatter lors d’une conversation tout à fait banale et me confesse avec enthousiasme qu’elle suit l’activisme d’Opal depuis longtemps et adorerait faire sa connaissance. Les étoiles commençaient à s’aligner.

Quelques années plus tard, il a suffi d’un bon dîner en toute décontraction pour que les deux femmes, pleines d’idées et d’ambition, décide de collaborer sur ce nouveau numéro dédié au vivre ensemble, à la richesse des communautés, à l’activisme et à l’engagement nouvelle génération. La passion, l’enthousiasme et la niaque de l’une complimentent à merveille la générosité, la sagesse et l’engagement de l’autre. En conversant avec Opal pour rédiger l’interview à suivre, je me suis rappelé cette soirée inoubliable que nous avions passé tous les deux au concert de Beyoncé au Stade de France 3 ans auparavant. Elle m’avait gentiment invité alors qu’on se connaissait à peine. Comment ne pas l’adorer ? Ahah. Le lendemain du concert, elle m’a rappelé ; cette fois-ci pour me questionner sur la grave crise migratoire qui avait lieu en plein Paris au même moment. Quand elle m’a demandé de l’accompagner sur le terrain, j’ai tout lâché et l’ai rejointe. Opal a ce pouvoir, celui de donner envie d’être la meilleure version de soi-même et d’agir. Je me souviens aussi qu’elle a tout de suite décidé d’écourter ses «vacances» pour rentrer à New York et parler de réformes migratoires aux Nations Unies. Pas étonnant qu’elle fut nommée parmi les 50 personnalités les plus influentes de la planète par de nombreux magazines.

Vous l’aurez compris. Opal est une amie. Mais bien plus que ça ; c’est une jeune femme qui, face aux injustices qu’elle voyait défiler dans les médias, a décidé d’agir. Et elle ne s’est plus arrêtée. À travers cet entretien, vous découvrirez son parcours, ses engagements, sa passion pour l’art et ce que le vivre ensemble signifie pour elle.

Opal Tometi, la conférencière (The Blade / Jeremy Wadsworth)

En quoi ton activisme et le fait de défendre les intérêts des autres ont-ils eu un impact sur toi au fil des années ?

Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours eu une âme d’activiste. Cela a vraiment commencé par l’admiration et l’amour que j’avais pour mes ami.es de lycée et pour les autres en général. Au fil des années, je me suis rendu compte que nous faisions face à des défis spécifiques. Je me suis d’abord intéressée à la cause de ses injustices, puis j’ai décidé qu’il fallait agir et pleinement s’organiser. Au début, j’étais une «simple» activiste. Une injustice se produisait et j’allais manifester. Au bout d’un moment, j’ai compris que face à l’ampleur du problème, il fallait s’organiser et agir avec stratégie et méthode.

Au tout début, je m’engageais pour des causes qui n’avait pas de liens direct avec ma vie, comme par exemple la lutte contre les violences conjugales et la protection des enfants. Puis, j’ai finalement eu le courage de m’attaquer à des problèmes qui me touchaient de plus près. J’ai commencé à parler de choses que je connaissais intimement, comme le racisme envers les Noirs et l’immigration. Honnêtement, je me voyais faire ce travail d’engagement dans l’anonymat. Je n’avais jamais pensé que je deviendrais une personnalité publique ou une «porte parole», comme je le suis actuellement. Mais c’est un véritable honneur d’être reconnue pour un travail souvent accompli sans reconnaissance ni remerciement par beaucoup d’autres. J’apprécie donc ce soutien avec humilité. J’aspire simplement à véhiculer des valeurs qui me semblent importantes à un moment important de notre histoire commune, en faisant de mon mieux avec la plateforme que j’ai. Mon but ultime est d’utiliser au mieux ma voix et mon expertise pour que justice soit rendue au plus grand nombre de personnes possible.

Opal Tometi aux côtés de Colin Kaepernick, ancien joueur de football américain connu pour son activisme (@opalayo)

Avec ton agenda hyper chargé et toutes les sollicitations que tu reçois, comment trouves-tu le temps pour te ressourcer et prendre soin de toi ?

Tu as raison. Il se passe tellement de choses en même temps et j’ai pu me perdre par moments. J’ai pris beaucoup de poids, car je négligeais mes problèmes de santé chroniques. Cependant, au cours des derniers mois, j’ai pris ma santé personnelle plus au sérieux. C’est désormais ma priorité. Personne d’autre que moi ne peut prendre soin de moi. Donc, il faut que je le fasse. Maya Angelou a un jour déclaré qu’avoir du succès signifiait d’être «heureux.se dans ce que l’on fait et de la façon dont on le fait». Audre Lorde a également partagé le même sentiment lorsqu’elle a déclaré : «Prendre soin de soi, ce n’est pas de la complaisance. C’est un acte de conservation et c’est un acte politique». C’est très important d’avoir de l’amour et du respect pour soi-même. Etant fière de qui je suis et de mon travail, je veux me donner l’opportunité de continuer. Donc je m’écoute moi-même et je fais attention à ce dont j’ai vraiment besoin; cela me permet de me sentir connectée avec moi-même quotidiennement. Chaque jour, j’ai besoin de quelque chose de différent : parfois c’est plus de sommeil, parfois c’est faire yoga le matin, ou écouter de la musique Afrobeats ou de la house, parfois c’est faire des câlins à mes filleul.es.

