AVEC « CORPS À CŒURS », LAURIE DARMON SIGNE UN RENDEZ-VOUS PUISSANT À NE PAS MANQUER

Jeudi 12 mai, dès 19 heures, le Grand Rex accueillera "Corps à Cœurs". Un événement inédit organisé par Laurie Darmon, où plusieurs artistes exprimeront le rapport qu'iels entretiennent avec leur propre corps.

Laurie Darmon
Laurie Darmon © Zacharie Ellia

C’est un spectacle inédit qui se prépare au Grand Rex, salle emblématique du 2e arrondissement de Paris : Corps à Cœurs. Laurie Darmon, autrice-compositrice-interprète dont l’album Femme Studio est un bijou pop à mettre entre toutes les mains, est aux manettes. Le 12 mai, elle réunira des dizaines d’artistes issu·es de différentes disciplines autour d’un thème commun : le rapport à son corps, aux complexes générés par la société, à l’amour qu’on réussit à lui porter après guérison.

Un thème qui lui est cher, tant elle a longtemps souffert d’une relation conflictuelle et psychologique avec sa propre silhouette. Atteinte d’anorexie mentale de ses 17 à ses 27 ans, qu’elle décrit comme « une prison transparente », Laurie Darmon veut aujourd’hui permettre aux jeunes générations de se libérer d’une vision réductrice de la beauté et de l’échec, pour s’accepter soi.

Louane, Charlotte Abramow, Elise Goldfarb ou encore le créateur Charles de Vilmorin répondront présent·es ce soir-là, pour livrer des performances aussi personnelles qu’empouvoirantes. Une semaine avant le jour-j, on a échangé sur son parcours, le message qu’elle souhaite passer et l’espoir d’un monde plus doux qu’elle entrevoit.

Entretien.

Paulette : Raconte-nous d'où vient ce projet passionnant.

Laurie Darmon : A l’origine de cet événement, il y a mon histoire personnelle. J’ai traversé une anorexie mentale entre mes 17 et mes 27 ans, pendant laquelle je me suis beaucoup questionnée. Et j’ai compris que la source principale de cette maladie avait été de ne pas m’accepter telle que j’étais. Tant que je ne m’acceptais pas telle que j’étais, que je ne prenais pas ma place à moi dans le monde, que je ne faisais pas droit à mes envies, à mes désirs propres qui pouvaient différer de ce que la société juge “bien”, j’implosais. 

Mon corps a réagi de sorte qu’il est devenu lui-même une impasse. C’est comme s’il était figé, revenu à l’état d’enfant : je n’avais plus mes règles, par exemple. Lorsque j’ai compris ces choses-là, que je m’en suis libérée, que je me suis émancipée, j’ai vu à quel point cela pouvait être merveilleux. Que le bien et la sécurité résident dans le fait de s’écouter et de s’accepter, et non de suivre des conventions avec lesquelles on nous bassine.

Quand j’ai guéri, j’ai écrit un titre sur ce parcours (Mai 2018), et j’ai reçu beaucoup de témoignages. J’ai commencé à faire des talks sur ce sujet-là. C’était en tout petit comité d’abord. Je racontais, je lisais, je chantais des morceaux écrits pendant cette période, et les gens pouvaient me poser des questions. Il y a eu le Covid et dès que j’ai pu reprendre ces échanges, j’ai eu envie qu’on soit nombreux·ses à exprimer l’acceptation de soi et cette vulnérabilité que l’on possède toustes derrière les postures et les projecteurs. 

J’ai voulu monter cet événement pour que les plus jeunes générations voient des artistes qu’elles admirent raconter la réalité de ce qu’elles ressentent. Voir que ce n’est pas aussi parfait que sur les réseaux sociaux, que dans les clips ou les vidéos. Pour qu’on arrête, quand on est plus jeune, de fantasmer quelque chose qui n’existe pas, qu’on ne complexe pas, qu’on ait une image plus juste et humaine de la beauté. Et qu’on s’accepte. 

Pourquoi et pour qui diversifier la représentation des corps est-il essentiel ?

J’ai l’impression que c’est surtout pour les plus jeunes. Ce sont elleux qui sont à un moment de leur vie où iels se construisent, construisent leur regard, leur sensibilité. Et c’est important, à ce moment-là, de se confronter à un monde qui soit beaucoup plus vrai que le paraître. J’ai réalisé moi-même que c’était dans l’enfance et pendant l’adolescence que j’avais construit cet imaginaire aseptisé, coupé de la réalité, où je considérais ma vulnérabilité comme quelque chose de faible, de honteux, qu’il fallait cacher. Je fantasmais, j’idéalisais ce que je voyais, et c’est là que j’étais la plus dangereuse pour moi. 

