5 LIVRES FÉMINISTES À EMBARQUER CET ÉTÉ (ET MÊME APRÈS, D’AILLEURS)
Une liste de titres captivants pour entamer ou poursuivre son cheminement féministe, déconstruire sa pensée et s’informer sur l’histoire des femmes.
De là où je vous écris, la météo craint. Après dix jours de soleil heureusement moins caniculaire qu’à une époque, l’orage a pris le relais. L’occasion de me demander ce qu’on peut bien faire en été quand il pleut des cordes, et que tout paysage à potentiel Instagrammable semble bafoué. Traîner sur les réseaux pour voir la vie de ceux et celles qui seraient encore en Grèce/Sicile/Provence-Alpes-Côte d’Azur ? C’est une idée. Qui me semble plutôt nulle en y réfléchissant deux secondes. Quitte à passer des heures à regarder défiler mots et images sur un support plus gros que sa main, pourquoi ne pas le faire sans s’exploser la rétine ? Et retourner à nos vieilles habitudes : la lecture. Se perdre dans un roman, réfléchir devant un essai, rêver sa vie en dévorant une biographie. Puisque vacances et féminisme sont mes deux intérêts principaux, je vous ai concocté une petite liste d’ouvrages qui participeront à notre éveil sororal. Des vies, des réflexions, des cheminements personnels de femmes qui ont pensé leur condition avant nous et ont posé des lignes sur ce que nombreuses ressentent – sans savoir vraiment l’exprimer. Des analyses pertinentes sur la société d’hier et d’aujourd’hui, le patriarcat ou encore l’éducation. Et surtout, une soif de liberté de corps et d’esprit qui devient contagieuse au fil des pages.
Ma vie sur la route, de Gloria Steinem, préfacé par Christiane Taubira
L’icône féministe américaine a foulé le sol de l’Hexagone au printemps pour présenter ses mémoires. Le public était au rendez-vous tant le personnage fascine. Comme son bouquin, d’ailleurs, dont la première page – une dizaine de lignes qui racontent la bravoure d’un médecin britannique face aux lois anti-IVG des années 50 – émeut au point de ne plus pouvoir lâcher l’ouvrage. A 83 ans, la journaliste est une témoin essentielle de l’histoire américaine contemporaine. Dans sa bio qui prend des airs de road-trip féminin-féministe (une sorte de Thelma et Louise à la sauce militante, sans flingue ni saut dans le vide), on la suit à travers le pays alors qu’elle s’engage dans les combats les plus importants de sa génération. Du discours de Martin Luther King, aux droits des femmes et de la communauté LGBT+, en passant par l’avortement et l’égalité raciale. Une ode à l’état nomade et aux rencontres, aussi, qui pousse à tout quitter pour suivre son instinct. Celle qui a fondé le magazine Ms., le Women’s Media Center aux côtés de Jane Fonda et Robin Morgan, participé aux campagnes de Barack Obama et Hillary Clinton et démarré sa carrière avec une chronique mordante sur son expérience de bunny Playboy dans le club de Hugh Hefner, a de quoi nous laisser sans voix. Et pourtant, elle incite à ne plus se taire. “Le féminisme, c’est la capacité à choisir ce qui vous convient à chaque période de votre vie », rétorquera-t-elle à ceux qui jugeaient son mariage à 66 ans contradictoire avec ses idées progressistes. Gloria Steinem a eu mille vies qui font la sienne. Et qui aujourd’hui, inspirent la nôtre.
Pour qui : Celles qui s’immergent peu à peu dans le courant féministe et sont en quête de rôle-modèle puissant.
Ma vie sur la route, de Gloria Steinem
Ne suis-je pas une femme ?, de bell hooks
A travers cet essai de 1981, bell hooks, symbole du Black Feminism américain, remet en lumière le combat de Sojourner Truth. Ancienne esclave, abolitionniste et fervente militante féministe, cette dernière prononça un discours poignant intitulé Ne suis-je pas une femme ?, lors de la Convention des droits des femmes de 1851, dans l’Ohio. Après qu’un homme ait contesté l’égalité femmes-hommes sous prétexte d’une différence de force physique, elle répondit ces mots devenus célèbres, mais dont la transcription varie parfois (Sojourner Truth ne savait ni lire ni écrire, mais brillait par son éloquence) : “Cet homme là-bas dit que les femmes ont besoin d’être aidées pour monter en voiture, et qu’on doit les porter pour passer les fossés, et qu’elles doivent avoir les meilleures places partout. […] Et ne suis-je pas une femme ? Regardez-moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré, planté et rempli des granges, et aucun homme ne pouvait me devancer ! Et ne suis-je pas une femme ?”. Dans ses pages, bell hooks critique aussi les féminismes blancs et leur difficulté contradictoire à reconnaître la nécessité d’un afro-féminisme, ainsi que l’intersectionnalité – ou le fait de subir plusieurs types d’oppressions liées à son genre et son appartenance raciale par exemple, comme en souffrent les femmes noires. Elle livre un texte passionnant entre déconstruction et mise au point, qui s’affiche comme un essentiel de notre bibliothèque.