Opal Tometi, l’activiste (@opalayo)

Quel est le meilleur conseil que tu aies reçu de l’un de tes mentors et que tu gardes précieusement en toi ?

Mes mentors absolues sont toutes des femmes africaines qui m’ont beaucoup appris par la vie qu’elles mènent. Mon tout premier mentor a été Leslye Obiora, avocate nigériane spécialiste des droits de l’homme de l’Université de l’Arizona et à Yale. Elle m’a appris à investir dans les jeunes qui m’entourent, même s’ils ne peuvent rien vous offrir en retour. Elle m’a littéralement prise sous son aile et a nourri ma curiosité de jeune fille passionnée. Je lui serai à jamais reconnaissante. Nunu Kidane, mon deuxième mentor, ma sœur même, nage presque tous les jours tout en étant à la tête d’une ONG qui apporte des solutions à divers problèmes critiques que rencontre le continent africain. Elle reste active et créative tout en faisant un travail extraordinaire entre San Francisco et l’Éthiopie. Enfin, mon mentor, Liepollo Pheko, originaire d’Afrique du Sud, est la femme la plus prolifique et la plus ambitieuse que je connaisse. Elle continue de me montrer qu’on peut avoir la vie de nos rêves et qu’on ne doit jamais s’excuser pour son intellect, sa motivation et ses victoires.

Opal Tometi à une marche pour les droits des femmes (@opalayo)

Que signifie pour toi le thème du numéro 45 de Paulette et comment considères-tu le vivre ensemble ?

Le vivre ensemble est un concept hyper cool, mais il faut savoir vivre ensemble en reconnaissant les individualités de chacun. Pour moi, il est primordial de valoriser la diversité des expériences et des compétences en chacun de nous, ainsi que nos contributions et qualités respectives. Cela doit s’applique lorsque nous réfléchissons au monde que nous voulons et dont nous avons besoin, mais aussi à la façon dont nous y parviendrons. Bien souvent, les gens ne se sentent pas forcément appréciés à leur juste valeur. Ce n’est pas juste. Dans un corps en bonne santé, tous les organes et les cellules participent ensemble au même équilibre et à son bon fonctionnement. Dans une partie de foot c’est la même chose, tous les joueurs se doivent de jouer leur rôle spécifique mais avec cohésion, car ils font partie de la même équipe. Pour moi, la vie c’est pareil. Nous devrions partager une même vision globale, c’est à dire aspirer à des démocraties multiraciales et inclusives. Par «inclusives», j’entends le respect des races, des religions, des différences de genre, de l’orientation sexuelle, des capacités, de l’histoire migratoire et de la classe sociale de chacun.e.s. Je crois foncièrement en nous. Je crois que nous pouvons créer un monde qui étreint vraiment tout ce que nous sommes dans toute sa diversité. Je pense aussi qu’il est important non seulement de s’éduquer mais aussi de s’engager. J’encourage tout le monde à rejoindre une association ou une ONG. C’est la chose la plus importante que vous puissiez faire : créer une communauté qui vous rende responsable de vos convictions, et qui vous soutienne également lorsque vous êtes fatigué.e. Ce grand projet vers plus de dignité et de justice sociale ne doit pas se faire seul.e. Le vivre ensemble est une force qui nous fait grandir individuellement.

Opal Tometi (opaltometi.org)

Pour finir, aurais-tu un coup-de-coeur ou une expérience qui t’a marqué récemment et que tu aimerais partager ou conseiller à nos lecteur.trices ?

Je suis quelqu’un qui peut voyager pour l’art, les bébés et par amour. Donc cette année, je me suis offerte un cadeau d’anniversaire à moi-même. J’ai voyagé pour l’art en allant au festival Chale Wote Arts à Accra, au Ghana. C’est le plus grand festival dédié à l’art en Afrique et c’était INCROYABLE ! Je voulais y aller depuis des années. J’ai eu l’occasion de rencontrer des artistes et de voir des œuvres d’art extraordinaires. Des milliers de personnes font le déplacement. C’est un événement complètement indépendant, sans grands sponsors. J’ai rencontré des personnes comme Adama Delphine, Nelson Makamo, Pierre Chistophe Gam, Serge Attukwei Clottey, Joanna Choumali et bien d’autres. C’était très inspirant. Des personnes de tout âge et de tou horizon socio-économique peuvent avoir accès à l’art, participer à sa création et s’en émouvoir. C’était honnêtement l’un des plus beaux moments que j’ai pu vivre depuis des années. Tout le monde devrait y aller au moins une fois dans sa vie. L’art stimule notre imagination, nous rappelle que nous pouvons créer ce que nous voulons et voir de la beauté dans tout. C’est un beau rappel de tout ce que nous offre le monde.

Merci Opal.

Entretien par PK Douglas

Le numéro 45 «Ensemble» du magazine Paulette est disponible en kiosque et sur le site Paulette.

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