Cet événement, c’est aussi pour que des personnes que l’on n’attend pas forcément sur ce sujet-là se rassemblent et ouvrent une porte sur ces émotions parfois camouflées. Souvent, en tant qu’artiste, on doit utiliser son corps et être en représentation, avoir une posture comme une barrière de protection. Mais si on se questionne bien, ce n’est pas honteux de raconter ce qui se passe derrière. Si on était plusieurs à le dire toustes ensemble, ça ne deviendrait plus un problème.

Laurie Darmon
Laurie Darmon

Qu’ont en commun les intervenant·es que tu rassembleras lors de Corps à Coeur, justement ?

Je dirais le fait d’exercer des métiers qui impliquent l’utilisation et la représentation de leur corps, de leur image ; ce n’est jamais simple. Parfois, quand on choisit de faire de la musique, on ne choisit pas forcément de l’incarner physiquement. Ce sont des choses qu’on apprend sur le tas, ou avec lesquelles on compose. Et souvent, ces personnalités vont vers quelque chose qui est un peu plus de l’ordre du paraître – ce que je comprends car j’en fais partie – mais c’est aussi la cause d’un malaise qui peut perdurer sur d’autres générations.

Quel serait ton message aujourd’hui à la jeune fille que tu étais entre tes 17 et tes 27 ans ?

Ce serait de lui dire qu’il faut s’écouter, surtout. Que c’est légitime et pas immoral d’avoir les envies, les désirs qu’elle avait. Ce qui m’a vraiment le plus troublée à cet âge-là, c’était de sentir que j’échouais. Mon anorexie mentale a démarré au lendemain des résultats du bac de français : je n’avais pas eu des notes aussi bonnes que l’élève studieuse que j’étais attendait. Ça m’a complètement dévastée. Ça m’a envahie d’une sensation de culpabilité dont je ne me suis jamais vraiment relevée. Je n’ai jamais retrouvé l’insouciance que j’avais avant.

Ce naufrage-là est insensé quand on réfléchit à ce qu’est l’échec : ce n’est pas « ne pas réussir », c’est « ne pas essayer ». Mais nous sommes dans une société qui ne nous apprend pas ça. J’aurais eu envie de lui dire ces mots-là. Je pense qu’on me les a dits, mais que je ne les ai pas entendus ou en tout cas, que je ne les ressentais pas. De s’écouter, de s’accepter, et que l’échec c’est ne pas essayer, plutôt que ne pas réussir.

Comment l’événement va-t-il s’orchestrer ?

Beaucoup d’artistes vont se succéder lors de performances qu’on n’a pas toujours l’occasion de voir. Je voulais vraiment que la forme épouse le fond de l’événement, pour créer quelque chose d’aussi hybride que le fait d’explorer le rapport à son corps. Quelque chose de très mouvant, de très pluriel, de très « imparfait ». 

Pour cela, j’ai donné à chaque artiste et intervenant·e carte blanche, afin, justement, que toustes expriment leur rapport à leur corps, ou leur notion d’acceptation ou non d’elleux-mêmes. Iels peuvent utiliser l’écran, la salle en entier, la musique, la lecture, la danse… Cela va donner des performances hybrides et surtout, le fait de les voir s’essayer à quelque chose d’autre que ce sur quoi on les attend.

Penses-tu qu’aujourd’hui, avec la libération de la parole et la façon dont les standards de beauté sont de plus en plus contredits et remis en question, les choses avancent dans le bon sens ?

J’ai cette sensation, oui. C’est d’ailleurs pour cela que j’avais à cœur de programmer des artistes issu·es de la nouvelle génération créative. Il me semble que nous, plus que les générations précédentes, nous mettons vraiment au centre de nos préoccupations ces problématiques-là. On va essayer de faire changer le fait qu’on nous attend hyper parfait·es, et on va se raconter plus vrai·es. 

En revanche, ce qui, selon moi, complique ces remises en question aujourd’hui et pour le futur, c’est que les réseaux sociaux sont centrés autour de l’image. Sur Instagram et TikTok, c’est l’image qui est à l’honneur. C’est un peu comme des mouvements contraires qui s’opèrent. On est gouverné·es par ça, par l’image. Il y a une culture du FOMO de plus en plus présente, et c’est difficile à gérer. 

Toute une réflexion qu’on a hâte d’approfondir davantage, le 12 mai, à 19 heures. Pour les billets, c’est par ici

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