Pour qui : Celles qui souhaitent parfaire leurs connaissances en afro-féminisme et (re)découvrir l’un des noms les plus emblématiques de l’histoire américaine et afro-américaine.
Ne suis-je pas une femme ?, de bell hooks
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, de Chimamanda Ngozi Adichie
« Je suis convaincue de l’urgence morale qu’il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l’égard des femmes et des hommes », répond Chimamanda Ngozi Adichie à une amie qui se questionne sur la façon dont elle va élever sa fille et lui inculquer les règles de l’art du féminisme. L’autrice nigériane formule ses pensées sous la forme d’une lettre pleine d’ironie, et surtout dotée de conseils pratiques selon des situations précises. Elle explique à sa destinataire, mais aussi aux femmes et aux hommes à qui l’ouvrage est destiné, comment réagir face au sexisme ambiant, parfois même intériorisé, et préparer la nouvelle génération à construire un monde plus respectueux, plus inclusif, plus égalitaire. On y lit par exemple ces mots universels, qui devraient figurer dans des manuels scolaires : “Au lieu d’apprendre à Chizalum à plaire, apprends-lui à être sincère. Et bienveillante. Et courageuse. Encourage-là à exprimer ses opinions, à dire vraiment ce qu’elle pense, à parler vrai. Félicite-la en particulier quand elle défend une position difficile ou impopulaire, parce que c’est ce qu’elle pense vraiment.” Pas besoin d’être sur le point de devenir parent pour apprécier l’ouvrage, qui dresse une ligne de conduite de laquelle s’inspirer, aussi, pour son propre quotidien.
Pour qui : Celles et ceux qui ont soif de réponses claires et brillamment amenées au mouvement, et qui se demandent comment transmettre, avec pédagogie, des valeurs féministes à leur entourage.
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, de Chimamanda Ngozi Adichie
Sorcières – la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet
L’opus n’a laissé personne indifférent, et s’est rapidement hissé en haut de la liste des bouquins féministes à ne louper sous aucun prétexte. A l’intérieur, l’autrice et journaliste au Monde diplomatique Mona Chollet décrypte le phénomène des sorcières, de leur regain de popularité actuel (elle mentionne même leur cote dans la pop culture avec Harry Potter ou Buffy) à la chasse dont elles ont été victimes jadis, lorsque des dizaines de milliers ont été assassinées aux XVIe et XVII siècles. Pas d’incantation ni de vieux grimoires, elle fait là l’analyse de ce qui a causé leur perte : leur indépendance et leur envie de ne pas suivre ce à quoi la société les destinait. Des femmes qui choisissaient de contrôler leur fécondité, de refuser un rôle imposé de génitrice, de vivre leur propre vision de la liberté, et aussi des femmes âgées, diabolisées encore aujourd’hui. Elle revient sur l’injonction à la maternité que subissent les générations actuelles, et explique comment le massacre d’il y a plusieurs siècles a participé à créer un monde misogyne. “Il paraît difficile de ne pas déduire que les chasses aux sorcières ont été une guerre contre les femmes”, écrit-elle. Un essai qui ne dicte jamais aux lectrices comment elles devraient vivre leur féminité, mais apporte simplement des éclairages sur la façon dont on la façonne pour elles.
Pour qui : Celles qui, fascinées de près ou de loin par l’ésotérisme, souhaitent en apprendre davantage sur les conséquences d’une époque sombre et tristement fantasmée.
Sorcières – la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet
Ni vues, ni connues, du collectif Georgette Sand
Qui peut se vanter de connaître Rosalind Franklin, Ada Lovelace, Alexandra David-Néel ou encore Nzingha Mbandi ? Leur profession, leurs travaux ou encore la façon dont elles ont chacune influencé le monde de façon déterminante ? Peu d’entre nous, on est d’accord. Ce que veut démontrer le collectif Georgette Sand (association féministe qui avait placé la taxe rose au cœur du débat en 2014), c’est la façon glaçante dont les femmes ont été invisibilisées depuis la nuit des temps. Et comment on continue d’ignorer leur implication encore aujourd’hui. Pour remédier à ce fléau, les 42 mains derrière le projets ont écrit tour à tour le portrait de 75 femmes de sciences, d’art, de lettres, de résistance, de politiques – mais aussi de guerre, et tortionnaires. Elles signent ici un ouvrage à la fois pédagogue, nécessaire et décalé qui s’obstine, à juste titre, à leur rendre cette notoriété volée. De quoi offrir aussi une nouvelle liste de rôles-modèles aux futures générations de filles et de garçons, et prouver que les livres mentent parfois : le monde et l’Histoire tels qu’on les connaît ne se sont pas uniquement faits sur des actions masculines, bien au contraire.
Pour qui : Celles qui en ont marre de devoir « rendre à César ce qui appartient à César ». Cléopâtre aussi, a fait le taf.
Ni vues ni connues, collectif Georgette Sand
Article de Pauline Machado